Interview de Frédéric Fréry : Professeur de Stratégie à ESCP Europe

Frédéric Fréry

Professeur de Stratégie à ESCP Europe

PSA : une bonne stratégie, mais au mauvais moment

Publié le 13 Septembre 2012

La fermeture de l’usine PSA d’Aulnay est une tragédie pour ses ouvriers et le retrait du CAC 40 de l’action Peugeot – qui a perdu 90 % de sa valeur en 5 ans – est un camouflet pour ses actionnaires. Peut-on pour autant accuser PSA
d’avoir commis de graves erreurs stratégiques ? Rien n’est moins sûr.

Rappelons tout d’abord le contexte. Alors que le marché automobile européen s’est effondré d’un quart depuis quatre ans et que la rentabilité des constructeurs est désormais avant tout conditionnée par la couverture de leurs gigantesques frais fixes, Volkswagen profite de sa position dominante pour mener ce que Sergio Marchionne, le P-DG de Fiat, a qualifié de « bain de sang sur les prix et sur les marges ». Les goûts des clients se polarisent sur le haut de gamme et le low-cost au détriment des véhicules de milieu de gamme – le cœur de métier historique des constructeurs français – alors que les politiques publiques les incitent à se spécialiser sur les petites voitures économiques à faible marge. La croissance est désormais en Chine, au Brésil et en Russie et les pressions réglementaires et environnementales encouragent le développement des motorisations hybrides et électriques.

Face à cet environnement concurrentiel particulièrement difficile, PSA a fait plusieurs choix stratégiques a priori légitimes.
• Plutôt que de s’engouffrer dans la course effrénée au low-cost derrière Dacia, Citroën a réussi le lancement de sa gamme DS, premier exemple de succès d’une marque française dans le haut de gamme depuis des décennies. On peut saluer ce positionnement intelligent – initié par MINI – qui consiste à proposer des petites voitures haut de gamme plutôt que des grosses berlines ou de puissants SUV, bastions des constructeurs allemands.
• Plutôt que de tenter le pari fou du tout électrique, PSA a misé sur l’hybride, coûteux et techniquement complexe, mais bien en phase avec les attentes des clients, soucieux de préserver leur autonomie au moins autant que l’environnement.

  PSA a fait des choix stratégiques a priori légitimes


• La Chine (où le groupe est présent industriellement depuis le début des années 1990) est d’ores et déjà le deuxième marché de Citroën et ses futurs modèles y seront annoncés. Le groupe possède également une usine au Brésil et y développe des véhicules adaptés au marché local.
• Enfin, si la famille Peugeot a toujours été jalouse de son indépendance capitalistique, PSA a su mener au cours des années de nombreuses alliances (avec Fiat, BMW, Renault, Ford, Mitsubishi ou Toyota) qui lui ont permis de compenser sa relative petite taille tout en restant une icône de ce capitalisme familial encensé par les experts. La récente prise de participation de GM à hauteur de 7 % dans son capital apparaît comme une entorse : il aurait mieux valu négocier en position de force en 2009, lorsque GM était au plus mal. On attend toujours les retombées positives de cette prise de participation (coopération technologiques, partage de sites de production avec Opel), par-delà sa regrettable conséquence politique : les Américains ont exigé le retrait de Peugeot du marché iranien, qui était pourtant son deuxième marché en volume après la France. Cela dit, des rumeurs semblent indiquer des divergences croissantes entre les deux groupes : GM préfèrerait assurer le succès de sa filiale Buick en Chine plutôt que de sauver sa filiale Opel en Europe.

Au total, que peut-on vraiment reprocher à PSA ? Étant donné le portefeuille de ressources et compétences dont elle dispose et l’environnement concurrentiel auquel elle est confrontée, l’entreprise a conduit une stratégie pertinente. Or, en période de crise, cela ne suffit pas pour assurer le succès : encore faut-il avoir de la chance. Beaucoup d’entreprises n’échouent pas à cause d’une mauvaise stratégie (manque de vision, erreurs d’appréciation, mise en œuvre médiocre), elles échouent à cause d’une bonne stratégie (vision claire, choix assumés, mise en œuvre rigoureuse), déployée au mauvais moment. Dans une industrie où le développement d’un nouveau produit prend au moins quatre ans, il était impossible d’anticiper un revirement de conjoncture de cette ampleur. D’ailleurs, bien malin celui qui pourrait prévoir qui seront les vainqueurs à terme. Rappelons que le succès de Volkswagen, aujourd’hui érigé en exemple, est récent : en 2006 le constructeur allemand avait été contraint de licencier 20 000 personnes. À l’époque, Volvo n’était pas chinois, Chrysler était américain et Saab était encore en vie.

Frédéric Fréry
Professeur de Stratégie à ESCP Europe.


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