Interview de Céline Antonin : Economiste au sein de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

Céline Antonin

Economiste au sein de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

Il y a une peur panique des opérateurs de marché qu'il y ait une défaillance en Allemagne

Publié le 27 Octobre 2014

Quel regard portez-vous sur les dernières statistiques économiques décevantes sur l’Allemagne concernant les commandes et la production industrielles ainsi que les exportations ?
Nous avons été quelque peu surpris par ces statistiques car nous ne nous attendions pas à ce que les chiffres soient si mauvais. Ceci étant, l’Allemagne fait pleinement partie de la zone euro, et il est normal qu’elle subisse l’impact du ralentissement d’activité de la zone, qui dure depuis déjà plusieurs trimestres. Ce d’autant plus que ses deux principaux partenaires commerciaux, la France et l’Italie, connaissent une croissance quasi nulle, si ce n’est négative et continuent à mener une politique budgétaire austère. Parallèlement, un ralentissement a été observé dans d’autres pays partenaires importants de l’Allemagne au sein de l’Asie émergente et de l’Europe de l’est.

Quel enseignement déduisez-vous de ces chiffres ?
Il est hasardeux de tirer les conclusions sur une véritable tendance de fond après les chiffres d’un seul mois.

Quel est votre scénario central pour le pays à ce jour ?
Nous tablons sur une croissance en 2014 de 1,4% avec un troisième et un quatrième trimestre à 0,3%. Nous ne tablons donc pas sur une récession, même technique, dans le pays.
Nous envisageons par ailleurs une progression du PIB de 1,5% en 2015.

Anticipez-vous à un changement de modèle de croissance pour l’Allemagne ?
L’Allemagne s’interroge sur les moteurs de sa croissance. De nouvelles mesures ont déjà été prises en écho à cette réflexion. Des salaires minimums doivent être instaurés début 2015. Des allégements sur les cotisations des retraités ont également été prévus. Cela devrait avoir pour effet de stimuler la demande interne qui compensera en partie l’amoindrissement de la demande extérieure. Ainsi, si le modèle de croissance est destiné à rester axé avant tout sur les exportations et l’investissement, un rééquilibrage devrait avoir lieu en faveur de la consommation.

Quels indicateurs phares seront-ils à surveiller pour avoir une meilleure idée de l’état de santé de l’Allemagne ?

Les commandes et la production industrielle, les exportations, les ventes au détail.

Quel poids accordez-vous aux indicateurs avancés ?

A l’horizon d’un trimestre, les indicateurs avancés sont de très bons indicateurs. A moyen terme, davantage que les indicateurs, nous regardons l’orientation prise par la politique budgétaire de l’Allemagne et des autres pays de la zone euro et la politique monétaire de la BCE. Le budget de l’Allemagne devrait continuer à rester à l’équilibre. Les politiques budgétaires des autres membres devraient avoir un effet austérité moindre et donc agir plutôt favorablement sur la croissance allemande. La politique monétaire, très accommodante (surtout avec le lancement du programme TLTRO), devrait avoir une répercussion favorable sur la valeur de l’euro et la distribution du crédit.
Nous voyons l’euro s’affaiblir davantage. La parité avec le dollar devrait atteindre 1,20. Au sein de la zone euro, cette dépréciation de la monnaie unique devrait avoir un impact négatif sur la balance commerciale de l’Allemagne, en baissant la valeur des exportations. Mais l’Allemagne pourrait également gagner des parts de marché par rapport à ses concurrents hors zone euro.

Peut-on craindre une détérioration supplémentaire de la macroéconomie allemande ?
C’est un risque qu’il ne faut pas écarter, même si sa probabilité est faible, d’après moi.

Ce risque a-t-il augmenté ?
Ce risque a sans doute quelque peu augmenté mais il demeure très faible.

Le rôle de l’Allemagne est particulièrement crucial pour la zone euro ?
Le rôle de l’Allemagne continue à être hautement stratégique. C’est surtout de l’Allemagne que pourra venir la croissance de la zone euro. C’est quasiment le seul pays qui peut vraiment procéder à de la relance budgétaire. Les autres grands pays de la zone euro sont encore dans une optique si ce n’est d’austérité, au moins de rigueur pour un long moment. C’est ce qui explique la peur panique des opérateurs de marché qu’il y ait une défaillance en Allemagne et leur surréaction vis-à-vis de la publication de certains indicateurs. Si l’Allemagne venait à trébucher, c’est toute la zone euro qui en pâtirait.

Propos recueillis par Imen Hazgui