Interview de Jean-Luc Allain : Associé-fondateur de la société Trusteam

Jean-Luc Allain

Associé-fondateur de la société Trusteam

Nous pourrions avoir deux bonnes nouvelles pour le marché des actions de la zone euro

Publié le 22 Août 2014

Quel regard portez-vous sur l’évolution du segment des actions de la zone euro ? De quelle manière interprétez-vous la forte correction que l’on a observée cet été ?
Plusieurs facteurs expliquent cette correction. La montée des tensions géopolitiques en Ukraine et en Irak et la maladie d’Ebola qui risque de freiner le tourisme et le commerce avec les pays africains.
Nous avons par ailleurs eu des statistiques économiques et des indicateurs de confiance plus faible qu’attendu : le PIB de la France à 0, le PIB de l’Italie et le PIB de l’Allemagne à -0,2%, l’indice Zew en recul... Autant d’éléments qui attestent que la zone euro a beaucoup de difficulté à rebondir.
A cela s’ajoute le fait que la valorisation du segment des actions de la zone euro avait considérablement progressé et avait perdu son caractère bon marché.

Avez-vous été surpris par l’ampleur de la correction ?
Le marché des actions européennes est traditionnellement plus volatile que le marché des actions américaines. Ceci étant nous n’escomptions pas une perte en ligne droite de 10% ce d’autant plus que parallèlement le marché américain a très peu corrigé.

Quelle lecture faites-vous personnellement des chiffres publiés par les sociétés européennes ? Le ratio de surprise positive par rapport au bénéfice est de 54% contre une moyenne de 60%. Ce ratio tombe à 44% pour le chiffre d’affaires contre une moyenne de 50%.
Ces résultats mitigés des entreprises européennes s’expliquent en premier lieu par la faiblesse de la croissance. Un certain nombre de valeurs cycliques, à l’instar de Vinci ou d’ArcelorMittal ont dû annoncer un avertissement sur résultats.
Dans le secteur bancaire, les amendes ont fortement pesé sur les chiffres.
Les entreprises internationales, ont quant à elles, de nouveau été impactées négativement par la force de l’euro. Une entreprise comme Nestlé a fait état d’une répercussion sur le résultat opérationnel à hauteur de 5%.
Enfin, certaines entreprises comme Adidas ou Total ont mis en garde sur le fait que leur activité devenait plus compliquée en Russie consécutivement aux sanctions prises contre le pays par l’Europe.

De quelle manière avez-vous accueilli la significative révision à la baisse du consensus des bénéfices des analystes. Ces derniers tablent désormais sur une progression de 6/7% après les résultats du premier semestre, contre le double en début d’année ?
Il est habituel qu’il y ait des révisions baissières, les analystes étant très optimistes en début d’année par rapport à la réalité.

Vous attendez vous à présent à une stabilisation du consensus ou à une poursuite de la tendance baissière ?
Nous devrions assister à une stabilisation du consensus, en particulier parce que l’effet devise devrait être moins défavorable au troisième et quatrième trimestre et devrait ainsi compenser l’affaiblissement de la dynamique économique.

Quels commentaires vous inspire à présent la valorisation du segment de marché? Le PE est de 16 fois. Vous attendez-vous à une diminution de ce PE, autrement dit pensez vous que la phase de correction a vocation à perdurer ?
On calcule en principe la moyenne historique en incluant le PE des 12 prochains mois. Cela nous donne alors 14,5. Le marché a perdu sa décote et est revenu à la normal.
Nous n’escomptons pas une hausse de la valorisation. Nous attendons une performance annuelle du segment de marché en ligne avec la perspective de progression des bénéfices, soit de 6%-7%. Autrement dit nous devrions retrouver en fin d’année le niveau de valorisation qui primait fin juin.

Pensez-vous que les opérations capitalistiques, comme les fusions acquisitions pourraient contribuer à la performance du marché ?
Aujourd’hui nous sommes essentiellement sur une approche fondamentale. Les opérations capitalistiques ne jouent que marginalement dans notre stratégie d’investissement.

Quels sont les principaux foyers de risque identifiés pour ces prochains mois ?
Les risques perçus se sont matérialisés cet été : la faible croissance, l’accentuation des perturbations géopolitiques.
Nous pourrions en revanche avoir deux bonnes nouvelles pour le marché : une dépréciation supplémentaire de l’euro et une intervention additionnelle de la BCE pour écarter définitivement la menace de la déflation. On a le sentiment que le président de l’institution monétaire est enclin à adopter d’autres mesures en soutien qui devraient maintenir les taux durablement bas de ce coté ci de l’Atlantique.

Est-ce à dire que vous excluez une contagion de la hausse des taux américains à la suite de l’amorce du processus de relèvement des taux directeurs par la Fed ?
La question se pose. Toutefois, si contagion il y a, elle ne sera pas ressentie cette année mais en 2015. Pour la Fed, en dépit de l’amélioration du marché du travail, des capacités sont encore largement sous utilisées. Il y aurait encore une base importante de personnes sans emploi.
De ce fait, si un terme devrait être mis au programme de rachat d’actifs cet automne comme prévu, une prudence continuera à être affichée par rapport à la remontée des taux directeurs. Le processus de hausse devrait ensuite être très graduel. En somme les répercussions sur le continent européen devraient être limitées ce d’autant plus que la BCE agira de manière à ce que cela soit le cas.

Toujours est-il que l’enclenchement avéré du processus de relèvement des taux par la Fed devrait quelque peu chahuter le marché des actions européennes ?
Les actions américaines ont très peu corrigé et sont à leur plus haut. Nous avons un risque que le mouvement de la Fed sur les taux conduisent à un recul des actions américaines et par effet de ricochet à un repli des actions européennes.

Dans ce contexte quelque peu compliqué qu’en est-il de votre allocation d’actifs ?
Nous sommes encore investis sur les actions considérant qu’une fois l’été passé, le segment devrait surprendre positivement.

Sur les taux, nous sommes sur une duration courte, autour de 3 à 5 ans.

Sur le compartiment des actions, que jouez-vous en particulier ?

Nous avons une logique d’investissement basée sur la satisfaction clients. De nombreuses études universitaires ont montré que les entreprises dont les clients étaient satisfaits arrivent à les fidéliser, ont un cout de marketing plus faible, ont des marges plus élevées, sont en mesure d’avoir des parts de marché plus importantes que leurs concurrentes, d’être plus rentable et d’investir davantage pour maintenir la satisfaction de leurs clients existants.
Nous avons ainsi dans l’automobile Daimler, BMW et Michelin. Nous avons dans le luxe Christian Dior et Kering.

Depuis janvier avez-vous entré, renforcé, sorti ou allégé des valeurs ?
Nous avons participé à l’introduction en bourse d’une banque en ligne italienne, Fineco, filiale d’Unicredit. Cette banque est en mesure de se développer plus rapidement que les banques traditionnelles, ayant des couts plus faibles et une satisfaction clients plus élévée.

Propos recueillis par Imen Hazgui