Interview de Thierry Ehrmann : PDG d’Artprice et président du groupe Serveur

Thierry Ehrmann

PDG d’Artprice et président du groupe Serveur

L’art contemporain connaît une croissance exponentielle

Publié le 25 Juillet 2006

Comment se porte le marché de l'art actuellement ?
Le marché de l'art se porte bien, et particulièrement celui de l'art contemporain qui connaît une croissance exponentielle. Depuis avril 2005, les prix ont connu une croissance de 49%. En Amérique du Nord, ils sont supérieurs de 56% à leur niveau, déjà historique, de 1990. Le secteur de l'art contemporain dépasse ainsi pour la première fois celui de l'art moderne.
La photographie connaît également un succès galopant. Les prix ont progressé de 30% en 2005, soit une hausse cumulée de 207% sur dix ans. Il s'agit du seul segment capable de faire vivre les artistes contemporains. Sur ce marché, les prix varient de 250-300 euros jusqu'à 40 000 euros, et ce sont entre 30 et 40 millions de photos d'art qui sont produites chaque année. Autant d'éléments qui ont permis à la photographie de devenir un marché de masse. Aujourd'hui, on compte près de 45 millions de collectionneurs débutants aux Etats-Unis et 120 millions dans le monde.
De par ses caractéristiques, l'art est de plus en plus convoité par le marché du luxe. Il se situe dans le segment medium du luxe.

New-York est aujourd'hui la capitale mondiale de l'art et Paris ne représente plus que 6,6% des parts de marché. Comment expliquez-vous cette évolution ?
La France a une position extrêmement médiocre sur le marché de l'art contemporain. La réforme des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques n'a pas eu les résultats escomptés. La France est totalement incapable de gérer l'art contemporain, elle est la lanterne rouge au niveau européen, même si elle tente de remédier à la situation par le biais de ventes, telles la vente Breton ou la vente Arts primitifs. Mais il ne s'agit que de façades cachant une triste réalité. La France demeure toutefois à la première place pour les transactions, en passe cependant d'être devancée par l'Angleterre.
Autre handicap : la France est incapable d'exporter. Sur les 1000 premiers artistes mondiaux, le premier français est à la 700ème place !
La politique de mécénat fait également défaut. Les donateurs potentiels ne comprennent pas l'intérêt et la nécessité d'intervenir sur ce secteur, ce qui s'explique aussi par une absence d'incitations en la matière.
La perte de Pinault constitue à cet égard un acte irréparable pour la France.

Les chinois sont de plus en plus présents sur le marché de l'art, comment expliquez-vous cela ?
Les chinois ont parfaitement su démonter les mécanismes du marché de l'art, et la diaspora chinoise a joué un rôle fondamental. Les artistes chinois les plus doués sont installés à New-York, c'est-à-dire qu'ils y vivent et y habitent. La plupart ont la double nationalité. En outre, les maisons de ventes chinoises savent manager leurs artistes même en cas de mauvais résultats, et la législation a su évoluer et s'adapter au marché, et notamment s'ouvrir aux acquéreurs étrangers.
Dans deux ans à venir, Artprice réalisera certainement près de 50% de son chiffre d'affaires en Chine, contre à peine 1% l'an dernier. Et il n'est pas impossible que dès 2006, la Chine, à la grande surprise de tous, prenne la place de la France dans le classement mondial.

Qu'en est-il des russes ?
Les russes sont avant tout des acheteurs et non des artistes. Il n'y a pas d'école russe à proprement parler. Les russes investissent essentiellement en Europe et en Amérique du Nord, et surtout dans des œuvres d'art moderne.

Quelle est la part de spéculation sur ce marché ?
Le marché de l'art a connu une croissance spectaculaire, la liquidité y a été multipliée par 1200 % en 10 ans. On ne peut pas parler à cet égard de pure spéculation. Le profil des acheteurs a changé. Dans les années 90, leur nombre était réduit, il s'agissait d'un micro-foyer économique. Puis en dix ans, le nombre d'acheteurs a été multiplié par 1200, d'où l'excès de liquidité.
De plus, l'âge moyen de l'acheteur est passé de 52 ans en 1990 à 36 ans actuellement. L'art est devenu un moyen de reconnaissance sociale. Avant seules les personnes situées dans la fourchette haute de l'ISF pouvaient s'offrir des œuvres d'art. Aujourd'hui, le jeune cadre dynamique investit également dans l'art, signe de son ascension sociale.

Quelles sont les grandes tendances du marché de l'art au premier trimestre 2006 ?
L'art contemporain se taille la part belle. Sur ce segment, le marché est sûr puisque demandeur d'émissions. La politique culturelle d'un pays est un des aspects importants de la promotion du marché de l'art.

Dans quelle mesure le marché de l'art est-il moins volatil que les autres ?
Le marché est moins liquide et moins volatil. Contrairement à un titre classique, on ne vend pas une œuvre d'art en quelques secondes. Les corrections de marché sont prises en compte moins rapidement, et les passages d'ordre également

Que pensez-vous des ventes aux enchères d'art contemporain sur eBay ?
eBay a échoué sur le marché de la vente aux enchères d'œuvres d'art de qualité. Ce site est avant tout un spécialiste de la vente d'objets d'occasion. Il représente près de 95% des parts de marché pour les objets de moins de 150 euros. eBay souffre d'une absence de normalisation. Mais surtout son objectif n'est pas de faire du Fine Art.
eBay s'est même révélé néfaste pour le marché de l'art sur Internet. Les professionnels de l'art sont devenus de plus en plus réticents à l'idée de vendre sur Internet.

Quelles sont les prévisions du groupe en termes de chiffre d'affaires pour 2006 ?
Pour l'heure, nous pouvons dire que nous sommes très optimistes. Le lancement début juillet d'Artprice Decorative Arts est plus que prometteur. Nous avons développé une normalisation avec 3600 critères, pour le mobilier ancien jusqu'au design. Le marché visé devrait générer un volume de transactions douze fois supérieur au marché du Fine Art, et dépasser ce dernier d'ici à novembre-décembre de cette année.
De plus, nous jouissons d'un très bon taux de pénétration et de reconnaissance auprès des professionnels de l'art.

Le mot de la fin pour vos actionnaires
Grâce à Artprice Decorative Arts, le volume de transactions de la société devrait être multiplié par douze. De plus, nous confirmons notre rôle de leaders mondiaux tant au niveau informatif qu'au niveau marketing.
A noter que le contexte géopolitique actuel devrait avoir un impact limité sur notre titre et nos résultats.

lucile