Interview de Pierre  Sorbets : Responsable du Secteur Public chez HSBC

Pierre Sorbets

Responsable du Secteur Public chez HSBC

Suez, Bouygues, Vinci, Orange... Un nouveau rapport pour mieux accompagner nos champions nationaux sur le marché des infrastructures

Publié le 15 Janvier 2016

Europlace a publié ce jeudi 14 janvier un rapport intitulé « Marché mondial des infrastructures, consolider l’offre de la place de Paris ». En quoi consiste ce rapport ?
Ce rapport a été rédigé, à la demande de Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace, sur la base des réflexions apportées par toutes les parties prenantes à ce sujet, qu’ils soient représentatifs du secteur public ou du secteur privé. Nous avons souhaité lui conférer un aspect majoritairement opérationnel.

Sa publication en ce début d’année est-elle anodine ?
Ce rapport s’inscrit indiscutablement dans un contexte très porteur. Nous pouvons signaler les engagements pris par les Etats à l’occasion de la Cop 201 de générer des investissements dans les infrastructures d’un montant agrégé de 3500 milliards de dollars. Les pays du Nord se sont engagés à verser 100 milliards de dollars par an aux pays du Sud.
De nombreuses initiatives ont été prises dans la bonne direction de la part du gouvernement qui a pris conscience que le financement dans les infrastructures pouvait être une manière intelligente et sélective de relancer l’économie. En particulier, tout un arsenal de mesures a été adopté autour du partenariat public-privé en vue d’apporter une nouvelle dynamique à cette forme de coopération. Dans le cadre d’une ordonnance du 23 juillet 2015 ayant pour vocation la transposition de la directive Européenne « Marchés Publics » datant de février 2014, de nouvelles formes de contrats ont ainsi été définies, plus simples, plus flexibles, plus adaptées, et un travail similaire est en cours pour transposer la Directive Européenne portant sur les concessions.
Un rapprochement a, par ailleurs, été décidé entre l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts et de Consignation, en vue d’obtenir une plus grande force de frappe de l’AFD. Cette dernière a pu relever son ambition d’accroissement de son activité annuelle de prêts de 8,5 milliards d’euros à 12,5 milliards d’euros d’ici 2020.
Dans un autre registre, la logique de la modernisation de l’action publique, centrale à la réforme de l’Etat, a donné lieu à une nouvelle cartographie des régions censée permettre la concentration des capacités à un endroit précis pour une meilleure détermination et structuration des projets d’infrastructure à financer.

Quelle est la finalité de ce rapport ?

La France s’inscrit dans une configuration de vive concurrence avec d’anciens et de nouveaux acteurs. L’idée que l’on défend est que l’on ne peut pas se préparer à gagner une course sans s’équiper avec les bonnes chaussures. L’Hexagone ne pourra être foncièrement compétitif dans ce grand sujet du financement des infrastructures que s’il dispose des outils adéquats. La force de la France tient au fait qu’elle a une grande culture dans le financement des infrastructures qui a été favorisée par plusieurs facteurs : l’existence d’un secteur BTP efficace ; une forte expérience dans les concessions de services publics ; un cadre juridique étoffé, enrichi par une très foisonnante jurisprudence du Conseil d’Etat.

Ce rapport fait état de 15 recommandations. Quels principaux objectifs sont poursuivis par l’ensemble de ces recommandations ?

Ces recommandations poursuivent quatre principaux objectifs. En premier lieu, relancer le marché français en déterminant les contours d’une stratégie d’investissement public, d’une gouvernance publique, d’une politique de sélection de projets et de choix de modes de réalisation faisant plus largement appel aux acteurs privés. En deuxième lieu, avoir le meilleur positionnement possible dans le plan Juncker qui vise à relancer les investissements et la croissance en Europe. En troisième lieu, décider de la meilleure manière possible de pénétrer les marchés émergents où la demande de financement d’infrastructures est forte afin d’accompagner de manière optimale l’expansion de nos champions nationaux, à l’instar de Suez, Bouygues, Vinci, Orange…
Enfin, une dernière aspiration a trait à l’instauration d’un pôle de financement des grands projets d’exportation et d’investissements.

Pourriez-vous nous donner des illustrations de recommandations ?

Faire émerger sous l’égide du Commissariat général à l’investissement et de la Mission d'appui aux partenariats public-privé une liste de projets robustes. Faire connaitre la boite à outils des soutiens publics. Améliorer la diplomatie économique que le gouvernement a commencé à déployer avec efficacité. Garantir la stabilité du cadre légal, réglementaire, et fiscal pour les investisseurs. Benchmarker le système français de soutien à l’exportation par rapport à ses concurrents.

Une liste de projets a été soumise par les autorités publiques françaises dans le cadre du plan Juncker en 2014. Celle-ci a été jugée décevante. Qu’est ce qui permettra cette fois ci de corriger la copie avec un plus grand succès ?

Une meilleure mobilisation des acteurs publics et privés pertinents sur le sujet. La détermination de ces projets pertinents se fera à la lumière de sa rentabilité socio-économique. Au-delà de l’aspect purement monétaire, il sera question d’évaluer les avantages collectifs procurés par le projet : le gain de temps, une meilleure santé, une meilleure sécurité, une moindre pollution…

Avez-vous remis votre rapport aux membres du gouvernement ?

Il a été transmis ce jeudi même au Ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, et au Ministre de l’Economie, de l’industrie et du numérique Emmanuel Macron.

Certaines recommandations revêtent-elles un caractère prioritaire, d’extrême urgence, par rapport à d’autres ?

Il est difficile de répondre à cette question. Je ne pense pas que des recommandations prennent le dessus sur d’autres. Nous nous sommes efforcés d’aboutir à un ensemble de recommandations cohérentes les unes avec les autres.

Diriez-vous que l’année 2016 marquera le début d’un nouveau cycle pour le financement des infrastructures, après plusieurs années amorphes ?

C’est clairement ce que nous espérons. Je suis plutôt optimiste sur ce point. Je pense que 2016 sera une année remarquablement productive sur ce terrain. Les besoins, les capacités de réalisation, les moyens de financement existent. Il faut à présent œuvre à les faire converger.

Cette productivité vous parait-elle concevable malgré les incertitudes particulièrement fortes qui dominent dans l’environnement actuel ?
Le risque fait partie de la vie humaine, de la vie politique et de la vie économique. Il faut apprendre à vivre avec. S’agissant du risque financier à proprement parler, celui-ci a beaucoup diminué dès lors que de nombreux acteurs ont entrepris les efforts pour se « dé-risquer ».. Nous ne sommes pas à l’abri de la survenance d’un risque dont nous n’aurions absolument pas soupçonné l’existence, à l’instar de ce qu’a pu nous démontrer l’affaire Volkswagen.
L’une des manières que nous avons trouvées d’appréhender l’environnement très incertain dans lequel nous évoluons actuellement est de donner une opportunité équivalente de se développer aussi bien aux instruments bancaires qu’à ceux dépendant des marchés obligataires.

Propos recueillis par Imen Hazgui