Interview de Alain Pitous : Directeur général adjoint - Associé chez Talence Gestion

Alain Pitous

Directeur général adjoint - Associé chez Talence Gestion

Nous aimons bien deux grandes histoires sur le marché des actions européennes

Publié le 28 Octobre 2014

Quel regard portez-vous sur l’évolution des marchés financiers ces dernières semaines ?
La variation des cours de bourse dépend du fondamental des sociétés et du comportement des investisseurs.
Depuis plusieurs trimestres, le fondamental des sociétés est en légère amélioration. Quant au comportement des investisseurs, celui-ci était porté par deux considérations : la liquidité très favorable et l’anticipation d’une perspective économique meilleure. Ces deux considérations incitaient alors à l’achat d’actifs risqués.
Progressivement les nouvelles macroéconomiques sont devenues un peu moins bonnes. La France, l’Italie et même l’Allemagne ont affiché des signes de fatigue évidents. L’embellie espérée au Japon ne s’est pas déroulée. Des inquiétudes ont continué à être soulevées sur la Chine. Seul les Etats-Unis semblaient véritablement connaitre une reprise robuste.

Face à cette détérioration de la conjoncture, les actifs les plus risqués et potentiellement les moins liquides ont été le plus sanctionnés : les obligations à haut rendement, les actions des petites capitalisations... Ce d’autant plus que l’expectative d’avoir une liquidité abondante a perdu de sa force face à la fin prochaine du quantitative easing de la Fed aux Etats-Unis et à un relèvement à venir des taux directeurs.

Quelle lecture faites-vous de la forte correction enregistrée de part et d’autre de l’Atlantique le mercredi 15 octobre ?
Le mouvement de baisse qui était latent a été renforcé par des paramètres techniques.
En premier lieu, face au repli des actions, de nombreux investisseurs institutionnels qui étaient sous pondérés sur la partie obligataire, ont cherché à se réorienter sur cette classe d’actif.
De même en a-t-il été des hedge funds qui s’étaient retrouvés avec une allocation en actions d’un niveau record. Alors que normalement la corrélation moyenne de la performance des hedge funds avec la performance des marchés actions est de l’ordre de 40% à 50%, cette corrélation est montée à 90%. Ces mêmes hedge-funds étaient pour beaucoup carrément vendeurs d’obligations d’Etat américain. Ils ont dû se racheter.

Cette réorientation massive des hedge funds a conduit à un volume historique de transactions sur les obligations du Trésor américain ce jour là, de 980 milliards de dollars. Le taux à dix ans des Etats-Unis a touché 1,86%.

Quel vision avez-vous à présent des marchés ?
Ils ont repris un rythme normal. Les volumes se sont quelque peu amoindris. Le taux à dix ans américain est revenu à 2,20%.
La période de correction qui s’est produite ne doit pas être exagérée. L’indice S&P a touché 2020 points lors de l’introduction d’Alibaba. Il est à 1961 points aujourd’hui. Cela fait moins de 5% de correction.
Ce mouvement n’est pas de nature à remettre en cause toute une réflexion qui date de plusieurs mois.

Avez-vous ajusté votre allocation pendant cette phase de correction ?
Nous n’y avons touché que marginalement car nous n’étions de toute façon pas extrêmement investis et surtout nous n’étions pas sur des valeurs spéculatives mais sur de fortes convictions qui demeurent intactes malgré les perturbations que nous avons vécues.
Nous avons surtout arbitré des valeurs très cycliques exposées à l’Europe pour aller vers des valeurs plus internationales un peu plus sensibles à la hausse du dollar.

Comment justifiez-vous votre exposition modérée aux actions présentement ?
Nous avons souhaité conserver quelques liquidités pour mieux nous repositionner en cas de volatilité, et donc ne pas ne pas être à la limite de la capacité d’investissement. Ces périodes de marchés animées étant propices aux opportunités intéressantes.

Qu’attendez-vous pour prendre de nouvelles décisions d’allocation ?
Une meilleure visibilité. Plusieurs catalyseurs se profilent à l’horizon. Nous préférons patienter quelques jours.

Quels sont-ils ?
Avant tout, les résultats des entreprises, les actions des grandes banques centrales et notamment de la Banque centrale européenne et dans une moindre ampleur les mesures adoptées par le politique européen.
S’agissant des résultats des entreprises, nous sommes confiants. De belles sociétés situées en amont dans l’industrie ont fait état de bons résultats. La thématique des fusions acquisitions est toujours présente : les opérations se font avec des primes de 30%, et une bonne partie payée en cash.
Pour ce qui est des banques centrales, à la fois la BCE, la Fed, la BoE n’ont pas hésité à intervenir après les secousses sur les marchés pour indiquer qu’elles seraient toujours présentes. Un membre de la Fed est allé jusqu’à évoquer la potentialité de se lancer dans un QE4.

L’état de la croissance dans la zone euro ne vous inquiète-t-elle pas ?

Nous sommes sur une normalité de croissance à travers le monde à laquelle nous n’étions pas habitués : 1% de progression du PIB dans la zone euro, 2% aux Etats-Unis, 3 à 4% dans le reste du monde.
Nous sommes d’avis que nous resterons dans cette croissance modérée. Autrement dit la croissance peut difficilement accélérer mais elle peut difficilement aussi difficilement déraper.
D’un coté, il y a beaucoup de dette. Dès que les choses vont mieux, les Etats tendent à faire rentrer des recettes fiscales et freinent les investissements de soutien à l’économie. Cela empêche la croissance de reprendre véritablement de l’élan.
Parallèlement au moindre heurt, les banques centrales resteront à la manœuvre. Après avoir massivement gonflé leur bilan depuis 2008, celles-ci ne peuvent se permettre de jeter l’éponge maintenant.

Tablez-vous sur un comportement plus agressif de la BCE ?
Je ne m’attends pas à une grande offensive de la BCE à chaud. Celle-ci devrait continuer à distiller des actions jusqu’à se retrouver le cas échéant dos au mur.

Ce tunnel de croissance a des conséquences pour la variation des taux et celle des actions…
Les taux longs ne peuvent pas monter considérablement. Ils ne pourront pas non plus descendre beaucoup plus bas, auquel cas cela impliquerait une déflation que les banques centrales chercheront à tout prix à éviter.
Les actions, quant à elles, ne peuvent pas augmenter fortement dans la mesure où la croissance des profits des entreprises égalera environ la croissance du PIB, entre 2,5% et 3,5%.

Certaines entreprises parviendront cependant à tirer leur épingle du jeu et à générer 5% à 6% de croissance de profits avec une bonne visibilité.

Quid de la volatilité sur les marchés ?
La volatilité courte à 1 et 3 mois devrait perdurer et même augmenter quelque peu sans exploser pour autant. Les mouvements des actifs financiers seront très influencés par les propos des banques centrales. L’annonce d’opération de rachat d’ABS ou de titres souverains par la BCE aura un effet favorable, celle d’un prochain resserrement de la politique par la Fed aura un effet défavorable. Les marchés devraient osciller en fonction des nouvelles sur les taux courts.

Quelles grandes thématiques devraient guider vos investissements en actions dans les mois à venir ?
Nous aimons bien deux grandes histoires. La première concerne les sociétés européennes de croissance à l’international avec une bonne visibilité. Même si les valorisations sont un peu chères, nous préférons payer la qualité. Nous trouvons dans cette thématique des sociétés comme Airbus ou Teleperformance.
La seconde histoire est celle des sociétés européennes en retournement. Ce sont des sociétés qui n’ont pas profité de la hausse depuis 12 à 18 mois parce qu’elles étaient en réorganisation, parce leur structure financière étaient en train de changer, ou qu’une fusion n’avait pas encore été bien digérée.
Ces sociétés délaissées par les investisseurs à tort ont le mérite d’être sous évaluées. Notre exposition est influencée par l’identification d’un moteur de reprise comme l’établissement d’une nouvelle équipe de management ou la définition d’un nouveau business model ou encore la réalisation d’une nouvelle opération financière. Entrent dans cette logique des titres comme Peugeot, Fnac, Sequana, Chargeurs.

Quels principaux risques surveillez-vous dans votre radar ?
Un véritable coup de froid sur la croissance. Une croissance mondiale revue à 2% au lieu de 3% dans le cas par exemple où la zone euro s’enfoncerait et où la BCE n’arriverait pas à faire avancer les choses.

Propos recueillis par Imen Hazgui