Interview de Wilfrid Galand  : Directeur conseil en investissement chez Neuflize OBC

Wilfrid Galand

Directeur conseil en investissement chez Neuflize OBC

Actions de la zone euro : un rallye de 80% sur l'ensemble de l'année est difficilement concevable

Publié le 01 Avril 2015

Vous êtes sensibles dans votre stratégie d’investissement sur les actions européennes à trois principaux moteurs. Quels sont-ils ?
Tout d’abord le moteur monétaire avec le quantitative easing de la Banque centrale européenne depuis le 22 janvier. Ensuite, le moteur macro-économique avec des indicateurs qui semblent démontrer que la reprise est bel et bien là. Enfin le moteur microéconomique avec des résultats d’entreprises attendus haussiers sur fond d’une forte dépréciation de l’euro et d’un fort repli du pétrole.
Nous considérons ces trois moteurs à travers leur amplitude avérée et hypothétique et à travers les incertitudes qui leur sont liées.

S’agissant du moteur monétaire, pensez-vous que la mise en œuvre du quantitative easing de la BCE et de la BoJ (Banque centrale du Japon) auront un effet plus puissant que la poursuite de la normalisation de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine ?
D’un point de vue chiffré, le QE de la BCE et le QE de la BoJ dépassent la disparition du QE de la Fed. Ceci étant, nous ne pouvons pas réduire le raisonnement à une dimension purement quantitative. La Fed pilote le dollar qui est la première monnaie d’échange mondiale. Il y a donc un impact direct dans de nombreuses zones géographiques dont l’évolution de la devise est liée à l’évolution du dollar. En particulier un resserrement monétaire aux Etats-Unis a des répercussions plus lourdes sur les marchés émergents qu’un assouplissement monétaire en Europe ou au Japon.

S’agissant de la Fed sur quelle période tablez-vous pour la première remontée des taux et à quel rythme ?

Il nous parait probable que la première hausse aura lieu en septembre. Deux relèvements devraient avoir lieu d’ici la fin de l’année en fonction de la variation des indicateurs macroéconomiques. A priori, la prudence devrait être affichée dans le processus de normalisation. La Fed devrait veiller à ne pas surprendre les marchés par un rythme brutal susceptible de remettre à mal la croissance des Etats-Unis et de relancer la vive appréciation du dollar. La présidente de la Banque centrale, Janet Yellen a clairement signalé dernièrement attacher de l’importance au commerce extérieur et à la vivacité de la compétitivité de l’économie. C’est ce qui a d’ailleurs conduit à un ralentissement du parcours haussier du dollar contre ses principales contreparties, en premier lieu desquelles l’euro.

A quel niveau voyez-vous les taux directeurs américains à la fin de l’année ?

Nous sommes proches du consensus autour de 0,6%.
Les taux longs devraient bouger à une moindre vitesse. Ils pourraient se retrouver autour de 2%.

Appréhendez-vous de l’agitation émanant du décalage qui existe entre les anticipations de marché et les prévisions de la Fed ?

Récemment la Fed a fait un pas vers les investisseurs. Il y a quasiment un alignement des estimations du marché avec ceux de la Fed d’ici la fin de l’année.
Le décalage persiste pour 2016 et 2017. Le marché intègre une moindre hausse que ce que paraissent escompter les membres du FOMC. Il est possible nous ayons une nouvelle convergence entre les attentes de part et d’autre.

Pour beaucoup la clé de la lecture réside dans l’évolution de l’inflation et notamment dans la variation des hausses de salaires ?
Je pense qu’il y a plusieurs clés, la plupart ayant trait au marché du travail : les augmentations de salaires mais aussi d'autres dimensions, les recrutements à des emplois à plein temps, en CDI, à des postes qualifiés ...

S’agissant de la BCE et de la BoJ, craignez vous de la nervosité au sein du marché d’une part en liaison avec les difficultés de déploiement du programme de quantitative easing de la BCE et d’autre part en rapport avec l’absence d’efficacité de l’exécution du programme de quantitative easing de la BOJ ?

Les premiers éléments d’information que l’on a au sujet du quantitative easing de la BCE montre que l’institution monétaire est en avance sur ses acquisitions. Si le sujet de manque de papier à acheter venait à apparaitre au fil du temps, en dépit de l’élargissement du champ d’intervention, il pourrait entrainer une agitation dans le cas où le renouveau de la croissance européenne ne continuait pas à se matérialiser et que les résultats des entreprises n’étaient pas conformes aux attentes. A l’inverse, si la conjoncture macro et micro est favorable, la non atteinte de l’objectif que s’est assigné la BCE en termes de quantité de titres acquis devrait donner lieu à une moindre anxiété.

Le succès du QE de la BoJ sera apprécié à la lueur de la capacité des entreprises japonaises à remonter les salaires. D’ailleurs nous avons pu relever une amélioration récente du moral des investisseurs japonais en réponse à l’annonce de grandes entreprises comme Toyota d’une réévaluation significative des rémunérations qui donne un espoir de voir un enclenchement qui pourrait alimenter les pressions inflationnistes.

En ce qui concerne le moteur macroéconomique, quelle vision avez-vous des statistiques quelques peu décevantes apparues au sujet de la dynamique outre Atlantique ?
Une large partie de l’explication à ces statistiques tient aux intempéries d’une part et à la force du dollar d’autre part. Nous voyons un rattrapage de l’économie américaine dans notre scénario. Le taux de croissance annuel devrait s’établir entre 2,7% et 3%.
L’accalmie du rythme d’appréciation du billet vert, si elle se prolonge, devrait aboutir à une moindre mise à mal de la composante des exportations qui représente environ 13% du PIB américain contre 40% pour le PIB allemand. Environ 20% de la cote américaine est liée au pétrole. Le contrecoup de la baisse du pétrole est donc considérable sur les résultats des entreprises. Toutefois parallèlement un important pouvoir d’achat est redonné aux consommateurs américains.

Qu’en est-il de la durabilité du redémarrage de la croissance en Europe ?
Nous sommes confiants sur la persistance d’indicateurs favorables et sur la traduction du momentum positif dans les comptes des entreprises. Au-delà de la dépréciation de l’euro, du recul du cours du pétrole et de l’affaiblissement des taux, nous avons aussi un desserrement des contraintes budgétaires.

Les actions européennes ont bondi de près de 20% depuis le début de l’année ?
Beaucoup de l’embellie macro et micro a été intégrée dans les cours. Il faut attendre les premières publications des entreprises et leurs guidelines mi avril pour jauger dans quelle mesure il est possible d’être encore surpris positivement au sujet de la profitabilité.
Nous sommes d’avis que nous devrions assister à un prolongement de la révision positive des prévisions bénéficiaires en particulier pour les entreprises très cycliques. Notre interrogation porte sur l’ampleur de cette révision. Nous attendons de voir… En attendant, une respiration sur le marché des actions européennes est envisageable. Il est difficilement concevable d’être sur un rallye de 80% sur l’ensemble de l’année.

Diriez-vous que le marché des actions européennes est le marché occidental qui décèle plus de potentiel de revalorisation ?
Le marché des actions européennes est indubitablement pour l’heure notre marché favori. Les fondamentaux sont suffisamment solides pour justifier un potentiel supplémentaire de rebond cette année au-delà des 20% enregistrés depuis début janvier. Le rythme sera différent et la volatilité devrait gagner en intensité.

Quels évènements pourraient déclencher ce sursaut de volatilité ?
Nous pourrions avoir une hausse plus rapide que prévu aux Etats-Unis, de mauvais indicateurs macroéconomiques en provenance de marchés émergents, de nouvelles perturbations dans le dossier grec.

La Chine vous inquiète-t-elle ?

Le ralentissement de l’économie chinoise est manifeste. Le souci d’équilibre social est tel qu’il est très probable qu’il y ait un plan de relance des autorités chinoises budgétaires et monétaires. Nous ne sommes pas très inquiets pour le moment.
Nous sommes en revanche très prudents à l’égard du Brésil mais aussi de la Russie en raison de la chute des prix des matières premières et les sanctions infligées du fait des tensions en Ukraine.

A l’intérieur de votre allocation d’actifs vous avez donc une surpondération sur les actions européennes ?

Absolument.
Nous sommes également très présents sur l’obligataire européen. Nous aimons la dette souveraine périphérique et les obligations d’entreprises à haut rendement.

Propos recueillis par Imen Hazgui