Interview de Bertrand Jacquillat : président d’Associés en finance

Bertrand Jacquillat

président d’Associés en finance

Vinci : c’est une victoire de la peur de l’abus de bien social

Publié le 30 Juin 2006

Que vous inspire l’affaire Vinci ?
D’abord, ce patron a créé plus de valeur en dix ans que le CAC 40 ou Warren Buffet : la croissance annuelle du cours ressort entre 30 à 35 %, contre respectivement 15 et 16 %. Dans une société au capital dispersé, intéresser la direction aux résultats permet de rapprocher ses intérêts de ceux des actionnaires. Mais, il faut raison garder. Les dérives ou les manipulations comptables ne sont jamais loin.

Quand un patron est-il trop payé ?
Sa rémunération dépend aussi du consensus social surtout si les salaires stagnent. L’écart de un à trente au sein d’une société, fixé dans les années 30 par John Pierpont Morgan, est largement dépassé.

Lindsay Owen-Jones perçoit des rémunérations élevées sans que cela ne déclenche un tollé…
Il est difficile de comparer L’Oréal et Vinci. Deux actionnaires, Liliane Bettancourt et Nestlé se partagent le contrôle de L’Oréal. Ils sont libres chez eux. Chez Vinci, il faut convaincre plus de monde ! Le bilan de Lindsay Owen-Jones plaide aussi pour lui : vingt ans de croissance à deux chiffres des bénéfices.

Qui sont les gagnants de l’affaire Vinci : les actionnaires ou les administrateurs ?
C’est une victoire de la trouille qu’inspire l’abus de bien social aux administrateurs ! Cette affaire a aussi révélé la proximité de certains administrateurs avec les intérêts personnels du président. Il n’est pas anormal que des gens ayant des relations d’affaires avec une entreprise siègent dans son conseil d’administration si leur expertise lui apporte une réelle valeur ajoutée. Chez Vinci, il est étrange que des hommes ne relevant que du président puissent juger la stratégie du groupe.

Faut-il légiférer?
Cela doit continuer à relever de contrats de droit privé. La loi impose déjà la publication de toutes les sommes versées aux dirigeants, de les détailler personne par personne. Les élus ne sont pas aussi transparents : qu’en est-il de leurs avantages en nature ou des rémunérations reçues d’organismes parapublics ?

Beaucoup d’entreprises du CAC 40 sont ou vont être présidées par des patrons « sortis du rang ». Est-ce la fin des « corpsards parachutés » ?
Cela ressemble à la fin d’une époque. Les entreprises se mondialisent et les réseaux franco-français perdent de leur influence au profit de nouvelles compétences. Etre X-Mines ou inspecteur des finances ne suffit plus pour prétendre diriger des sociétés moins dépendantes des commandes de l’Etat. Tant pis pour ceux qui les imaginaient encore propriété de grandes écoles ou de grands corps de l’Etat… Total a vraiment innové : un simple Sup’de Co, Christophe de Margerie, va remplacer un X/Mines ! Le successeur de Thierry Desmarest ressemble à ces nouveaux patrons : il a fait toute sa carrière dans le groupe et a pas mal bourlingué à l’international, comme ses homologues chez Saint-Gobain, Lafarge, L’Oréal ou d’autres.

Ce mouvement est-il influencé par les fonds étrangers qui détiennent plus de 45 % de ces entreprises ?
Je ne pense pas. Ces successions ont pris beaucoup de temps, parce qu’il est parfois très difficile de trouver la bonne pointure. Chez Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa a usé deux successeurs. Certaines évoquaient même le syndrome Mantelet qui, en sont temps, a coulé Moulinex.

Autre tendance : la dissociation des organes de contrôle et de gestion. Or, cette première fonction est souvent accordée au président sortant…
Cette dissociation, qui permet de préparer la transition, fonctionne très bien à BNP Paribas, chez Lafarge, etc. Pour en revenir à Vinci, il s’agissait d’un faux départ : sur le papier, Antoine Zacharias avait pris du champ. Dans les faits, il était toujours très impliqué dans la direction.

L’alliance Euronext-Nyse peut-elle faire progresser la bonne gouvernance en France ?
La fusion aura deux conséquences. D’abord, chaque place demeure soumise à son régulateur d’origine : la SEC ne mettra pas son nez dans les affaires de Paris à la place de l’AMF. Pour ce qui est de la cotation des entreprises étrangères, le Nyse s’affranchit ainsi des lois Sarbanes-Oxley, très sévères à l’égard d’administrateurs et de dirigeants défaillants. Les craintes qu’elles inspirent ont dissuadé nombre d’entreprises de rejoindre Wall Street au profit de Londres ou Hong Kong. Elles pourront désormais s’introduire en bourse via Euronext en euros. Enfin, cette alliance comblera son fossé technologique grâce à l’informatique d’Euronext.

lucile