Interview de Frédéric Saffroy : Avocat spécialisé dans les questions d'intelligence économique au cabinet Alérion

Frédéric Saffroy

Avocat spécialisé dans les questions d'intelligence économique au cabinet Alérion

En matière d'intelligence économique, les entreprises françaises doivent apprendre à être plus vigilantes

Publié le 07 Janvier 2011

Quels sont les dispositifs qui protègent les entreprises de leurs salariés en termes d’espionnage industriel en France ?
Je mets de côté les questions d’espionnage liées à la Défense ou portant «atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation», qui font l’objet d’une réglementation pénale spécifique. Dans les affaires d’espionnage industriel, il existe des obligations qui sont fonctions du statut ou de la fonction des individus. D’après le Code du travail, tout salarié a une obligation de loyauté, qui inclut l’interdiction de diffuser des informations relatives à son employeur à l’extérieur. Cette obligation peut être renforcée par le règlement intérieur ou un code d’éthique de l’entreprise. Enfin, le salarié peut être soumis à des clauses de confidentialité et de secret qui sont directement stipulées dans son contrat de travail. S’agissant de hauts responsables, d’administrateurs, c’est l’article L. 225-37 du Code de commerce qui leur impose la discrétion.

Les sanctions revêtent-elles un caractère pénal ?
Ces obligations ont un caractère civil. A vrai dire, seules les questions liées à la Défense nationale ont un caractère pénal. Pour les entreprises, les poursuites deviennent pénales suivant la manière dont les informations ont été récoltées. Par exemple, si la personne concernée a réussi à accéder à un fichier non-autorisé ou s’il s’agit d’un vol, elle risque suivant le cas, jusqu’à 3 ans de prison et 450 000 euros d’amende. Il existe d’autres qualifications pénales, selon les raisons de la diffusion de l’information. Si la récupération d’information fait l’objet d’un paiement, on parlera alors de corruption passive. Et depuis 2008, la corruption active ou passive est pénalement sanctionnée lorsqu’elle concerne l’entreprise. D’autres qualifications existent suivant les cas, comme l’abus de confiance.

Y a-t-il un laxisme de la part de l’administration en matière d’espionnage industriel ?
Il y a une prise de conscience depuis 4/5 ans, notamment après l’affaire d’espionnage chez Valeo par une stagiaire chinoise. Des missions ont été mises en place et le député Carayon a mené une étude là-dessus. En fait, le gouvernement essaie de sensibiliser les entreprises à ces enjeux. Il y a trop souvent le syndrome du «cela n’arrive qu’aux autres». Il ne faut pas non plus tomber dans la paranoïa, mais les entreprises doivent apprendre à être plus vigilantes. Les entreprises des secteurs de la défense et de l’aéronautique ont une culture de la protection. Les autres entreprises, lorsqu’elles sont victimes d’espionnage industriel, préfèrent garder le silence pour protéger leur image. Parfois, la détérioration de l’image de l’entreprise peut être plus préjudiciable que la perte d’informations stratégiques.

Y a-t-il des secteurs privilégiés par l’intelligence économique ?
Ce sont notamment les secteurs sensibles en termes technologiques et économiques, gros pourvoyeurs d’emplois, où avec des enjeux financiers énormes. En l’occurrence, l’automobile est un secteur stratégique en termes d’emplois. Par exemple, le secteur des banques et assurances est également recherché pour toutes les informations sensibles relatives à leurs portefeuilles de clientèle, leurs techniques de recrutement de clients, ou encore les logiciels d’évaluation des situations financières.

Propos recueillis par Nabil Bourassi