Interview de Frédéric  Rollin  : Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Frédéric Rollin

Conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet & Cie

Nikkei, Topix : les actions japonaises nous semblent être le meilleur investissement à faire dans un horizon de six à douze mois

Publié le 30 Avril 2013

Que pensez-vous à ce jour des actions japonaises ?
Nous avons une opinion positive forte sur les actions japonaises depuis la moitié de l’année 2012. Nous sommes acheteurs sur le long terme, même s’il nous arrive de prendre des  bénéfices à certains moments lorsque nous pensons que le rallye a été trop fort.

Comment justifiez-vous cette opinion positive ?
Nous nous attendons à un changement profond de l’économie japonaise.

Les Accords du Plaza du 22 septembre 1985 et la réévaluation consécutive du yen ont eu des incidences néfastes sur l'économie Japonaise. La politique monétaire expansive alors mise en place pour soutenir la croissance a créé une bulle du prix des actifs, particulièrement des prix des actions et des prix des biens immobiliers. Cette bulle a explosé dans les années 1990. Les crash boursier et immobilier ont alors eu des effets dévastateurs sur l'économie, encore visibles aujourd'hui.
Dans les grandes villes japonaises,la valeur des biens dans l’immobilier commercial a perdu 87% depuis son point haut du début des années 90. Le Nikkei qui était proche de 40000 points est passé sous la barre des 7000 points.
Une déflation sans précédent s’est installée : les ménages et les entreprises ont concentré leurs efforts sur le désendettement, et ont réduit les investissements et la consommation. Fort heureusement, l’Etat a pris le relais en s'endettant massivement.
Nous pensons que la correction est terminée, et que le Japon est prêt à reprendre le chemin de la croissance.

Pour mettre un terme à cette déflation, des mesures ont été envisagées par le premier ministre ?

C’est la seconde fois que Shinzo Abe arrive au pouvoir. La première fois, M Abe n'a pas mené de politique particulièrement efficace contre la déflation. C'est seulement lors de son accession au pouvoir en 2012 qu'il commencé à mettre en place une politique agressive visant à la fin de la déflation. Aussi les investisseurs n’ont pas cru tout de suite à ses propos.

Le premier ministre devait d'abord imposer son point de vue à la Banque Centrale du Japon, ce qui n'était pas aisé. La BoJ est effectivement hantée par deux vieux démons : l’hyper inflation d’après guerre et la bulle immobilière des années 80.
Le premier ministre est cependant parvenu à imposer comme gouverneur M Kudora qui avait occupé jadis le poste de vice ministre des finances. Haruhiko Kuroda, par son expérience et ses idées est en phase avec la politique expansive de M Abe.
En nommant un gouverneur proche de ses idées, Shinzo Abe a pu convaincre la Banque Centrale du Japon de mener une politique monétaire très expansionniste. Cette dernière a alors indiqué sa volonté de doubler son bilan dans deux ans afin d’atteindre un niveau d’inflation de 2%.
Shinzo Abe est donc crédible lorsqu'il affirme prendre toutes les actions nécessaires pour sortir définitivement le Japon de la déflation.

Une hausse de l’inflation est donc escomptée avant de parvenir à la croissance ? N’est ce pas prendre le problème de manière inversée ?
La BoJ applique une politique comparable en beaucoup de points à celle de la Fed. En stimulant l’appréciation des prix des actifs -actions et immobilier - , l’Institution monétaire désire créer un effet richesse positif qui conduira les ménages japonais à consommer de nouveau et les entreprises japonaises à investir plus massivement. La BoJ espère alors que cette consommation et cet investissement seront suffisants pour faire repartir la machine, et permettre au Japon d'entrer dans un cercle vertueux. L’inflation des prix des actifs est ainsi envisagée comme un moteur pour l’économie. A cela s'ajoute la dépréciation du Yen, qui dynamise les exportations.

Quelle est votre vision sur ce point ?
Nous sommes particulièrement positifs sur l’évolution future de la balance commerciale du Japon. Selon les analyses de l'Institut japonais de Recherche Economique et Sociale , les exportateurs japonais sont compétitifs à partir de 83 yens pour un dollar US. Or le niveau du Yen est actuellement proche de 100 yens pour un dollar US.
Les exportations ont déjà crû de 2,8% en mars. La tendance devrait se poursuivre.
Indépendamment de la dépréciation du yen, les entreprises japonaises avaient déjà grandement gagné en compétitivité. Pour encaisser les chocs extrêmes auxquels elles ont du faire face : un krach boursier, l’éclatement d’une bulle immobilière, une déflation de près de vingt ans, une devise surévaluée, un tsunami, un incident nucléaire d’envergure avec Fukushima, elles ont du s’adapter. Elles se sont efforcées à être plus productives, d’une part en externalisant dans des pays à plus bas coût et en diminuant intra muros le coût unitaire salarial. Les analystes de l'OCDE confirment ce fait : en l’espace de dix ans, entre 2000 et 2010, le coût unitaire du travail a baissé d'environ 10% au Japon alors qu’il a largement progressé dans l'ensemble de l'Europe.

Le FMI et l’OCDE ont tour à tour mis l’accent sur le fait que les politiques budgétaire et monétaire du Japon seraient inefficaces si des réformes structurelles n’étaient pas mises en place. Qu’en pensez-vous ?
Il nous semble que Shinzo Abe a la capacité de mener à bien ces réformes attendues. Le profil de popularité dont jouit le premier ministre est sans commune mesure avec ses prédécesseurs. Le taux d’opinions favorable dépasse 70%. Il est fort probable que le parti au pouvoir remporte la majorité à l’issue des élections qui devraient se dérouler à la Chambre Haute en juillet. Cette majorité est déjà acquise à la Chambre Basse. En somme, le gouvernement devrait avoir la marge de manœuvre nécessaire pour faire passer un certain nombre de projets phares et pas toujours populaires.
L’une de ces réformes concerne la conclusion d’un accord de libre échange avec 11 pays d’Asie Pacifique. Cet accord devrait par exemple aboutir au retrait de certaines protections aux agriculteurs japonais, qui en souffriront. En contrepartie, l'accord devrait être très profitable à des secteurs aussi porteurs que l’électronique, l’automatisation, la chimie.

Selon vous, des signes avant coureurs de la fin de la déflation sont déjà perceptibles ?

Absolument. Ces signes existaient avant même qu’il n’ait été mention des ambitions politiques de l’actuel premier ministre sur le plan budgétaire et monétaire.
Les bilans des banques, des entreprises et des ménages ayant été en grande partie reconstitués, une légère reprise du crédit des ménages et des entreprises était déjà observée, ainsi qu’un retour des opérations de fusions-acquisitions.
Le Japon a figuré deuxième dans le classement des opérations de M&A derrière les Etats-Unis en 2012. Les entreprises japonaises regorgeant de cash, ont préféré se développer en investissant dans des parts d’entreprises plutôt que de placer leur liquidité dans du monétaire qui ne rapporte quasiment rien. Cela dénote que beaucoup d'entreprises pensent être suffisamment désendettées, et qu'elles envisagent l'avenir de façon plus optimiste et ambitieuse.

L’inflation, hors denrées alimentaires et énergie, n’est pas encore positive mais est de moins en moins négative. Même si le pays est techniquement toujours en déflation -inflation négative-, la situation s'méliore depuis plusieurs années.

Vous écartez tout risque de dérapage de l’inflation ?
Je ne l’écarte pas mais il est bien trop tôt pour en parler d’ores et déjà.

Quel est l’horizon d’investissement sur les actions japonaises ?
Les actions japonaises nous semblent être le meilleur investissement à faire sur le marché des actions dans un horizon de six à douze mois. Nous les préférons aux actions européennes.
Même si le marché a beaucoup progressé et qu’il est sur le plan historique à sa juste valeur, il présente encore du potentiel.
Des soubresauts auront très probablement lieu, il faudra investir sur les faiblesses de marché si elles adviennent.

Selon le consensus des analystes, les bénéfices devraient croitre de 48% cette année. Qu’en pensez-vous ?

Les bénéfices vont effectivement croître fortement, portés par le rebond de l'économie locale et des exportations. Ils partent, de plus, d'une base faible. Beaucoup d’entreprises présentent même un potentiel plus élevé.

Quelles sont les thématiques que vous jouez ?
Nous avons une préférence pour les entreprises innovantes et exportatrices. Les entreprises japonais ont des budgets de recherche très élevés. Au total, le pays se situe second derrière les Etats-Unis, loin devant l’Allemagne, la Suisse ou la France. Parmi les entreprises qui pourraient tirer son épingle du jeu, nous trouvons Nitto Denko. Cette société, infatigable dans la quête de l'amélioration de ses produits, sait désormais fabriquer des composants pour écrans tactiles parmi les plus légers et les plus fins du secteur. Son activité est en forte croissance grâce à la venue sur le marché des mini-tablettes,qui nécessitent ces qualités.

Le secteur de l’immobilier va bénéficier de la sortie de la déflation. Global One Reit est une société de moyenne capitalisation qui gère de l'immobilier de bureau. Les bénéfices s’élèveront, portés par la hausse du taux d’occupation et des loyers.

Qu’en est-il de votre positionnement vis-à-vis du yen ?

L'essentiel de la baisse du yen est déjà faite. Nous faisons pourtant le choix de nous couvrir.
La remontée du yen nous semble très peu probable. Face au ralentissement de la politique expansive de la Réserve fédérale américaine et à l’immobilité de la Banque centrale européenne, la BoJ dispose des armes pour maintenir un niveau de Yen peu élevé.
En revanche, 5 à 10% de baisse du yen sont encore possibles. Un conseiller du premier ministre, s’exprimant en janvier, a signalé qu’un cours du yen au dessus de 110 dollars serait trop bas, admettant en creux qu'un niveau entre 100 et 109 pourrait l'agréer.

Propos recueillis par Imen Hazgui