Interview de Morgan  Carval : Responsable de la gestion actions chez Federal Finance Gestion

Morgan Carval

Responsable de la gestion actions chez Federal Finance Gestion

Parmi nos principales convictions figurent Eiffage, Faurecia, Air France KLM, Nexity, Eurotunnel, Orpea et Ubisoft

Publié le 03 Mars 2014

Quel regard portez-vous sur le parcours des petites et moyennes valeurs depuis le début de l’année ?
Nous nous attendions en fin d’année dernière à un différentiel de performance notable entre les larges capitalisations et les petites et moyennes capitalisations. Deux raison à cela, les perturbations dans plusieurs pays émergents et l’amélioration de la toile de fond macroéconomique en Europe.
Les grands groupes cotés en Europe sont fortement exposés aux pays émergents, globalement à hauteur de 25% de leur activité. Pour ce qui est des sociétés cotées dans l’indice Ibex espagnol, cette proportion monte même à 33%.
Les petites et moyennes valeurs européennes ont une présence davantage domestique.
Parallèlement, le segment des petites et moyennes valeurs est plus sensible à une embellie de la conjoncture. Le moindre gain au niveau de la « top line » permet, par un effet de levier significatif, une hausse importante du bénéfice par action (BPA).
Ainsi, le consensus table aujourd’hui sur un accroissement du BPA de 35% sur le Cac mid & small, contre 11% pour l’Eurostoxx.

Nous avons été quelque peu surpris face à la rapidité avec laquelle notre scénario s’est concrétisé. A ce jour, la performance du Cac mid & small est à plus de 6% et celle du Cac small à plus de 12%, contre 0,56% pour le Cac 40. Je pense que de nombreux acteurs anticipent l’arrivée de flux liés à la création du PEA PME.

Une progression de 35% des bénéfices, cela vous semble-t-il plausible ?
L’objectif est atteignable. Il y a lieu cependant de faire attention au décalage qui pourrait être induit par la forte dépréciation des devises émergentes. Quelques sociétés de moyenne capitalisation d’envergure sont considérablement positionnées dans les pays émergents, par exemple Seb.
Ainsi, nous sommes plus confortables avec une perspective bénéficiaire de 25%.
On voit d’ailleurs que certains analystes ont commencé à réviser à la baisse leurs prévisions eu égard à certains déceptions dans les résultats du quatrième trimestre d’entreprises comme Nexans, Rexel.

Qu’anticipez-vous en termes d’introduction en bourse cette année ?
S’il n’y a pas de crise majeure, liée à ce qui se passe en Ukraine ou aux grandes difficultés économiques rencontrées par d’autres pays émergents, nous devrions avoir davantage d’introductions en bourse cette année qu’en 2013.
Les fonds de capital investissement ont procédé à très peu d’IPO ces cinq dernières années et ont la volonté de sortir sur la cote certaines entités dans lesquelles ils ont investi.

Certains critiquent le fait que les dossiers qui sont sortis sont surtout des sociétés de biotechnologie, Deinove, Global Bioenergy, Metex, Orège ?
Il est vrai que la biotechnologie constitue une spécificité française en ce que la recherche est plutôt en pointe dans le pays.
En outre, la thématique fonctionne bien auprès des investisseurs particuliers.
Pour autant, il y a lieu d’avoir à l’esprit que ce ne sont pas les mêmes dossiers de biotechnologie que l’on avait il y a quelques années.

Que voulez-vous dire ?
Par le passé les sociétés étaient focalisées sur le développement couteux d’une molécule et s’introduisaient très en amont, comme Innate Pharma, ou BioAlliance Pharma.
Dans les derniers cas que l’on a eus, les business modèles étaient davantage focalisés sur les modes d’administration et de diffusion des médicaments, comme DBV Technologies avec ses patchs anti allergiques, Erytech Pharma, ou Crossject.

Aurons-nous d’autres secteurs que celui de la santé cette année ?
Dernièrement nous avons vu l’introduction de Tarkett spécialisé dans les matériaux de construction et GTT qui évolue dans le secteur énergétique.
D’autres noms circulent dans le domaine de la technologie et de l’environnement.

D’aucuns craignent que la place de Paris ne soit pas en mesure d’attirer les plus belles sociétés de l’Hexagone et que ces dernières cherchent davantage à se coter à l’étranger ?
Je pense effectivement que les très belles sociétés de technologie vont continuer à s’introduire outre Atlantique dès lors que la capacité d’absorption et de revalorisation sur le marché boursier américain est plus élevée que sur le marché français.

Que tablez-vous sur le front des fusions acquisitions ?
Nous nous attendons à une configuration similaire à celle de l’année dernière. Malgré le fait que nous soyons en début de cycle économique, les valorisations sont quelque peu hautes et peuvent constituer un frein. Nous ne parions pas sur cet élément de soutien dans notre stratégie de sélection de valeur. La survenance d’une opération reste une option gratuite si la valeur choisie parait être également une cible potentiellement attractive.

Que voyez-vous du coté des flux ?

Jusqu’ici les flux ont surtout concernés les acteurs les plus liquides. Cela n’est pas surprenant si l’on considère que les 15 premières sociétés du Cac mid & small- qui contient 80 valeurs- représentent quasiment 50% de l’indice en termes de capitalisation boursière.

Voyez-vous un risque d’emballement de flux sur certains titres ?

Oui. Si la collecte des nouveaux fonds créés pour répondre au nouveau dispositif du PEA PME se révélait très abondante, nous pourrions avoir effectivement une bulle sur les valeurs moyennes les plus liquides.

Considérez-vous ce risque sérieux sur certains titres spécifiques aujourd’hui, par exemple Gemalto et Ingenico qui sont très plébiscités ?
Jusqu’ici, ces deux actions ne connaissent pas une performance en amont du fonds PEA PME mais en réaction aux bons résultats financiers affichés.
A ce stade de l’année, je ne perçois pas vraiment de titres qui soient sujets à une frénésie injustifiée par rapport aux fondamentaux de l’entreprise.

Le segment des small et mid caps français qui fait 200 milliards de capitalisation présente l’avantage d’être très diversifié. On y trouve le secteur de la santé, de l’industrie de qualité avec Faiveley, Saft, Parrot, des médias, de l’immobilier.

Vous attendez-vous à une intervention additionnelle de la Banque centrale européenne comme facteur favorables au marché ?
L’intervention de la BCE pourrait aider à avoir une contraction supplémentaire de la prime de risque. Néanmoins celle-ci s’est déjà beaucoup contractée. Ce dont nous avons principalement besoin c’est l’assurance d’une stabilisation de la croissance économique et une augmentation des bénéfices en conséquence.
Dans cette optique, je pense que si une reprise devait fermement se dessiner, elle aurait lieu plus en 2015 qu’en 2014, que nous voyons comme une année de transition.

Cette hypothèse nous conduit à penser qu’en fonction de l’horizon positif ou négatif qui se sera éclairci en deuxième partie d’année, nous devrions avoir au second semestre soit une plus nette remontée du marché soit au contraire un tassement plus prononcé et plus durable.

Vous envisagez donc une année en deux parties ?
Oui.

Quelles sont les principales caractéristiques de votre allocation d’actifs ?

En prévention des problématiques liées aux pays émergents, nous nous sommes réorientés vers des valeurs plus domestiques, plus exposées à l’économie de la zone euro comme Eiffage, Faurecia, Air France KLM.
Nous sommes aussi allés plus sensiblement vers certaines valeurs décotées susceptibles de délivrer 50% de performance dans une optique de moyen terme-deux à trois ans- comme Nexity qui a un bilan sain et offre 7% de rendement.
Nous nous sommes également positionnés sur des sociétés en mesure de délivrer une croissance structurelle à moyen terme comme Eurotunnel avec l’arrivée de Deutsche Bahn ; Orpea qui en 2015 devrait renforcer sa stratégie à l’international ou Ubisoft qui a déçu mais qui à notre sens a un potentiel de revalorisation marqué.

Sur le plan sectoriel, ressort de notre stock picking une dominante santé, notamment la biotechnologie.

Quels ont été les derniers mouvements dans votre portefeuille ?
Nous avons participé à l’IPO de GTT. Nous sommes sortis de Seb du fait des vents contraires venant des pays émergents.

Quels sont les principaux risques pour les marchés que vous identifiez à ce jour ?
Le risque lié à la situation des pays émergents nous parait réel. Nous le prenons en compte dans chacun des dossiers dans lesquels nous investissons. Nous sommes relativement surpris par la baisse non négligeable de la devise chinoise. Le mouvement n’est pas anodin et mérite qu’on le suive étroitement.
Certains pays qui ont été affectés de plein fouet comme le Brésil ou la Turquie n’ont pas pris à mon avis les mesures requises pour assainir leur économie.
Pour le moment, nous n’avons pas encore assisté à un ralentissement prononcé de la croissance dans ces pays, uniquement à une forte dévaluation. Nous ne sommes pas à l’abri de constater un essoufflement plus affirmé au cours des prochains mois.
Des sociétés occidentales pourraient être contraintes à enregistrer plus de dépréciation d’actifs.

Aux Etats-Unis, nous contrôlons avant tout l’évolution du taux de chômage et les créations d’emplois qui influent directement sur le principal moteur de l’économie américaine, la consommation. Le président Obama s’efforce de créer un plan de relance d’infrastructures. Il est pour l’instant bloqué par le parti républicain au Congrès. Nous ne parions pas trop là-dessus.
L’état de la macroéconomie et le niveau d’inflation dans la zone euro sont des sujets sérieux que nous approfondissons. Il est certain que la déflation ne fait pas partie de notre scénario central. Toutefois, la menace n’est pas à prendre à la légère.
L’impact des perturbations géopolitiques est difficile à apprécier. Nous surveillons étroitement les tensions entre l’Ukraine et la Russie et entre la Chine et le Japon.



Propos recueillis par Imen Hazgui