Interview de Didier  Borowski  : 
Responsable de la stratégie et de la recherche économique chez Amundi

Didier Borowski

Responsable de la stratégie et de la recherche économique chez Amundi

Guerre des monnaies : l' l'engagement des pays du G7 sonne creux

Publié le 13 Février 2013

De quelle manière considérez-vous la ferme volonté affichée par les autorités japonaises de procéder à une dévaluation de leur monnaie ?
Il y a lieu de remettre les choses en perspectives. Entre l’été 2007 et l’été 2012, le yen s’est apprécié de près de 30% en termes de taux de change effectif réel et de près de 50% en termes de taux de change effectif nominal. Cette évolution a lourdement pesé sur les exportations japonaises notamment dans les biens d’équipement, l’automobile, l’électronique. Ces exportations n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant crise dans la phase de reprise économique entre 2009 et 2011.

Les autorités japonaises ont sans doute en tête l’appréciation réelle du yen, qui s’était déroulée au cours de la première moitié des années 1990. Celle-ci avait été du même ordre de grandeur et avait alors contribué à précipiter l’économie japonaise dans la déflation.

C’est ce qui explique pourquoi la priorité affichée, depuis l’alternance politique du 16 décembre, a été de revoir le mixe politique monétaire-politique budgétaire du Japon…
Tout à fait, afin de soutenir l’économie du pays, un vaste plan économique a été lancé et une plus grande intervention de la banque centrale du Japon (BoJ) a été demandée.
Sa cible d’inflation a été relevée de 1% à 2% en janvier. La décision a été prise d’annoncer un an à l’avance le lancement d’un programme d’achat d’actifs japonais de grande envergure, à hauteur de 13 000 milliards de yens, soit environ 145 milliards de dollars par mois. Le Japon a également indiqué son intérêt pour les obligations émises par le Mécanisme européen de stabilité.

Ce programme d’achat d’actifs japonais est censé être activé à compter de janvier 2014…
En cela la Banque du Japon indique au monde entier qu’elle sera vraisemblablement la dernière à arrêter sa politique monétaire d’assouplissement quantitatif alors que, parallèlement, il est question d’interrompre cette politique aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Un tel programme, couplé aux achats d’actifs prévus pour cette année, triplerait le bilan de la BoJ d’ici fin 2014 !

La simple annonce de l’expansion du bilan de l’institution monétaire a suffi pour ancrer les anticipations des investisseurs sur un yen beaucoup plus faible...
La BoJ a très certainement tiré les leçons des effets d’annonce de la banque centrale suisse et de la Banque centrale européenne.
Quand la banque centrale suisse (BNS) a annoncé, en septembre 2011, qu’elle interviendrait de façon à maintenir un plafond pour le franc suisse (parité euro-franc suisse fixée à 1,20 au minimum), l’ajustement à ce niveau-seuil s’est produit immédiatement, et ce, sans que la banque centrale n’ait besoin d’intervenir. Dit autrement, l’annonce a été jugée crédible : jusqu’en avril 2012, la BNS n’a pas eu besoin d’acheter des euros pour maintenir ce seuil.
Dans un tout autre registre, quand la BCE a annoncé, l’été dernier, le lancement d’un programme d’achat des titres de dette des Etats de la zone euro en difficulté (les fameux OMT), rapidement les taux d’intérêt sur les emprunts d’Etat des pays périphériques se sont repliés. Or en pratique, la BCE n’a acheté aucun titre depuis l’été dernier ! Le programme OMT est apparu comme crédible, jouant en quelque sorte, le rôle d’une « option gratuite ».
En définitive, l’annonce de la BoJ nous apparaît d’autant plus crédible que celle-ci a une longue tradition interventionniste sur le marché des changes. De plus, des proches du premier ministre se sont explicitement déclarés favorables à un yen plus bas, entre 95 et 100 s’agissant de la parité dollar-yen.

A quelle évolution du yen vous-attendez-vous ?
Une dépréciation du yen de quelque 10% supplémentaire nous semble plausible.
Une parité dollar/yen aux alentours de 100 dans une phase de reprise de commerce mondial permettrait au Japon de capter plus de croissance mondiale et de regagner, pour partie, les parts de marchés perdues entre 2007 et 2012. A ce stade, nous ne pensons pas que le yen ira beaucoup plus bas. Car, dans ce cas, l’inflation importée viendrait amputer le pouvoir d’achat des ménages, ce qui serait contre productif. D’ailleurs, plusieurs officiels japonais ont déclaré qu’un dollar au dessus de 110 yen n’était pas souhaitable.

Quelle est selon vous la bonne valeur du yen ?
En parité du pouvoir d’achat, la parité d’équilibre est d’environ 90-95 yen pour un dollar. A partir de notre modèle d’équilibre, nous arrivons à une estimation du même ordre de grandeur. Ainsi la parité actuelle reflète peu ou prou les fondamentaux. Considérant ces métriques habituelles de valorisation du change, le fort affaiblissement du yen peut donc s’analyser comme une correction de sa surévaluation. Ceci étant, un large débat entoure la manière de calculer les taux de change d’équilibre. Certaines approches mettent davantage l’accent sur le niveau du change susceptible de stabiliser la position extérieure nette d’une nation. Dans ce cadre, des travaux montrent qu’une parité dollar/yen à 0,77 est nécessaire. Mais cette conclusion est loin de faire l‘unanimité. Ce sont les approches « classiques » qui retiennent le plus l’attention.

Que penser du communiqué du G7 en la matière ?
Il est très bref ! Sans surprise, il en ressort assez peu de choses. Le communiqué assure que les Etats n’utiliseront pas les taux de change comme instrument de politique économique. Mais l’engagement sonne creux. Le communiqué répète comme d’habitude que les mouvementes désordonnés et la volatilité excessive ne sont pas souhaitables, qu’il faut laisser les taux de change se déterminer librement sur les marchés…
Si tout le monde venait à vouloir faire de la dévaluation compétitive, ce serait implicitement avec des banques centrales qui feraient de la surenchère en termes de création monétaire. L’excès de liquidité au niveau mondial continuerait d’augmenter, sans que personne n’y gagne vraiment au final. Difficile de concevoir que le G7 soit le bon juge de paix. Ceci dit, il est dans son rôle. L’objectif est d’éviter de provoquer un regain de protectionnisme en montrant un semblant de concertation monétaire…Un sujet à suivre de près.

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Propos recueillis par Imen Hazgui