Interview de Franck Sebag : Associé chez Ernst & Young

Franck Sebag

Associé chez Ernst & Young

Il est fort probable que Cellectis ne soit pas la dernière société européenne à s'introduire sur le Nasdaq cette année

Publié le 31 Mars 2015

Êtes-vous surpris par la dynamique des IPO en Europe à l’issue du premier trimestre de l’année ?
Sur le premier trimestre de l’année, 51 IPOs ont été recensées pour un montant total de 16,3 milliards d’euros. C’est en ligne avec ce que nous avons connu au premier trimestre 2014, soit 49 opérations pour 17 milliards d’euros levés.
Il est à noter que les trois premiers mois de l’année se sont caractérisés par deux grandes opérations, l’une en Espagne à 4,8 milliards (Aena) et l’autre en Suisse à 2,5 milliards (Sunrise). Ces deux seuls deals ont représenté 7,3 milliards de dollars, soit la moitié du total.

La cotation d’Aena s’inscrit dans le programme de privatisation conduit par le gouvernement espagnol. Pensez-vous que nous pourrions voir d’autres opérations similaires au cours des trimestres à venir dans un contexte où les Etats européens sont très endettés et ont besoin de récupérer des ressources financières…

Je ne pense pas que l’on ait une grande réserve d’entreprises publiques à coter dans les pays matures européens. Même s’il y a encore quelques pépites, ces programmes de privatisations ne peuvent pas être considérés comme un volant permanent de la cotation sur le Vieux continent à l’instar de ce qui s’est passé en Chine avec les banques du pays.

Selon vous quelle est l’importance du pipeline des opérations en attente d’être cotées en Europe ?
Il est difficile de le dire. Ce que nous savons c’est que le deuxième semestre 2014 n’ayant pas été propice à des introductions dans certains grands pays européens comme la France, des entreprises ont délibérément retardé leur cotation.
Un phénomène de rattrapage s’est donc matérialisé en ce début d’année. Nous pouvons penser que le carnet de bal est encore rempli.

Euronext recense une douzaine d’opérations à l’issue des trois premiers mois de l’année. Quels commentaires est-ce que cela vous inspire ?
Il est vraisemblable que ce trend soutenu perdure. Il y aura deux typologies d’opérations, sur Euronext et sur EnterNext. La thématique de la biotech devrait persister au sein les PME-ETI désireuses de s’introduire.

22% des deals enregistrés ont correspondu à des opérations cross border. Cela représente une hausse de 17% par rapport à l’ensemble de l’année 2014…

Le rythme de ces opérations cross border devrait encore s’accélérer. En cela il est fort probable que Cellectis ne soit pas la dernière société à s’introduire sur le Nasdaq. Cette dernière société est l’archétype de la société financée initialement par un fonds de capital risque, qui entre en bourse via Alternext, qui est appuyée par la Banque publique d’investissement, qui parvient à prendre contact avec des investisseurs américains, et qui finit par faire son entrée sur le Nasdaq avec une capitalisation de 1,4 milliard de dollars. Nous avions connu le même scénario avec DBV Technologies.
Nous devrions avoir plus d’entreprises enclines à utiliser simultanément le marché européen et le marché américain. Auparavant ces deux marchés étaient antinomiques. Tel n’est plus le cas.

Cela est spécifique au secteur des biotechs ?
Ce secteur est effectivement très concerné dès lors que les sociétés biotechs se cotent sur une place européenne, grandissent, et essaient de faire la courte échelle pour se coter aux Etats-Unis où existe une base d’investisseurs plus profonde et où les valorisations peuvent être plus élevées.
D’autres sociétés peuvent toutefois faire le choix d’aller directement s’introduire aux Etats-Unis comme Criteo, ou Cnova la filiale de Casino. Nous pourrions voir d’autres illustrations de cette démarche au cours des prochains mois.

Comment considérez-vous le fait que de nombreuses opérations aient été initiées par des fonds de private Equity et des fonds de capital risque …

Ce moteur principal qui n’est pas nouveau devrait perdurer. Toutes les sociétés de biotech sont financées par des fonds de capital risque. Or ces sociétés représentent la large partie des sociétés qui entrent sur Euronext.

Une caractéristique commune que l’on distingue dans les IPO réside dans le fait qu’elles poursuivent toutes une logique industrielle ?

La logique est éminemment de lever des fonds pour investir dans des projets de développement de manière à faire croitre les sociétés. Les IPO que l’on voit ne visent pas à permettre aux actionnaires historiques de sortir rapidement.

Pensez-vous que l’allégement réglementaire apporté par l’AMF au niveau français ou par les modifications des directives transparence et prospectus au niveau européen a joué un rôle dans la facilitation des IPO ?

Les ajustements apportés à la réglementation européenne ou française sont mineures compte tenu de l’enjeu. Le seul élément vraiment dopant que nous avons pu relever ces dernières années est lié à la création d’Alternext.
Nous n’avons pas eu de réforme comparable au JOBS Act aux Etats-Unis qui a eu un réel effet stimulant sur la cotation. Un statut spécifique a été créé pour les « emerging growth companies » permettant aux sociétés qui avaient une taille inférieure à un chiffre d’affaires annuel d’1 milliard de dollar d’être exonérées des obligations pénalisantes prévues dans la loi Sarbane Oxley.

Vous vous attendez à un regain de volatilité sur les marchés qui devrait pousser les sociétés désireuses de s’introduire à envisager parallèlement d’autres plans de financement ?

Nous avons aujourd’hui des niveaux de valorisation très élevés. Or les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. En cela un regain de volatilité est à envisager, qui va forcer les sociétés qui souhaitent s’introduire à avoir plusieurs plans pour trouver d’autres sources de financement dans le cas où la fenêtre d’opportunité venait à se fermer.

Pensez-vous que nous pourrions avoir en France une fermeture analogue à celle que l’on a eu entre l’été 2014 et la fin de l’année ?

Il est très difficile de le dire. Ce qui est certain c’est que nous aurons des phases de hausse et de baisse plus fréquentes et sans doute plus notables sur le marché.

Quel regard portez-vous sur la concurrence entre les plateformes boursières LSE et Euronext ? Pourrait-elle être un catalyste supplémentaire des opérations d’introduction en Europe ?

Je ne le crois pas. La concurrence sera saine en ce qu’elle pourra inciter LSE ou Euronext à soutenir davantage les valeurs au niveau marketing.
Cependant, le sujet n’est pas tant la place boursière utilisée. Le système électronique du LES vaut celui d’Euronext. La véritable différenciation réside dans la capacité à animer le marché et dans la mise en place d’un écosystème boursier investisseurs-analystes étoffé.
Dans cette optique, la concurrence entre les places européennes et les places américaines est plus importante à considérer que la concurrence entre les places européennes. Il est vraisemblablement préférable pour les places européennes de trouver les moyens de s’unir que les moyens de se diviser.

Propos recueillis par Imen Hazgui