Barnard MAROIS

Bernard Marois
Président d'honneur

Diplômé d'HEC, MBA de l'Université Columbia de New-York et docteur en sciences de gestion. Il est actuellement professeur au Groupe HEC.

Il a publié de nombreux ouvrages et écrit régulièrement dans des revues spécialisées.

Il est spécialiste de finance internationale et consultant auprès de grandes banques.

Sans la croissance rien n'est possible

publié Lundi 10 Décembre 2012

Les chiffres sont sans appel : en 2012, la croissance française sera à peine supérieure à zéro et en 2013, on peut tabler, au mieux, sur 0,5%, n’en déplaise au gouvernement qui lui, prédit 0,8%.
Le souvenir des « Trente Glorieuses » hante toutes les mémoires. A l’époque, la croissance dépassait 4% en moyenne. Mais, l’économie française bénéficiaient alors de trois éléments extrêmement positifs : la reconstruction d’usines, d’infrastructures et d’habitats détruits par la guerre, une énergie très bon marché (pétrole à 1 dollar le baril !) et une démographie très favorable (1) . On pourrait y ajouter un optimisme général causé par la nécessité d’un rebond et une « morale » collective élevée. Après 1975, ces moteurs d’activité ont progressivement ralenti. En particulier, le coût de l’énergie a explosé, à la suite des crises de 1973 (guerre du « kippour ») et de 1979 (guerre Iran - Irak). La croissance est tombée à 2,5% en moyenne dans les 25 années suivantes. Depuis 2000, la France connaît encore une chûte de la croissance, qui tend vers zéro, en raison d’une succession de crises mondiales (crise Internet en 2001, crise des « subprimes » en 2008, crise de la dette souveraine depuis 2010).
Pourtant, la démographie française reste très favorable, relativement aux autres pays européens (pic maximum atteint en 2010), au Japon (en décroissance depuis 2008) et en Chine (sur un plateau compte tenu de la politique de « l’enfant unique »). De ce fait, notre croissance « potentielle » s’élève à 2% minimum (ainsi que je l’ai indiqué dans un édito antérieur). Seul des mauvaises politiques économiques peuvent expliquer notre « déficit de croissance ».
Une bonne part de notre échec réside dans une insuffisance d’exportations par rapport à nos importations. En effet, notre déficit commercial a atteint 70 milliards en 2011, soit 3,4% du PIB, contre un excédent de 150 milliards pour notre partenaire allemand. Par ailleurs, l’excédent de notre balance des services diminue et notre balance des capitaux présente un déficit croissant : les investissements des entreprises françaises à l’étranger dépassent largement les investissements des entreprises étrangères en France (2). En conséquence, nous devons de plus en plus nous financer sur les marchés internationaux(3).
Rappelons les causes de ces performances désastreuses :
1) La désindustrialisation de la France
L’industrie française se situe désormais au 21ème rang mondial, en termes de pourcentage de PIB : 11% en 2011 ; nous sommes désormais dépassés par la Grande-Bretagne et même l’Italie !
2) Une mauvaise spécialisation sectorielle et des stratégies d’entreprise parfois déficientes.
L’exemple le plus frappant est l’industrie automobile et plus particulièrement le « match » Volkswagen/Peugeot-Citroën. Alors que Volkswagen se rapproche de la première place mondiale, PSA a glissé à la huitième place. La firme allemande a su se positionner sur le marché du luxe (rachat de Bentley, Porsche, Bugatti) alors que l’entreprise sochalienne s’est concentrée sur le milieu de gamme, où les marges sont beaucoup plus faibles. Par ailleurs, Volkswagen s’est internationalisée rapidement (100 usines dans 27 pays), alors que PSA est restée essentiellement européenne(4). Du coup, avec une valeur boursière de seulement 1,6 milliard d’euros, PSA se retrouve extrêmement fragilisée.
3) Une présence insuffisante d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) sur les marchés internationaux. Là où l’Allemagne, s’appuie sur un « Mittelstand » de 12.000 entreprises, la France peine à mobiliser 4000 firmes d’importance équivalente.
4) Une faiblesse nette dans l’innovation
Elle s’explique en grande partie par la baisse continue des dépenses de R & D : celles-ci sont tombées à 1,2% du PIB, contre, 1,7% en Allemagne et plus de 2% aux Etats-Unis.
5) Une situation financière détériorée, en ce qui concerne les entreprises françaises. Elle est matérialisée, d’une part, par la chute du taux d’autofinancement qui est passé en 15 ans de 100% à 65%, et, d’autre part, par une dégradation accélérée des marges bénéficiaires, inférieures de plus de 5 points à la moyenne de nos concurrents.
Avec de tels résultats, il ne faut donc pas s’étonner de la baisse des dépenses d’investissement des entreprises ! 6) Un coût du travail beaucoup trop élevé
La semaine de 35 heures, ainsi qu’un âge précoce de retraite explique le fait que le Français travaille moins en termes de nombres d’heures cumulées (tout au long de sa carrière professionnelle) que nos principaux concurrents. Ne nous étonnons donc pas que le coût horaire soit aussi le plus élevé, si on le compare avec nos principaux partenaires. D’autant plus que les charges (cotisations sociales) sont maximales. Certes, le gouvernement vient de signer « un pacte de compétitivité », qui devrait permettre de diminuer le coût du travail d’environ 2,5%. C’est bien, mais c’est largement insuffisant. Car dans le même temps, certain de nos concurrents (Italie, Espagne) baissent leurs salaires de 5% à 10%.

Alors, la croissance ? Comment la retrouver ? J’ai toujours défendu une économie de l’offre accompagnée d’un maintien du pouvoir d’achat des ménages. C’est pourquoi, je préconise :
1) Un étalement du processus de désendettement et de retour à l’équilibre budgétaire sur 10 ans et non pas sur 2 années, ce qui est trop court et entraîne une austérité déflationniste. Les marchés sont prêts à accepter un délai plus long, pour autant que la tendance positive soit fermement enclenchée et institutionnalisée.
2) La renonciation claire au matraquage fiscal, en particulier en ce qui concerne les « investissements à risque » (annulation des récentes hausses ; incitations en faveur du financement à long terme de l’économie(5)). La « surfiscalisation » des revenus financiers entraîne inexorablement une augmentation du coût du capital qui viendra grever toutes nos entreprises.
3) Une remise en ordre du secteur public, à partir de propositions de modernisation formulées par des professionnels indépendants(6) .Un management moderne de ce secteur facilitera une diminution (et non une stabilisation) des dépenses publiques étalées aussi sur 10 ans.
4) Une baisse des charges pesant sur le coût du travail, compensée par une hausse de la TVA à 21%. Dans ces conditions, atteindre 2% de croissance, ne me paraît irréaliste. Mais qui aura le courage de mener une telle politique ?


Bernard MAROIS
Professeur Emérite HEC Paris
Président d’Honneur du Club Finance HEC


(1) Renforcée par l’arrivée d’un million de « pieds noirs », en 1963 ; (2) L’attractivité de la France diminue d’une façon évidente, malgré les affirmations du gouvernement. Les délocalisations continuent, d’une part pour rapprocher les usines des marchés à haut potentiel (pays émergents) et d’autre part, en raison d’un coût trop élevé du travail en France (voir supra).
(3) Dans la mesure où le déficit commercial s’accompagne également d’un déficit public de 4,5%, nos besoins financiers ne risquent pas de diminuer prochainement.
(4) Pour illustrer ce point : tandis que VW produit 2 000 000 unités en Chine, PSA n’en fabrique que 450 000.
(5) Quand on voit que le livret A, totalement défiscalisé et dont le plafond va être doublé, rapporte 2,25% et que par contre, l’investissement dans le capital risque (venture capital) ne dégage que 1% de rendement, en moyenne, on a tout compris !
(6) Par exemple, en supprimant les institutions inutiles et en rationalisant « l’empilement » des collectivités locales.

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