Barnard MAROIS

Bernard Marois
Président d'honneur

Diplômé d'HEC, MBA de l'Université Columbia de New-York et docteur en sciences de gestion. Il est actuellement professeur au Groupe HEC.

Il a publié de nombreux ouvrages et écrit régulièrement dans des revues spécialisées.

Il est spécialiste de finance internationale et consultant auprès de grandes banques.

Pourquoi la bourse s’est effondrée ?

publié Mercredi 05 Octobre 2011

Globalement, le marché actions a connu depuis le début de l’été une contraction moyenne de 25%. Ainsi le CAC 40 est passé d’environ 4 000 à 3 000 en moyenne (fourchette : 2 800 -3 200). L’explication est évidemment simple : l’absence de confiance des investisseurs, minée par deux incertitudes majeures : le risque d’un «double dip» de l’économie mondiale, d’une part, et le risque de l’éclatement de la zone euro, d’autre part.


Sur le premier point, il suffit de rappeler quelques chiffres : selon le FMI, la croissance américaine n’atteindra que 1,5% en 2011 (au lieu des 2,5% prévus) et 1,8% en 2012 (au lieu de 2,7%). Quant à la zone euro, elle ne progresserait que de 1,6% en 2011 et 1,1% en 2012. Par ailleurs, les pays émergents (et en particulier la Chine) voient également leur croissance ralentie. En ce qui concerne les pays industrialisés, ce qui est en point de mire, c’est une «situation à la japonaise» avec une croissance «molle» tendant vers zéro. En d’autres termes, le spectre de la déflation n’est pas totalement écarté. Quant aux mesures disponibles pour contrer ce risque, elles sont de plus en plus restreintes : il est d’ores et déjà difficile de baisser les taux d’intérêts, car ils se situent au minimum (taux d’intérêts réels négatifs !) ; en ce qui concerne la création monétaire («Quantitative Easing III» aux Etats-Unis), elle n’est pas très efficace car aboutissant à constituer des bulles financières (or, matières premières, cash) sans pour autant alimenter l’inflation potentielle, puisque des taux de chômage pèsent sur d’éventuelles augmentations de salaires. En outre, la plupart des pays se sont engagés dans des politiques de rigueur, destinées à faciliter le désendettement, mais cause également de stagnation économique. Et, par conséquent, ce premier point, chute de la croissance, interfère fortement avec le second point, nécessité de mettre en œuvre des politiques de désendettement. Clairement, une expansion économique faible entraîne moins de recettes fiscales, donc la persistance d’un déficit budgétaire et donc, mécaniquement, une augmentation de la dette publique. N’oublions pas que l’endettement actuel présente trois caractéristiques particulièrement inquiétantes, car concomitantes : il est généralisé à pratiquement tous les pays industrialisés (100% du PIB pour les Etats-Unis ; 90% pour la zone euro ; 220% pour le Japon, etc.) ; il est élevé, selon une analyse historique, pour une période sans guerre ; il est complété par un endettement bancaire et privé également très élevé (230% du PIB japonais ; 220% du PIB britannique ou français ; 200% du PIB américain, etc.). En plus, il s’inscrit dans un contexte de ralentissement économique, comme il a été indiqué précédemment.


On peut rajouter que la chute boursière est encore plus sensible dans la zone euro, car celle-ci connait un problème additionnel (troisième cause de baisse, après le ralentissement économique et l’endettement excessif) qui est l’avenir incertain de la zone euro elle-même, dans son périmètre actuel. Le cas de la Grèce est vraiment «désespéré» : un endettement de 165% du PIB, en hausse constante, dû à l’impossibilité de comprimer le déficit budgétaire (9% du PIB), car les recettes fiscales sont en baisse (la récession dépassera 6% du PIB en 2011 !) ; le système fiscal est totalement chaotique, les grandes fortunes grecques sont installées à l’étranger ; les privatisations sont difficiles, car les entreprises mises en vente sont surendettées, etc.). Il est évident que les investisseurs redoutent une faillite de la Grèce, qui pourrait être suivie d’un retrait de ce pays de la zone euro, avec un risque de contagion certain au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie. Le plus grave, c’est que les PIGS(1) ont perdu beaucoup de compétitivité depuis 10 ans : ainsi, les salaires grecs ont augmenté de 35% par rapport aux salaires allemands et les Espagnols de 28% !


D’un point de vue économique, la remise à niveau de ces pays implique des transferts supérieurs à 2 000 milliards d’euros sur 5 à 10 ans (c’est un minimum!). En fait cela représente 2 à 3 fois le montant des capitaux versés par l’Allemagne de l’Ouest à l’Allemagne de l’Est pour réunification. On conçoit l’aversion des Allemands pour remettre la main à la poche.


Alors de bons esprits proposent d’accélérer l’intégration européenne en citant en exemple le fédéralisme américain. Sauf qu’il y a quatre énormes différences entre les Etats-Unis et la zone euro. Celle-ci est composée d’Etats souverains disposant de cultures, de langues, et de traditions politiques très variées ; rien à voir avec les USA homogènes et de langue anglaise. Deuxièmement, le budget fédéral américain dépasse 12% du PIB, contre 1% pour l’Union Européenne : les transferts inter-étatiques ne sont donc pas comparables. Troisièmement, les Etats américains n’ont pas le droit d’avoir des budgets en déséquilibre (en conséquent, la dette de la Californie, par exemple, est inférieure à 15% du PIB californien, soit dix fois moins que la Grèce !). Enfin le processus de décision américain est beaucoup plus rapide et réactif que son homologue européen, qui doit passer par de multiples cénacles (Etats, BCE, Commission, FESF, etc.) et peut être bloqué par la mauvaise volonté d’un membre (nécessité de l’unanimité). Bref, le temps des marchés, de plus en plus rapide, n’a rien à voir avec le temps des décideurs (multiples) européens : ceux-ci s’efforcent de courir derrière les évènements, quitte à être dépassés par les péripéties de l’actualité.


Tout ce contexte permet de comprendre l’aversion au risque, actuellement maximale, des investisseurs. Changer cette configuration négative prendra certainement beaucoup de temps.


Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Paris
Président d'honneur Club Finance HEC


Les Editos
précédents

« La prochaine décennie (2016-2026) »

publié le Mercredi 20 Avril 2016 » Lire la suite

« Les paradoxes de la finance »

publié le Dimanche 13 Mars 2016 » Lire la suite

« Le modèle suisse »

publié le Lundi 25 Janvier 2016 » Lire la suite

« L'investissement, nerf de la bataille économique »

publié le Lundi 07 Décembre 2015 » Lire la suite

« Où va la Chine? »

publié le Mardi 01 Décembre 2015 » Lire la suite

« LES « EURO PRIVATE PLACEMENTS » (EURO-PP) : UN NOUVEL INSTRUMENT DE FINANCEMENT POUR LES ENTREPRISES MOYENNES »

publié le Vendredi 15 Mai 2015 » Lire la suite

« Qu'attendre de 2015? »

publié le Vendredi 30 Janvier 2015 » Lire la suite

« Méfions-nous des modèles économiques »

publié le Lundi 02 Juin 2014 » Lire la suite

« LA FRANCE ET LE MONDE DE L’ENTREPRISE »

publié le Vendredi 04 Avril 2014 » Lire la suite

« L’EUROPE EN 2014 : CONSOLIDATION OU DISLOCATION »

publié le Mardi 11 Mars 2014 » Lire la suite

« ERRARE HUMANUM EST, PERSEVERARE DIABOLICUM »

publié le Mercredi 16 Octobre 2013 » Lire la suite

« LA FRANCE ET SES DEUX DEFICITS »

publié le Lundi 09 Septembre 2013 » Lire la suite

« Un continent oublié: l'Afrique »

publié le Mardi 21 Mai 2013 » Lire la suite

« L'Europe a-t-elle encore un avenir? »

publié le Vendredi 12 Avril 2013 » Lire la suite

« »

publié le Mardi 19 Mars 2013 » Lire la suite

« L'irrésistible ascension du yuan »

publié le Lundi 18 Février 2013 » Lire la suite

« Sans la croissance rien n'est possible »

publié le Lundi 10 Décembre 2012 » Lire la suite

« Quo Vadis (où allons-nous) ? »

publié le Jeudi 25 Octobre 2012 » Lire la suite

« Le secteur du luxe, un atout pour l'industrie française »

publié le Vendredi 20 Juillet 2012 » Lire la suite

« Trois "contre-vérités" »

publié le Vendredi 22 Juin 2012 » Lire la suite

« La France au lendemain de l'élection présidentielle »

publié le Mercredi 06 Juin 2012 » Lire la suite

« France: Etat des lieux »

publié le Vendredi 13 Avril 2012 » Lire la suite

« Le surendettement: un mal pernicieux »

publié le Vendredi 30 Mars 2012 » Lire la suite

« Croissance et Inégalités »

publié le Jeudi 08 Mars 2012 » Lire la suite

« Un point sur la réforme du système financier mondial »

publié le Vendredi 20 Janvier 2012 » Lire la suite

« Le déclin de l'Occident »

publié le Lundi 19 Décembre 2011 » Lire la suite

« L'urgence du long terme »

publié le Vendredi 02 Décembre 2011 » Lire la suite

« La quadrature du cercle »

publié le Vendredi 04 Novembre 2011 » Lire la suite

« "L'Allemagne paiera" »

publié le Vendredi 21 Octobre 2011 » Lire la suite

« Pourquoi la bourse s’est effondrée ? »

publié le Mercredi 05 Octobre 2011 » Lire la suite