Interview de Hervé Goulletquer : Stratégiste, LBPAM

Hervé Goulletquer

Stratégiste, LBPAM

Les niveaux de valorisation des actions européennes restent inférieurs à ceux observés aux Etats-Unis

Publié le 26 Mars 2015

Quel sentiment vous inspire le rallye des actions européennes depuis le début de l’année ?
Même si nous nous attendions à une hausse, nous avons été surpris par son ampleur et sa rapidité. Disons que le mouvement haussier et le calendrier étaient attendus ; la puissance de la hausse, moins. Nous avions observé, dès la fin 2014, une amélioration des perspectives des entreprises européennes grâce à la baisse de l’euro et du coût des matières premières. Il y avait clairement un alignement des planètes en faveur des marchés européens, dont la valorisation était attractive au regard des marchés américains. L’annonce par la Banque centrale européenne d’un programme massif de rachat d’actifs a joué le rôle de catalyseur.

Les marchés américains ont nettement baissé cette semaine et la hausse semble s'essoufler en Europe. Faut-il craindre un retournement du marché ?
Après un premier trimestre exceptionnel, il est logique que le marché marque une pause. Mais la tendance haussière subsiste selon nous. Nous pensons que le marché, par rapport à ses plus hauts récents, peut encore gagner quelques 5% dans les prochains mois. Le mouvement serait porté par l’amélioration des bénéfices trimestriels des entreprises, dans le sillage du raffermissement de la croissance dans les principales économies européennes. Une correction ne serait à craindre que si les marchés anticipaient un changement de politique monétaire de la part de la BCE, ce qui n’est pas le cas. Au contraire, le discours très clair de la BCE rassure les investisseurs, face aux incertitudes entourant la politique de la Réserve fédérale américaine. Nous pensons que la Fed commencera à relever ses taux en septembre, de façon très progressive. Cela va certainement créer un peu de volatilité sur les marchés mais l’Europe devrait être relativement préservée.

Quelle est votre allocation d’actifs en cette fin de premier trimestre ?
Nous avons une vraie préférence pour la zone euro. Les niveaux de valorisation des actions européennes sont encore inférieurs à ceux observés aux Etats-Unis. Par ailleurs on observe une tendance à l’amélioration des indicateurs économiques en Europe tandis qu’ils sont plus mitigés outre-Atlantique (même si la croissance est plus élevée outre-Atlantique ; en la matière c’est la dérivée seconde qui compte surtout). Sur les autres marchés, notamment émergents, nous nous montrons assez sélectifs. Nous gardons une opinion positive sur la Chine, en dépit du ralentissement de la croissance, car le pays profite de la baisse du pétrole et poursuit des réformes structurelles. En revanche nous nous tenons à l’écart du Brésil compte tenu de l’impact de la baisse du pétrole et des difficultés du gouvernement à mener les réformes. Au sein de la zone euro, une plus grande sélectivité s’imposera également le temps passant. Si jusqu’à présent on pouvait être « long » sur à peu près toutes les classes d’actifs (dettes souveraines des pays « cœur » ou périphériques, crédit ou actions), il faudra progressivement faire davantage de choix. Et les actions seront au centre des choix à faire.

Le marché des changes a connu d’importants soubresauts depuis le début de l’année (chute de l’euro, suppression du plafond du franc suisse). Va-t-on au-devant d’une « guerre des monnaies » ?
La guerre des monnaies désigne un phénomène observé dans les années 1930 après l’abandon progressif par la plupart des pays de l’étalon-or. Les grandes puissances de l’époque se lancèrent alors dans des politiques de dévaluation compétitive qui créèrent de profonds déséquilibres dans le commerce international et des tensions géopolitiques. On n’observe pas aujourd’hui de tels déséquilibres ou tensions. La baisse de l’euro face au dollar reflète avant tout les fondamentaux économiques domestiques, elle n’est pas dictée par une logique de « faire de la croissance sur le dos des autres ». On ne peut donc par parler de guerre des monnaies. Par fondamentaux économiques j’entends le décalage de performances économiques entre les Etats-Unis et l’Europe, qui se traduit par une divergence de politiques monétaires. Cette divergence accentue la baisse de l’euro face au dollar. Ce rééquilibrage permet à l’économie européenne d’aller mieux, ce qui en retour devrait profiter à l’économie américaine (tout au moins en termes de demande reçue depuis le vieux continent). Reste à savoir si la hausse du dollar peut pénaliser les exportations américaines à moyen terme. L’indicateur important n’est pas tant l’euro/dollar que l’Index Dollar, qui mesure le niveau de la monnaie américaine par rapport à un panier de devises (yen, livre sterling, franc suisse, euro…). Cet indice est encore loin de ses plus hauts historiques.

Propos recueillis par François Schott