Interview de Antoine  Jeambenoit : Analyste financier spécialisé sur les matières premières chez Prim'Finance

Antoine Jeambenoit

Analyste financier spécialisé sur les matières premières chez Prim'Finance

L'once d'or pourrait effectivement descendre sous le seuil des 1000 dollars d'ici la fin de l'année

Publié le 03 Août 2015

Quels commentaires vous inspirent les mouvements particulièrement baissiers sur l’or de ces dernières semaines ?
La mise à mal de l’investissement financier sur le marché de l’or n’est pas nouvelle. L’appréciation du dollar a sans doute été le principal moteur du repli du cours de l’or depuis un an.

Depuis trois mois, le fléchissement est de plus de 6%...

Plusieurs facteurs ont probablement contribué à accentuer le mouvement baissier du métal jaune ces dernières semaines. Ainsi l’accord entre la Grèce et ses créanciers a réduit l’attrait sécuritaire de l’or et entrainé une reprise de la hausse sur les marchés actions des pays développés. Il est de plus en plus attendu un relèvement par la Fed de ses taux directeurs pour la première fois depuis 2006.

Pensez-vous que la révélation faite par la Banque centrale sur l’état de ses réserves d’or a constitué un autre facteur défavorable pour le cours de l’or ?

La Banque centrale de Chine a fait part de réserves d’environ 1600 tonnes. Les attentes se situaient autour de 3000 tonnes, voire davantage. De nombreux observateurs escomptaient que cette annonce soit une première étape des autorités chinoises pour amener le yuan à être intégré dans le panier des monnaies servant à définir les droits de tirage spéciaux (DTS) au sein du Fonds monétaire international et lui donner une place plus conséquente dans les échanges internationaux par rapport au dollar.
La faiblesse du montant des réserves d’or avancé pourrait nous laisser penser que la Chine n’est pas prête à mettre en place son plan dans l’immédiat du fait de la baisse des indicateurs économiques chinois et de l’instabilité boursière.
Une déception a donc résulté de cette nouvelle information.

Croyez-vous que l’annonce faite par la Banque centrale de Chine ne reflète pas la réalité ?

Cette hypothèse parait plausible si l’on se fie aux chiffres d’importations provenant de la Suisse.
On peut penser que l’effondrement de la Bourse chinoise et les mesures adoptées par la suite ne rendaient pas les conditions idéales pour livrer la véritable estimation.

La Chine n’aurait plus en tête l’entrée du yuan dans le panier des DTS en novembre 2015 ?

Mon avis est qu’effectivement il va y avoir une modification du calendrier car l’introduction du yuan dans le panier des DTS devrait être de pair avec une annonce de réserve d’or suffisante afin d’asseoir la solidité du yuan.

Le cours de l’or a décroché de plus de 4% lundi 20 juillet après une vente quasi simultanée de 24 tonnes d’or à New York suivi d’un record de 33 tonnes à Shanghai. Quelle interprétation en faites-vous ?
Nous avons du mal à identifier les causes réelles sous jacentes à ces ventes massives d’or. Certains soupçonnent des opérations de manipulation des cours de certains hedge funds ou des ventes forcées d’investisseurs chinois impactés négativement par la chute de la Bourse chinoise de ces dernières semaines afin d’honorer leurs appels de marge.

Le cours du métal jaune s’est depuis quelque peu stabilisé…

L’ascension du dollar a quelque peu ralenti. La parité euro dollar est passée de 1,09 à 1,11. Ce léger recul a permis au cours de l’or de quelque peu se maintenir.
De plus, suite à la forte baisse du prix de l’or sur les marchés financiers, l’observation a été faite d’un retour des acheteurs dans la joaillerie, notamment dans les pays du Moyen-Orient, en Chine et en Inde.

De quelle manière voyez-vous l’or évoluer au cours des prochains mois ?

L’évolution du cours de l’or, actif sans rendement, devrait beaucoup dépendre des déclarations et du comportement à venir de la Réserve fédérale américaine. D’ailleurs, à la suite de la publication du dernier communiqué de presse de la Fed mercredi 29 juillet au soir, l’or a ouvert en recul de 1,5% jeudi matin.
Il est attendu un relèvement des taux par la Fed de 0,25% en septembre, ce qui n’est pas très significatif. Tenant compte de l’inflation, le rendement réel procuré par les taux américains devrait continuer à être très faible, si ce n’est négatif. Nous ne nous attendons pas à un transfert massif des flux.
C’est davantage l’effet sur le dollar consécutif au rehaussement des taux par la Banque centrale américaine qui pourrait pénaliser l’or.

D’aucuns n’hésitent pas à tabler sur un cours de l’once inférieur à 1000 dollar l’once d’ici la fin de l’année…

L’once d’or pourrait descendre sous seuil des 1000 dollars en raison de la persistance d’un amenuisement de la demande financière. Les positions short sur la matière première s’inscrivent sur une tendance haussière.
Nous pourrions voir une nouvelle vague de sorties de flux sur les ETF investis dans l’or. Sur les deux premières semaines de juin, 50 tonnes de détention d’ETF ont été effacés. Le niveau de détention aujourd’hui devrait être de 1500 tonnes.

Vous relativisez la menace des sorties des ETF par le fait que niveau des encours atteint par ces instruments financiers a considérablement diminué ?

Sur les deux dernières années les ETF investis dans l’or ont du perdre 1000 tonnes.

Croyez-vous que la hausse de la demande physique permettra de compenser la baisse de la demande financière et conduira à une stabilisation du cours de l’or ?

Tel est mon avis. Un affaiblissement plus important du prix de l’or pourrait induire une augmentation de la demande sur le marché physique en raison du regain d’intérêt du cout d’opportunité.
En 2013, le prix de l’or avait repris 15% grâce à la reprise de la demande physique. Nous avions vu à l’époque notamment un accroissement des ventes dans la joaillerie et dans les pièces et de lingots d’or d’environ 800 tonnes.
Or, les ventes de pièces d’or aux Etats-Unis ont bondi sur les deux premières semaines de juillet de 221%.
Ceci étant, la demande physique ne va pas faire repartir le cours à la hausse mais lui permettre de résister autour de 1000 dollars. Ce n’est qu’une contraction significative de l’offre qui pourrait permettre à l’or de renouer avec un parcours véritablement haussier. Cela pourrait davantage être relevé en fin d’année, ou début d’année prochaine.

Propos recueillis par Imen Hazgui