Interview de Cyrille Collet : Directeur gestion actions chez CPR Asset Management

Cyrille Collet

Directeur gestion actions chez CPR Asset Management

Cinq convictions importantes au coeur de notre stratégie d'investissement : Bankia, Banco Sabadell, Banco popolare societal, Ubisoft, Peugeot, Deutsche Telekom

Publié le 23 Juin 2014

Quel regard portez-vous sur la performance des actions depuis le début de l’année ?
Malgré un premier trimestre quelque peu compliqué, le bilan est plutôt bon à l’issue du premier semestre. La performance enregistrée pour les actions mondiales se situe autour de 5%.

Avez-vous été surpris par certains mouvements ces six premiers mois de l’année ?
Une première surprise a résidé dans l’arrêt du rallye des actions japonaises qui s’explique essentiellement par la montée du cours du yen. Les flux de sortie abondants des pays émergents - près de 80 milliards de dollars- en considération des craintes autour de la politique monétaire de la Fed ont conduit les investisseurs à se retourner massivement vers les actifs jugés « refuges » comme le yen. L’appréciation de la devise nippone a pénalisé l’économie et la bourse japonaise. Ce n’est que depuis mai, qu’une amélioration de la situation est observable.

Une seconde surprise, positive cette fois-ci, s’est traduite par le retour en grâce des actions émergentes à la fin du mois d’avril. L’indice MSCI Emerging Markets (EM) enregistre une progression de plus de 10% depuis le début de l’année. La bourse de d’Indonésie affiche une envolée de 23% après un recul de 28% en 2013 et la bourse de Thaïlande un bond de 16% après un fléchissement de 17% l’an passé.
Si nous n’assistons pas sur un retour sur le devant de la scène de ces marchés a proprement parler du fait d’une poursuite d’une révision négative des estimations des bénéfices des entreprises, nous sommes bel et bien face à une reprise technique qui se justifie par une stabilisation sur le plan fondamental, et une accalmie sur le front des devises contre dollar.

Avez-vous été étonné de voir que ce ne sont pas les secteurs cycliques qui ont le plus performé ce premier semestre ?

Le retrait des secteurs cycliques-énergie, industrie lourde, matériaux de base- n’est pas une source d’étonnement. Bien qu’elle se soit affermie, la reprise globale est modérée. La croissance aux Etats-Unis est en dessous de son potentiel. Des incertitudes importantes demeurent sur la toile de fond macroéconomique en Europe.
Il est alors logique que ces secteurs, qualifiés de « hard value » mettent du temps à redémarrer. En témoigne le profit warning lancé par Vallourec il y a quelques jours en raison d’une commande importante par Petrobras.

Avec quel sentiment débuterez-vous le second semestre ?
Nous le débuterons plutôt bien orienté. Les grandes banques centrales des pays développés sont toujours très présentes.
La Réserve fédérale américaine sort à petit pas de sa politique monétaire ultra accommodante.
L’envie de détenir des actions subsiste.

Quels risques notables identifiez-vous pour les prochains mois ?

Les principaux risques sont les risques de nature géopolitiques et celui relatif à la publication des entreprises.

Que pensez-vous du risque de poussées inflationnistes ?
Plus que le risque d’inflation, prévaut le risque de déflation dans la zone euro. Malgré les dernières annonces de la Banque centrale européenne, celui-ci n’a pas disparu.
Aux Etats-Unis, malgré le renchérissement de la vie des habitants du pays, nous ne voyons pas de véritable menace inflationniste qui pourrait contraindre la Fed à accélérer le processus de normalisation de sa politique monétaire. Le marché de l’emploi est encore loin d’être restauré. La dette des particuliers reste abondante, principalement du fait du coût des études universitaires.

La probabilité que les taux remontent brutalement vous parait limitée ?
Les banques centrales feront de leur mieux pour que cela ne soit pas le cas.

Quelles sont en conséquence les principales caractéristiques de votre allocation actuelle ?
Même si l’allocation était plus agressive en début d’année par rapport à aujourd’hui, nous avons conservé notre position long actions et short taux.
Dans les obligations gouvernementales nous continuons à préférer les obligations des pays périphériques de la zone euro au détriment des obligations américaines et allemandes.
Nous avons toujours un fort positionnement sur les obligations des entreprises à haut rendement.
Dans la poche actions, nous avons gardé une forte exposition à la zone euro et au Japon. Nous sommes sous pondérés sur les Etats-Unis et sommes revenus progressivement sur les marchés émergents, singulièrement la Corée, Taiwan, Indonésie, Inde, le Chili et certains pays d’Europe de l’est qui continuent à être des usines de fabrication pour l’Europe de l’ouest.
Quelle performance escomptez-vous des deux cotés de l’Atlantique ?
Nous tablons sur une performance située entre 5 et 7% aux Etats-Unis et 10% dans la zone euro.

Le sujet de l’année continue à être pour les actions de la zone euro celui des bénéfices des entreprises ?
Le principal catalyseur pour la seconde moitié de l’année sera la publication des résultats.
Un relatif scepticisme persiste s’agissant de la publication des entreprises. Une amélioration des profits est indispensable pour permettre aux actions de la zone euro de se maintenir dans leur tendance haussière.
Dans le cas où ces bénéfices ne sont pas au rendez-vous, une correction de 15% à 20% n’est pas impossible.
Nous escomptons, pour notre part, des premières nouvelles constructives en juillet grâce à une légère reprise de la consommation émanant des pays développés et d’un arrêt de la dégradation de la demande provenant des pays émergents.

La baisse de l’euro pourrait également être un élément porteur ?
La dépréciation de la monnaie unique semble être un objectif implicite primordial pour la BCE.
Historiquement une dévaluation de 10% de la parité euro dollar conduit à une hausse de 1% du PIB sur un an et de 1,8% sur deux ans.
Si l’euro venait à perdre du terrain contre le billet vert, cela donnerait à coup sur une bouffée d’oxygènes pour les économies et les entreprises de l’union monétaire.
Il est difficile de dire ce qu’il en sera exactement, mais notre sentiment est que la trajectoire de l’euro ira dans le bon sens.
Nous avons pu mesurer avec l’appréciation du yen en ce début d’année à quel point la valeur de la devise nationale pouvait avoir une répercussion sur les cours de bourse. Il en sera vraisemblablement de même en cas de variation opportune de l’euro.

Comment expliquez-vous votre opinon favorable sur les actions japonaises ?
Nous comptons sur un raffermissement des fondamentaux du pays, une nouvelle tendance dépressionniste du yen et sur des facteurs plus techniques, comme l’évolution de la répartition des actifs détenus par le principal fonds de pension japonais. Celui-ci dispose de 1250 milliards de dollars et prévoit de diminuer sa poche obligations de 20%, afin de la ramener de 60% à 40%.
Ainsi, près de 250 milliards de dollars devraient être réalloués vers d’autres classes d’actifs, en particuliers les actions japonaises.

Quid du marché britannique ?
Nous sommes sous pondérés sur le Royaume-Uni. Le marché britannique a beaucoup mieux tenu pendant la crise. Une bulle immobilière a commencé à se créer dans le pays.
La Banque centrale est susceptible de relever son principal taux directeur plus rapidement que prévu non pas du fait d’une embellie plus importante de la conjoncture mais pour atténuer le risque de surchauffe.
Or le relèvement de ce taux pourrait impacter négativement la capacité de refinancement des entreprises britanniques et affecter leur cours de bourse.

Quelle vision avez-vous de la faiblesse du régime de volatilité ? Celle-ci doit-elle amener à s’interroger sérieusement sur l’utilisation d’instruments de couverture ?
La volatilité est très faible essentiellement à cause de la significative présence des banques centrales. Les fluctuations sur les marchés devraient être plus vives au second semestre aux Etats-Unis où la Fed est censée graduellement affermir le ton du premier relèvement à venir de son taux directeur.
Les mouvements devraient cependant demeurer modérés au Japon et en dans la zone grâce au soutien de la BoJ et de la BCE.
Dans ces conditions, des instruments de couvertures peuvent être pertinents, mais davantage outre Atlantique et plutôt pour la fin de l’année. Leur utilisation peut d’autant plus se justifier par rapport au cout d’opportunité dans la mesure où leur prix est bon marché actuellement.

Quelques mots sur votre allocation sectorielle ?

Nous donnons la primauté aux titres décotés et à dimension domestique plutôt qu’aux titres de croissance et à dimension internationale.
Nous sommes pour le moment sur la soft value, la hard value-les métaux, matériaux de base, industrie lourde-ne devant décoller qu’en fin d’année. Ces secteurs devraient toutefois arrêter de corriger.

Pourriez-vous nous livrer cinq convictions importantes au cœur de votre stratégie d’investissement ?
Bankia, Banco Sabadell, Banco popolare societal, Ubisoft, Peugeot, Deutsche Telekom.

Qu’en est-il de votre allocation géographique dans la zone euro ?
Notre processus de sélection étant basé sur les fondamentaux des entreprises, nous sommes plutôt neutres sur la sélection par pays. Toutefois notre ligne de démarcation titres décotés et à dimension domestique versus titres de croissance et à dimension internationale nous pousse à mettre l’accent sur l’Italie et l’Espagne au détriment de l’Allemagne et de la France.

Une dernière recommandation pour les investisseurs qui souhaiteraient davantage s’exposer aux marchés des actions ?
Une célèbre expression anglo saxonne dit « selling in may and go away ». Pour le coup, cette expression ne trouve pas à s’appliquer en l’état actuel des choses.

Propos recueillis par Imen Hazgui