Interview de Hervé Liévore : Stratégiste senior spécialisé sur la Chine chez HSBC  Global Asset Management

Hervé Liévore

Stratégiste senior spécialisé sur la Chine chez HSBC Global Asset Management

Les autorités chinoises auraient-elles perdu le contrôle de la deuxième puissance économique mondiale ?

Publié le 25 Avril 2014

Quel regard portez-vous sur le ralentissement de l’économie chinoise ?
Ce ralentissement n’est pas un nouveau phénomène. Depuis la mi-2010, nous faisons face à un essoufflement progressif qui correspond à un atterrissage en douceur de la croissance.

L’objectif officiel des autorités est d’atteindre un taux de progression de PIB « autour » de 7,5% pour cette année. Nous sommes d’avis que la terminologie « autour » employée à plusieurs reprises par le Premier ministre est importante. Elle suppose que Pékin pourrait se satisfaire d’une croissance légèrement inférieure à 7,5%. Aussi l’estimation de hausse du PIB à 7,4% au premier trimestre ne nous inquiète pas outre mesure.

Pensez-vous pour autant que la cible sera atteinte ?

Elle demeure pour l’instant totalement d’actualité.

La décélération de l’économie chinoise est attribuable à deux principaux facteurs…
D’une part, la politique économique chinoise reste relativement restrictive. Les autorités se sont fixées comme impératif de mieux encadrer l’activité de crédit afin de prévenir les dérives.
Ainsi, dans une certaine mesure, le ralentissement constaté sur le front de la croissance est souhaité par Pékin.
D’autre part, l’économie chinoise souffre d’un choc « exogène », à savoir le freinage assez prononcé du commerce international par rapport à la période d’avant crise. Ainsi, le pays qui est le premier exportateur mondial depuis 2009, devant l’Allemagne, subit de plein fouet l’atonie de la demande globale pour les biens importés.
Sur ce point, la marge de manœuvre des responsables du pays est mince.

De nombreux commentateurs font le lien entre, d’une part, le ralentissement de la croissance de la Chine et d’autre part la dévaluation soudaine du yuan, le premier défaut d’un émetteur obligataire corporate chinois ainsi que la plus forte volatilité des taux d’intérêt sur le marché interbancaire au cours des douze derniers mois. Cette corrélation les pousse à s’interroger sur le fait de savoir si les autorités chinoises ne seraient pas en train de perdre le contrôle de leur économie. Qu’en pensez-vous ?
Nous ne croyons pas du tout qu’il y ait une perte de contrôle.
Aussi bien la dévaluation du yuan, le premier défaut d’un émetteur corporate, que la hausse des taux d’intérêt sur le marché interbancaire sont des signaux d’une avancée de la Chine vers une nouvelle phase des reformes financières.

Jusqu’à l’arrivée de la nouvelle équipe dirigeante en mars 2013, toutes les réformes financières se sont matérialisées par l’ajout de quelque chose : un nouveau produit financier, une nouvelle régulation, une nouvelle zone économique spéciale pour donner quelques exemples. Ces différents éléments sont nécessaires pour créer un environnement propice au développement des mécanismes de marché. Ceci étant, la mise en place de ces mécanismes ne peut pas se faire sans qu’il y ait au préalable la correction des biais apparus précédemment. C’est ce à quoi nous assistons depuis a peu près un an.

La sphère financière chinoise a longtemps pu considérer que le gouvernement central interviendrait rapidement pour prévenir une trop forte volatilité sur les marchés, un comportement comparable, dans une certaine mesure, a la politique très active de la Fed lors du mandat d’Alan Greenspan (le fameux « Greenspan put »). Le fait que la banque centrale de Chine populaire ait mis quelques jours pour stabiliser le marché monétaire à plusieurs reprises l’année dernière a constitué un rappel utile pour certaines banques commerciales, essentiellement celles de second rang, qu’il était important de gérer leurs besoins de refinancement par une distribution de crédit plus sélective. En introduisant une certaine incertitude sur le comportement des autorités, le but du gouvernement chinois est de corriger les anticipations biaisées qui favorisent les surcapacités dans certains secteurs.

Quelle analyse faites-vous de la dévaluation du yuan contre le dollar de 2,8% depuis le début de l’année ?
La dépréciation du yuan par la Banque centrale a été principalement motivée par le caractère biaisé des anticipations du marché. Entre octobre-novembre 2012 et février 2014, le cours du yuan a toujours été très proche du sommet de la fourchette de fluctuation du cours fixé par la Banque centrale. Cette tendance sous entendait une forte attente des investisseurs d’une poursuite de l’appréciation de la devise chinoise, ce qui va à l’encontre du fonctionnement normal d’un marché et, au final, induit des prises de positions qui fragilisent le système financier

En outre, en 2013, de nombreuses devises asiatiques se sont considérablement dépréciées par rapport au dollar. Dans le même temps, la devise chinoise a continué de s’apprécier. Dans un contexte de faible croissance du commerce international, la cherté relative du yuan par rapport au yen japonais ou au won coréen par exemple a créé un désavantage compétitif. La Banque centrale a probablement souhaité atténuer ce handicap, mais probablement pas l’inverser. Il faudrait en effet procéder a une dépréciation substantielle, au-delà de 10%, pour espérer voir un impact sur les exportations. Un scenario politiquement risqué qui a donc peu de chances de se concrétiser.

Quelle suite des évènements envisagez-vous pour la devise ?
Nous estimons que le yuan devrait se stabiliser autour du cours actuel, à environ 6,20-6,25 contre dollar.

Les anticipations des investisseurs semblent désormais plus équilibrées, la mission de la Banque centrale a donc été remplie et il n’y a plus besoin a ce stade d’orchestrer une plus forte dépréciation.

Quelle est votre appréciation sur le risque de défauts en Chine ?
Parmi les déséquilibres qui sont nés au sein de l’économie chinoise figure l’accumulation irrationnelle de capacités de production dans certains secteurs. Pékin s’est fixé comme priorité d’améliorer l’allocation des ressources au sein de l’économie pour promouvoir une croissance économique davantage tirée par les gains de productivité que par l’accumulation de capacités de production.
Aussi, il n’est pas anodin de relever que le premier défaut survenu cette année concernait une société qui intervenait dans un secteur notoirement en surcapacité. Le défaut a été de taille extrêmement réduite. Il n’y a avait pratiquement aucune chance de voir se dessiner une crise systémique via une cascade de défauts échappant à la maitrise des autorités.

Vous vous attendez donc à d’autres défauts ?
Le processus de défauts n’est certainement pas terminé. Quelle crédibilité auraient les autorités dans leur promotion des mécanismes de marché si, dans le même temps, elles s’efforçaient d’éviter tout défaut ?
Difficile de pronostiquer le timing et l’ampleur de ces défauts. Toutefois, ils devraient rester modérés afin d’éviter les risques de contagion et la possibilité d’une crise systémique.
Il n’est donc pas exclu que, lorsque les circonstances l’exigeront, les autorités procèdent au renflouement de certains acteurs.

Des mesures en vue de favoriser la reprise de l’économie ont été dévoilée récemment, portant sur la construction de lignes de chemins de fer, de logements sociaux et sur l’abaissement de la fiscalité pour les PME.
Croyez-vous que d’autres mesures pourraient être adoptées d’ici la fin de l’année ?
De manière générale, les autorités sont enclines à mener une politique contra-cyclique. Le soutien apporté par les exportations à la croissance étant faible, il y a lieu de dynamiser autant que possible la demande intérieure. Il s’agira d’aider la consommation sans pour autant compromettre les réformes structurelles engagées. L’idée étant d’aboutir à une stabilisation et non à un violent redémarrage, l’aide à l’économie devrait en cela être réduite et beaucoup plus ciblée comparativement au vaste plan de relance de 2008-2009.

Ainsi, d’autres mesures de relance sont plausibles, essentiellement si d’autres signaux inquiétants se manifestent comme une détérioration trop significative du marché de l’immobilier compte tenu de l’importance stratégique de ce pan de l’économie, ou l’absence de reprise des exportations ;
Les actions pourraient aussi bien être prises au niveau central qu’au niveau local. Certaines collectivités ayant une bonne situation financière et en capacité de se refinancer à un coût abordable pourraient être autorisées à intensifier leurs dépenses d’infrastructures.

Comment voyez-vous le marché immobilier évoluer ?
Le marché devrait connaitre une phase de consolidation en 2014, avec une croissance plus lente qu’auparavant. L’un des meilleurs indicateurs avancés de la construction immobilière dans le pays est le taux d’intérêt réel, ou plus précisément le taux de base de rémunération des dépôts auquel est retiré le taux d’inflation. Ce taux a tendance à augmenter depuis le début de l’année en raison de l’affaiblissement de l’inflation autour de 2%, ce qui redonne un peu d’attrait aux dépôts bancaires par rapport à l’immobilier. Le marché a ralenti depuis le début de l’année mais le faible niveau des taux réels anticipes pour le reste de l’année devrait permettre au secteur immobilier d’atterrir en douceur.

Que prévoyez-vous du côté de la Banque centrale de Chine ?

Nous pensons que les taux de référence sur les crédits et les dépôts resteront inchangés cette année, tant que la conjoncture demeure stable.
Un amoindrissement du taux des réserves obligatoires pourrait être envisagée afin d’empêcher une éventuelle surchauffe sur le marché monétaire. La Banque centrale a déjà fait une annonce en ce sens pour les banques rurales. La décision est toutefois surtout symbolique. Le message envoyé étant que la Banque centrale peut faire preuve de flexibilité.

Cette diminution du taux des réserves obligatoires pourrait-elle être élargie à toutes les banques ?
Cela pourrait être le cas si un fléchissement trop prononcé se produisait sur le marché immobilier ou dans l’éventualité de difficultés de refinancement pour des produits de gestion de fortune (Wealth Management Products). Sur ce point, nous devrions connaitre un pic dans les besoins de refinancement liés à ces produits en avril et en mai. Nous ne sommes pas à l’abri de tensions sur le marché interbancaire.
Hormis ces deux cas de figure je ne vois quelle autre raison pourrait amener la Banque centrale à se contredire, en lâchant du lest sur la liquidité d’un côté tout en encourageant la mise en œuvre des réformes financières de l’autre.

Quels sont les grands agrégats économiques à suivre pour se faire une idée de la bonne santé de l’économie chinoise, hormis le PIB et la production industrielle ?
Sur le plan économique, nous avons le commerce extérieur : les exportations et les importations, et le volume d’activité dans les ports ; également la production d’électricité où il y a peu de place à la distorsion des données ; et les ventes de véhicules qui donnent une bonne idée de la demande provenant de la classe moyenne.
Au niveau financier, l’accent doit être mis sur le « total social financing », qui rassemble les crédits bancaires et les sources alternatives de financement de l’économie (émissions obligataires, émissions d’actions, et autres formes hybrides de financement qui recouvrent une bonne partie du shadow banking).

Quelle variation du marché actions présagez-vous à ce stade de l’année ?
Nous avons une vision positive sans être euphoriques. Une distinction est à opérer entre grandes capitalisations d’une part et petites et moyennes capitalisations d’autre part.
Les valorisations des grandes entreprises d’Etat sont très basses mais elles sont dans une large mesure justifiées par le niveau élevé du levier financier. Dans la période actuelle de transformation que connait la Chine, un tel levier est handicapant.
Cette problématique concerne bien moins les petites et moyennes entreprises dans lesquelles les taux de marge sont, de plus, plus importants et les ROE plus sains, susceptibles de croitre grâce à un plus fort levier financier.

Par ailleurs, l’activité d’introduction en bourse a tendance à repartir de plus belle entrainant un effet dillutif sur le marché. Il y a de plus en plus de capitaux qui s’investissent sur le marché actions mais ils sont davantage répartis.
Ces deux éléments réunis feront en sorte que le marché rebondira mais pas de manière effrénée.
Nous sommes plus confiants sur la capacité de sursaut du marché à moyen terme, à condition que les réformes financières envisagées soient couronnées de succès.

Des annonces ont été faites pour pousser les investisseurs à revenir sur le marché actions : la création d’une nouvelle zone de libre-échange de Shanghai ; le partenariat de la bourse de Shanghai avec la bourse de Hong Kong ; une vague de privatisation de certaines entreprises publiques ; une intention de doubler le taux de dividende de ces entreprises ; l’incorporation des actions A dans l’indice MSCI World…
Tous ces facteurs sont bienvenus, en particulier l’accord entre la Bourse de Shanghai et la Bourse de Hong Kong. Les quotas imposés pour investir à l’intérieur et à l’extérieur de la Chine, les QDII et les QFII sont des solutions imparfaites qui entrouvrent une fenêtre mais qui sont très intermédiées et lourdes à mettre en œuvre. L’accès direct prévu par ce partenariat va lever un frein bien que de façon limitée dans un premier temps. Cela devrait avoir un impact favorable sur la psychologie des investisseurs qui profitera aux deux Bourses.
Les autres mesures s’inscrivent dans la même logique.
Pour autant l’ensemble mettra du temps -plusieurs mois- à se mettre en place et à avoir des répercussions notables sur les actions chinoises.

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Propos recueillis par Imen Hazgui