Interview de Martine Hue  : directeur des relations investisseurs de Publicis Groupe

Martine Hue

directeur des relations investisseurs de Publicis Groupe

Il y a débat sur l’appréciation de tout ce qui est extra financier (...) mesurer l’impact de bonnes pratiques sur le résultat est très complexe

Publié le 21 Juillet 2009

Retrouvez en cliquant ici l'article Communication financière et actifs immatériels : quels enjeux ? 


Comment se manifeste l’immatériel chez Publicis ?
Publicis est un groupe de communication  une entreprise de services, son cœur de métier repose donc essentiellement sur du capital immatériel. C’est ce que l’on pourrait appeler une industrie de personnes.

Publicis est très représentatif de l’économie mondiale, avec des clients dans la santé, l’automobile, la grande consommation, la grande distribution, l’énergie, ou le luxe. Ses clients sont implantés dans plus de 100  pays, avec des cultures différentes. Publicis cultive donc la différence : c’est quelque chose de particulièrement immatériel. Publicis se fait fort d’aider le client à créer ou entretenir la marque, et de l’amener dans la perception des consommateurs, lors de l’étape de fidélisation. C’est un travail très intellectuel, même si cela se traduit souvent par des spots TV.

Les créatifs ont une connaissance intime du client et de ses besoins, et travaillent avec l’équipe marketing. Partout dans le groupe Publicis on est dans l’immatériel : la marque, les désirs des consommateurs, le monde des idées, de la création…en somme tout ce que l’on peut qualifier «d’actifs immatériels».
Si l’on compare Publicis à Google, on remarque tout d’abord que Google, ce ne sont pas des publicitaires mais des concepteurs de puissants moteurs de recherche.. Ce sont les rois du mot-clé, mais ce qu’ils ne savent pas, c’est comment vous et moi nous faisons notre recherche. Si on veut voyager, on peut chercher les mots «voyage» ou «Bali», ou hôtel de charme, voire golf…

Google ne sait pas comment le consommateur fait sa recherche : va-t-il entrer dans la nomenclature par un pays, par une activité sportive, par une civilisation ?  C’est Publicis qui apporte cette connaissance très fine de chaque consommateur au client. Le client décide, par exemple, de lancer une molécule pour soigner le paludisme. Il a un historique des molécules précédentes, des zones où ses produits ont été écoulés. Mais c’est Publicis qui va lui faire remarquer qu’au Sénégal les gens n’ont pas de PC, mais qu’ils ont des téléphones portables ou un mode de communication qui leur est propre, qu’ils ont telle ou telle habitude et une approche particulière à la santé. Il y a des pharmaciens mais aussi des sorciers… Le client se débarrasse de la complexité sur Publicis, et plus c’est complexe, mieux Publicis se porte.

Le basculement rapide vers une « économie de l’immatériel », révolution considérable pour des économies essentiellement fondées sur la production industrielle, a un effet d’accélération sur l’affirmation des idées, leur communication et la rapidité de leur mise en œuvre.

Comment communiquez-vous sur ces actifs immatériels à la fois dans la communication corporate et financière? Avez-vous le sentiment que les marchés et les investisseurs sont convaincus par une approche parfois qualitative ou extra-financière, en complément des critères financiers usuels ?
L’information financière est une abstraction en soi. Les résultats sont une mesure économique, normée, qui permettent de mesurer la validité d’une idée, d’un concept puis de financer, de payer, et d’investir si le concept d’origine est validé par des résultats. Mais les communiqués sont aussi des produits intellectuels, le chiffre étant l’expression d’une valeur.

La communication, stricto sensu, relève donc de l’immatériel puisqu’il s’agit de transmettre des idées, des concepts. Chez Publicis, le contenu même de cette communication est lui aussi immatériel : par exemple, si l’on regarde notre bilan, on n’a que du goodwill, à part quelques biens immobiliers. La valorisation de la marque est donc une vraie question.

En revanche nous commençons à communiquer sur nos actions en matière de développement durable, suivant trois «piliers» : environnemental, économique et social. Les seuls indicateurs fiables qu’on ait sur le long terme portent sur le personnel, les autres mesures étant plus complexes à établir et de fait «les bonnes notes» seront reflétées par la créativité reconnue, donc le succès, dans le respect des autres et des cultures.

Selon votre perception, quelle importance accordent les acteurs des marchés financiers au capital immatériel de l’entreprise? Quels actifs immatériels identifient-ils et ont-ils des priorités ?
Il est impossible, aussi fort soyez-vous, d’être en face d’un investisseur et de collecter tous les communiqués des annonceurs disant que Publicis a un budget de tant… Le directeur financier, bien souvent, ne connaît pas la nature du service rendu, de la difficulté du problème du client à résoudre. En plus, au-delà du taux horaire que l’on va facturer au client, il y a tout un travail intellectuel qui est valorisé.

Dans ce domaine de l’immatériel, il y a un autre débat sur l’appréciation de tout ce qui est extra financier : le social, l’environnemental, etc. En effet, on arrive seulement à chiffrer le coût de l’investissement que l’on met en œuvre pour améliorer notre situation. Par exemple, cela coûte tant par an d’être en conformité avec la réglementation européenne, mais de mesurer l’impact sur le résultat de bonnes pratique ? Cela est très difficile !

Nos investisseurs sont très sensibles à ces questions et nous sommes convaincus que tous ces aspects constituent une tendance de fond.

Comment le capital immatériel est-il valorisé par Publicis ?
Quand on signe un contrat avec un client, il y a un certain nombre de règles, c’est-à-dire le respect d’un comportement éthique. On refuse les publicités qui ne seraient pas alignées avec un comportement éthique: cela finirait par se traduire par une disparition des clients. On a aussi un véritable souci des personnes. Quand on travaille pour l’automobile, on fait attention à tout ce qui est lié aux émissions, à la sécurité : on ne vante pas les excès de vitesse dans les images que l’on produit. Tout cela montre bien l’importance que Publicis accorde au  concept, aux idées de progrès, au capital immatériel.

Publicis valorise aussi de façon extrême le capital humain, mais cela n’a rien à voir avec une valorisation dans le Compte de Résultats, sous la rubrique coûts de personnel. Notre valorisation du capital humain se voit dans le fait que si l’on perd un grand créatif, c’est une grosse perte de valeur pour nous. Tout le travail qui a été fait depuis des années s’en va…tout un monde d’idées disparaît…

On valorise aussi le capital client bien sûr, puisque notre notoriété s’accroît à mesure que la liste des clients avec une grande notoriété s’accroît. Tout cela participe d’un capital réputation.

Publicis a su devancer un certain nombre de choses, grâce précisément à toute l’attention donnée au capital immatériel. L’innovation est quelque chose qui est très ancré dans la culture de cette maison. En ce qui concerne le management du personnel par exemple, on a besoin d’innovation sociale, puisque si l’on gère bien les gens chez Publicis, ils gèreront mieux le client et «manageront» mieux leurs collègues etc.

Comment l’immatériel est-il valorisé par les clients de Publicis ?
Nos clients valorisent eux aussi l’immatériel. Si l’on prend de grands clients par exemple, quand on connaît leur anxiété par rapport à leur marque et les problèmes sur leurs produits, ils ne sont pas contents lorsqu’il faut retirer un produit de la circulation. C’est la même chose pour tous les grands noms…et ceux qui veulent le devenir, ou encore pour les entreprises du secteur de la santé, de la beauté…

Les banques, par exemple, valorisent énormément le capital immatériel. Mais d’autres de nos clients n’y accordent pas assez d’importance. Quand on a un problème de capital clients ou de capital notoriété, on met beaucoup de temps à remonter la pente...

Cela fait prendre conscience de toute l’importance qui doit être accordée aux actifs immatériels. D’ici quelques années, peut être que certaines entreprises du monde de la finance  réussiront à chiffrer des pertes suite à ses «fautes» ces derniers mois. Dans un autre domaine, on peut prendre l’exemple certaines OPA: il est légitime de penser que les Européens n’ont pas su exporter ce qu’ils savaient faire, notamment en termes d’immatériel.

Interview réalisée par les étudiants de la Tribune Sciences de l’Immatériel
Sous la direction de Marie-Ange Andrieux – Deloitte – Directeur de la Tribune Sciences Po de l’Immatériel