Interview de Axel Botte  : Stratégiste obligataire chez Natixis Asset Management.

Axel Botte

Stratégiste obligataire chez Natixis Asset Management.

La probabilité que la Fed augmente ses taux en septembre est de 75%

Publié le 30 Juillet 2015

Que retenez-vous du communiqué de la Fed d’hier soir ?
La Fed a confirmé dans son paragraphe introductif une amélioration de la croissance notamment grâce à la consommation privée et à l’investissement dans le l’immobilier résidentiel. Le chiffre de PIB tant attendu cette après midi devrait rassurer en ce sens. La Fed d’Atlanta table sur une variation du PIB de +2,4%. Je pense personnellement que nous pourrions aller jusqu’à +2,7%.

A présent, il est à noter que chaque été, le Bureau américain des statistiques opère des révisions pluriannuelles sur les comptes nationaux. Les facteurs saisonniers pourraient à ce titre être modifiés sensiblement. Le profil trimestriel du PIB devrait être modifié. Si la croissance s’avère plus régulière, cela renforcera la position de la Fed d’agir très prochainement.

Si globalement la croissance américaine se veut plus robuste à travers son marché du travail et la consommation des ménages, quid des zones d’ombre qui demeurent liés à la vigueur des exportations et de l’investissement ?
La contribution de la demande extérieure émanant de grands partenaires commerciaux des États-Unis comme la Chine, le Canada, le Mexique est effectivement très faible depuis un moment. Le commerce mondial est de fait en contraction au premier semestre. L’investissement des entreprises reste relativement peu dynamique et les dépenses publiques sont contraintes. Cependant, ces éléments ne devraient pas empêcher la Fed de manœuvrer.

Quel regard portez-vous sur le fait que la baisse du prix des matières premières pèse sur la remontée de l’inflation ?
L’inflation reste sensiblement inférieure à l’objectif de la Fed. La nouvelle chute du cours du pétrole retardera la convergence du niveau d’inflation vers l’objectif de 2%.
L’essentiel du repli du baril provient d’un excès d’offre massif sur le marché du pétrole. L’Iran devant être autorisé progressivement à exporter davantage de barils le déséquilibre entre l’offre et la demande a à priori vocation à perdurer.

Pour autant, la désinflation induite par le recul du prix du pétrole n’est pas incompatible avec une inflation américaine autour de 2% à moyen terme pour plusieurs raisons majeures.
En premier lieu, les Etats-Unis sont importateurs nets de matières premières. La baisse des prix sur le marché augmente le revenu réel. Le choc de prix relatif est favorable au pouvoir d’achat des ménages américains et réduit le coût de production des entreprises américaines. Parallèlement, si les anticipations d’inflation dérivées des obligations indexées américaines restent basses, les enquêtes réalisées auprès des consommateurs ont assez peu varié.
Enfin, nous observons une accélération progressive des salaires. Au premier trimestre, la progression a été de 2,8% dans le secteur privé. Janet Yellen, la présidente de la Fed, considère qu’une hausse des salaires entre 3% et 4% est compatible avec l’objectif d’inflation de la Fed. Si nous constatons une poursuite de l’amélioration des salaires, cela confortera la Fed dans sa décision de remonter ses taux prochainement.

Un changement de terme est mis en évidence dans la partie liée à la politique monétaire du communiqué. Il s’agit de l’ajout du mot « some » dans l’expression « some further improvement in the labor market ». Que vous évoque cet ajout ?

L’ajout de ce nouveau mot, « some », n’est pas anodin. Il suggère probablement le rapprochement du moment auquel la Fed va augmenter ses taux.
Nous sommes d’avis que la Banque centrale devrait commencer à intervenir en septembre à hauteur de 25 bp, puis en décembre et ensuite tous les trimestres à compter du début de l’année 2016. Ce faisant, nous devrions avoir une remontée de 1% l’année prochaine.
Quelle probabilité donnez-vous à votre scénario central ?
Une probabilité de 75%.

Comprenez-vous qu’il n’ait pas été fait mention dans le communiqué de risques extérieurs aux Etats-Unis, je pense notamment au ralentissement de la dynamique économique chinoise, ou encore aux différents risques géopolitiques perceptibles à travers le monde ?
Cela peut paraitre surprenant dans la mesure où la Fed fonctionne désormais de façon plus collégiale, plus transparente et plus internationale que par le passé. Dans les discours récents de Janet Yellen ou de John Williams, deux menaces externes étaient évoquées, à savoir la Grèce et la Chine. Il n’en est pas question dans le communiqué d’hier.
On peut penser que le dossier grec a perdu de son acuité du fait des derniers développements, et notamment de l’accord trouvé entre Athènes et ses créanciers.
L’effet direct de l’effondrement de la Bourse chinoise sur l’économie américaine est assez faible.

D’aucuns pensent que la question majeure concerne non pas le mois au cours auquel la Fed va relever ses taux directeurs mais le rythme de la progression. Attendez-vous plus de précisions au sujet de ce rythme ?

Il est probable que la Fed utilisera une terminologie particulière pour donner plus de visibilité aux intervenants de marché quant au rythme de remontée des taux à attendre. Lors du cycle de resserrement de 2004-2006, la Fed de Greenspan avait parlé de « measured pace » pour signaler un rythme de relèvement des taux de 25 bp à chaque comité du FOMC, soit 200 bp par an. Une telle ampleur serait probablement excessive dans le contexte actuel. Le nouvel élément de langage devra traduire une hausse graduelle de 25 bp par trimestre.

Selon vous, la Fed a l’intention de remonter ses taux de manière différente des cycles précédents. ..
Jusque là, la Fed relevait la cible pour le taux des fed funds. Cette fois ci, elle va agir sur le taux de rémunération des réserves (IOER) et un taux plancher de reverse repo (RR) qui correspond au taux auquel la Fed réemprunte des liquidités au marché. Le taux fed funds évoluera entre ces deux taux.

Comment justifiez-vous une telle évolution ?

Il reste un excédent de liquidité considérable sur les marchés monétaires américains du fait des différents programmes de quantitative easing successifs. Compte tenu de cet excédent, un risque existait que les taux de marché restent durablement inférieurs aux taux ciblés par la Fed.

Pensez-vous qu’à ce stade la Fed parviendra à éviter un choc négatif sur les marchés comme observé en 1994, ou dans une moindre ampleur en mai 2013 ?

Le timing de la première hausse des taux en 1994 avait été une surprise pour beaucoup d’investisseurs même si l’idée d’un resserrement était largement répandue. Par ailleurs, le rythme suivi a aussi été très irrégulier. La Fed avait commencé par une augmentation de 25bp puis effectué des mouvements de taux abrupts de 50 bp voire 75 bp. La communication avait été très défaillante à l’époque. Pour cette raison, la Fed a ensuite décidé de publier des communiqués à partir de 1995. Le krach obligataire et l’accentuation violente de la volatilité étaient justifiés.
Nous ne sommes plus dans une telle configuration.

A présent, les marchés dérivés (contarts à terme sur les taux courts) n’intègrent pas encore pleinement une remontée des taux de la Fed en septembre. Une surprise pourrait donc en résulter. Les taux courts pourraient remonter davantage que les taux longs. Certains opérateurs pourraient se retrouver contraints de déboucler leurs positions, ce qui pourrait entrainer quelques perturbations. La Fed en a conscience. Elle s’efforcera par sa communication à induire les ajustements qui s’imposent.

Ceci étant, historiquement les débuts de cycles monétaires génèrent toujours quelques tensions car tous les portefeuilles ne sont pas préparés à l’éventualité d’un resserrement. Celles-ci ne peuvent qu’être contenues.

Quid de l’impact de la décision de la Fed sur la valeur du dollar ?

L’appréciation du dollar se fait généralement en amont de la première hausse. Une fois que le resserrement est engagé, d’autres facteurs jouent, notamment la réaction des autres banques centrales à ce resserrement. Or on relève que la plupart des grandes banques centrales s’inscrivent dans un processus d’assouplissement de leur politique avec une réduction de leur taux ou le déploiement d’un programme de quantitative easing. Cela pourrait encore renforcer quelque peu la valeur du dollar bien que l’essentiel de l’appréciation soit derrière nous.

Propos recueillis par Imen Hazgui