Interview de Philippe Uzan : Directeur des gestions long-only de Edmond de Rothschild Asset Management

Philippe Uzan

Directeur des gestions long-only de Edmond de Rothschild Asset Management

Grèce : je ne pense pas qu'un dénouement défavorable du dossier brisera totalement la tendance haussière des actions de la zone euro

Publié le 01 Juillet 2015

Quel bilan faites-vous de l’évolution des actions de la zone euro à l’issue du premier semestre de l’année ?
Nous étions positifs en début d’année sur les actions de la zone euro du fait d’un début d’amélioration économique qu’on sentait poindre et de l’anticipation du programme de quantitative easing de la Banque centrale européenne. Cette conviction a été payante.

La vigueur de la remontée -+20% sur le premier trimestre- s’explique, il me semble, par deux principaux paramètres. Tout d’abord, le programme QE de la BCE a été plus complet, plus important et plus long en termes de maturité que ce qui était escompté, ce qui a contribué à affaiblir davantage les taux de la zone euro et la devise. Qui plus est, nous avons assisté à un changement de perception de la part des investisseurs du risque de déflation qui est progressivement apparu moins important.

De quelle manière avez-vous réagi face à cette vive remontée ?
Nous avons commencé à prendre des profits fin février avec l’argument qu’il était nécessaire d’attendre de voir la réalité de progression des profits des entreprises pour être plus confiants sur la poursuite du rallye.

Quel regard portez-vous sur la phase de consolidation qui s’est ouverte depuis avril ?
La forte baisse du risque déflationniste a eu des conséquences sur le marché obligataire. S’en est suivi une remontée violente des taux longs des pays cœur de la zone euro, notamment de l’Allemagne qui a eu une répercussion sur le marché des actions. Ce mouvement a d’ailleurs plus touché le segment des valeurs de rendement très sensibles aux taux d’intérêt, qui avait beaucoup surperformé sur les trois dernières années. La hausse des rendements obligataires a rendu moins attractive ces dernières valeurs. Par ailleurs, au mois de juin, le dossier grec a renforcé la nervosité des investisseurs sur le marché actions.

Nous vivrions selon vous une phase de transition ?
Une fois que les investisseurs intègreront plus nettement la réalité du redressement de la conjoncture économique de la zone euro, en particulier au sein des principaux pays qui la composent (Allemagne, France, Italie, Espagne) et qu’ils auront relativisé les répercussions négatives qui pourraient découler du dossier grec, nous devrions voir une seconde partie d’année de nouveau porteuse pour les actions de la zone euro. Sans compter la publication de résultats favorables de la part des sociétés à l’issue du premier semestre de l’année.

Pensez-vous que le phénomène de rattrapage des actions européennes vis-à-vis des actions américaines demeure ?
Selon moi, le gap reste notable. Il se justifie par le fait que depuis 2010, les profits des entreprises américaines ont connu une augmentation très significative. Un ralentissement de cette hausse n’a été relevé que depuis l’année dernière, principalement dans le secteur de l’énergie suite au fort recul du cours du pétrole.
Parallèlement, dans la zone euro, le cycle d’accroissement des profits a timidement débuté en 2014 et devrait s’amplifier en 2015 et 2016 compte tenu du travail de restructuration des entreprises, des efforts faits sur les bilans, de la baisse du coût de la charge de la dette et de la faiblesse de l’euro, ainsi que du regain de la croissance économique.

En ce début d’année, trois moteurs clairement identifiés pour le rallye des actions de la zone euro étaient la baisse de l’euro, le repli du cours du pétrole et la faiblesse des taux. Ces trois moteurs ont perdu de leur puissance depuis janvier du fait de leur évolution haussière…

Comparativement à l’année dernière, le taux de change effectif de l’euro, le cours du baril et le niveau des taux sont encore bien plus favorables. La moyenne de la parité euro face aux devises de ses principaux partenaires commerciaux est même encore en baisse légère au deuxième trimestre par rapport à la fin du premier trimestre. S’agissant des taux de refinancement, les entreprises ont été très réactives sur le marché primaire au premier trimestre. Elles ont su bénéficier de la faiblesse des taux en jouant par ailleurs sur la longueur des maturités. Le cours du baril continue à libérer un pouvoir non négligeable aux consommateurs et à stimuler la demande auprès des entreprises.

Un autre élément porteur à ne surtout pas négliger réside dans le redémarrage du crédit dans la zone euro. Les banques sont plus enclines à prêter et les agents privés, principalement les ménages, sont moins réticents à s’endetter.

Nous ne constatons pas encore de reprise de l’investissement des entreprises ?

C’est effectivement une ombre au tableau. Nous pouvons espérer qu’elle disparaitra progressivement l’année prochaine.

Quel regard portez-vous à présent sur le niveau de valorisation du marché ?

La revalorisation reste encore modeste, surtout après les corrections des semaines passées. Ceci étant, parler de valorisation dans l’absolu n’a pas grand sens. Il y a lieu de les comparer aux perspectives de résultats. Si nous avons la confirmation au cours de cet été que les entreprises européennes parviennent à tirer leur épingle du jeu de l’amélioration de la toile de fond macroéconomique, les valorisations gagneront en attractivité. Nous restons convaincus que l’accroissement des profits devrait être à deux chiffres. Nous sommes d’avis que nous ne sommes pas au terme du processus de révision positive des prévisions de la part des analystes.
La multiplication des opérations de fusion acquisition devrait être également un support supplémentaire.

Quid d’une expansion additionnelle des multiples et du rendement des dividendes ?

Même si l’expansion des multiples n’est pas dans notre scénario le principal catalyste, nous pourrions encore le constater cette année dès lors que les taux devraient se maintenir à des niveaux très bas. Le rendement du dividende est largement supérieur à celui des obligations IG.

Quel potentiel d’upside pressentez-vous pour le reste de l’année ?

Notre admettons que nous devrions constater un rebond significatif par rapport au point bas atteint mi-juin. Ceci se traduit dans tous nos portefeuilles par une forte exposition aux actions européennes et en particulier aux secteurs fortement exposés à la croissance cyclique.

Quelles principales sources de danger identifiez-vous ?

A priori, la hausse des taux par la Fed pourrait venir intensifier la volatilité sur le segment de marché mais ne devrait pas compromettre la dynamique dès lors que le processus devrait être graduel. Cependant, nous identifions des légères tensions dans différentes composantes des prix aux Etats-Unis, et sommes très attentifs à l’évolution des salaires. Si l’inflation outre-Atlantique venait à s’accélérer de manière plus prononcée que généralement attendue, il sera difficile pour la Banque centrale américaine de conserver un discours prudent.

Le ralentissement de grands pays émergents, notamment de la Chine, vers lesquels les pays de la zone euro sont habitués à exporter doit constituer un autre point de vigilance.

Qu’en est-il du dossier grec ?

Un dénouement défavorable de ce dossier pourrait entrainer un excès temporaire de baisse mais je ne pense pas qu’il brisera totalement la tendance haussière des actions de la zone euro dans la mesure où il s’agit plus d’un facteur politique que d’un facteur économique.

Avez-vous des biais dans votre allocation sur les actions de la zone euro ?

Nous n’avons pas de biais géographique très marqué. Sur le plan sectoriel, nous avons un intérêt pour le secteur des télécoms du fait de l’assouplissement de la position des régulateurs, de la génération des cash flows, et de la consolidation. Nous aimons bien également les médias et les valeurs cycliques relatives à la construction, à l’industrie.
En termes de thématiques, nous sommes d’avis que celle des fusions acquisitions est pleinement à jouer.

Propos recueillis par Imen Hazgui