Interview de Simon Gallagher : Head of cash equities chez Euronext

Simon Gallagher

Head of cash equities chez Euronext

Il reste très difficile d'évaluer le marché du 'gré à gré'

Publié le 29 Juin 2015

Qu’est-ce qu’un dark pool et à quoi cela sert-il?
Sur un marché transparent comme Euronext, les investisseurs ont accès au carnet d’ordres d’une action et peuvent ainsi voir l'état de l'offre et de la demande à chaque instant. Lorsqu’un investisseur veut acheter ou vendre un bloc important de titres, son ordre de grande taille va automatiquement faire décaler les prix et il risque d’être pénalisé au moment de l’exécution. C’est pour éviter ce genre de distorsion que les dark pool ont été créés. A l’origine ce sont des places de marchés principalement destinées aux investisseurs institutionnels où les transactions s’effectuent de manière non-transparente, c’est-à-dire sans affichage préalable des intérêts à l’achat ou à la vente au public, pour limiter l’impact de marché.

Pourquoi ces plateformes sont-elles si décriées ?
Il existe des dark pool réglementés qui sont gérés par des opérateurs boursiers ou par des opérateurs spécialisés (par exemple les plateformes britanniques Chi-X et Turquoise). Ces plateformes alternatives aux marchés boursiers traditionnels sont encadrées en Europe par la directive MIF, entrée en vigueur en 2007. Celle-ci prévoit quatre dérogations en matière de transparence des négociations, les dark pools opérant principalement sous deux d’entre elles. La première dérogation concerne les ordres de taille importante (« large in scale ») qui peuvent être exécutés sur ces nouvelles plateformes pour éviter l’impact de marché. La seconde dérogation permet de passer des ordres plus petits mais en utilisant un prix de référence « importé » d’un marché réglementé et transparent. Le prix de référence est alors compris dans la fourchette des prix affichés des intérêts à l’achat et à la vente sur la ou les plateformes à partir desquelles il est importé. On estime que ces dark pool réglementés traitent environ 5% des volumes sur les actions européennes.

L’autre famille de dark pool est ce qu’on appelle le marché « de gré à gré ». Il s’agit d’une activité traditionnelle des grandes banques d’affaires, qui exécutent les ordres de leurs clients soit en compte propre, soit en les mettant en relation avec d’autres clients, en dehors des plateformes réglementées. Avec le développement de l’outil informatique ces systèmes sont devenus de véritables mini-bourses, appelées « broker crossing networks » (BCN), et traitent des volumes importants en toute opacité. On estime que le marché de gré à gré représente 40% des volumes d’échange sur les actions, les BCN, quant à eux, représentant approximativement 5% (une part similaire à celle des dark pools réglementées) mais il reste très difficile de l’évaluer précisément par manque de données suffisamment détaillées.

Que prévoit la directive Mifid 2 concernant les dark pool ?
Les objectifs de la directive Mifid 2 sont de limiter fortement les transactions de gré à gré et de recentrer les dark pool sur leur vocation première, à savoir le traitement des ordres les plus significatifs de par leur taille. Ainsi, la directive prévoit premièrement de limiter le périmètre du gré à gré en définissant de manière plus fine les transactions pouvant y être effectuées et en interdisant aux plateformes de type BCN de continuer à opérer en dehors de tout cadre réglementaire. Les BCN ont donc vocation soit à disparaitre ou à être enregistrés (et régulés) au même titre que les plateformes de négociation réglementées. Par ailleurs, la directive vise à mieux encadrer l’utilisation des exemptions à la transparence sous lesquelles les dark pools réglementés opèrent. Notamment, elle prévoit un plafond maximal d’activité pouvant être effectuée sous l’exemption aujourd’hui la plus utilisée, à savoir l’utilisation d’un prix de référence importé. Ce plafond est fixé à 8% des volumes effectués globalement en Europe : si les volumes effectués sur des dark pools utilisant un prix de référence importé atteignent 8% du total des échanges sur un instrument en Europe, alors l’utilisation de cette exemption pour la négociation de l’instrument en question sera suspendue pour six mois en Europe. En outre, la directive prévoit également de limiter l’activité effectuée au niveau de chaque dark pools opérant sous l’exemption du prix de référence importé à 4% des échanges sur un instrument : si les volumes sur un dark pool excèdent 4% des échanges totaux en Europe sur un instrument, alors ce dark pool devra suspendre son activité sur l’instrument en question pour une période de six mois. Ces limites quantitatives ne sont pas sans créer de grandes incertitudes pour l’industrie. Notamment, sur certains instruments, le plafond global de 8% semble déjà atteint. Il y a donc une incertitude sur l’avenir des différentes plateformes existantes. Il est probable qu’on assiste à des rapprochements au niveau européen mais aussi à de nouvelles innovations allant au-delà de la législation qui entrera en vigueur dans deux ans, visant à s’adapter à ces nouvelles contraintes.

Propos recueillis par François Schott