Interview de Bernard Jullien : Economiste, directeur du Gerpisa (groupe d'étude et de recherche permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile)

Bernard Jullien

Economiste, directeur du Gerpisa (groupe d'étude et de recherche permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile)

Tout le monde ne peut pas être allemand

Publié le 06 Septembre 2013

Comment expliquez-vous les résultats record des constructeurs allemands alors que le reste de l’industrie automobile européenne nage en plein marasme ?

L’industrie automobile allemande a bénéficié très fortement de la phase de croissance spéculative européenne (2003-2008). L’enrichissement artificiel d’un certain nombre de pays a entraîné un boom de la demande pour le haut de gamme. En l’espace de dix ans, BMW, Mercedes et Audi ont vu leurs ventes exploser, d’abord en Europe puis en Chine et dans pays émergents.
Ayant engrangé les bénéfices de cette croissance forte, ils ont diversifié leur gamme et entamé une descente en gamme avec des véhicules du type Audi A1 ou la Série 1 de BMW. Cela leur a permis de bien résister à la crise de 2008 là où d’autres constructeurs européens comme PSA, Renault ou Fiat ont souffert, et continuent à souffrir beaucoup. Même si la demande pour le haut de gamme a un peu baissé en Europe, l’industrie automobile allemande dispose de relais de croissance importants à l’international.

Volkswagen peut-il réussir son pari de devenir le premier constructeur automobile mondial ?

Les facteurs qui ont fait la réussite de Volkswagen ces dix dernières années devraient perdurer encore quelques années. L’objectif de dix millions de voitures produites à l’horizon 2018 est atteignable, sachant que Toyota et General Motors (ndlr : n°1 et 2 en 2102) risquent de voir la demande sur leurs marchés respectifs se tasser. Dans ces conditions, je ne vois pas ce qui empêcherait Volkswagen de devenir numéro un mondial.

Les constructeurs allemands semblent avoir pris une certaine avance technologique. Peut-on les rattraper ?

Il faut relativiser la notion d’avance technologique. Tant que la symbolique automobile restera centrée sur la puissance, la tenue de route, les constructeurs allemands garderont année après année leur avantage sur l’ensemble des gammes. Mais dès lors qu’il faudra aller vers des véhicules radicalement moins-disant en termes d’émissions ou de prix de vente, les constructeurs allemands risquent d’être pris au dépourvu. Les allemands sont loin du compte sur l’électrique, le low-cost. Cela est moins vrai pour l’auto-partage qui est encouragé en Allemagne.

Au cours des dix dernières années, la Chine a donné une bouffée d’oxygène au premier modèle, le plus conservateur. Mais aujourd’hui le gouvernement chinois entend aujourd’hui favoriser l’émergence de modèles low cost afin de satisfaire aux besoins de sa population rurale. Ce n’est pas du tout ce que savent faire les Allemands. On l’a bien vu avec la coentreprise entre Volkswagen et Suzuki qui visait justement à développer des petites voitures pour les marchés émergents. La collaboration a été arrêtée car elle impliquait de remettre en cause toutes les pratiques d’ingénierie et commerciales de VW.

Donc, selon vous, Renault et PSA ne doivent pas chercher à reproduire le modèle allemand ?

La réponse est non, évidemment. Tout le monde ne peut pas être allemand. Le cœur du marché européen est du reste assez éloigné de ce que les allemands savent faire. Les constructeurs allemands fondent leur réussite sur un modèle d’affaires dit « twickle down », c’est-à-dire en réalisant l’essentiel de leurs profits et de leurs innovations sur le haut de gamme. Or, historiquement, l’industrie automobile ne s’est pas développée comme cela. Au contraire, les ruptures sont longtemps venues de marques populaires, de Chevrolet à Fiat en passant par Volkswagen. Le mouvement vers le haut de gamme n’est pas inéluctable.

Propos recueillis par François Schott