Interview de Béatrice Collin : Professeur de stratégie et management international à ESCP Europe

Béatrice Collin

Professeur de stratégie et management international à ESCP Europe

Le grand public connaît très mal la réalité de L'Oréal

Publié le 03 Août 2010

Vous avez écrit un livre intitulé Le Modèle L'Oréal : les stratégies clés d'une multinationale française. Pouvez-vous décrire ce modèle, ses forces et ses faiblesses ?
L'élément clé du "modèle l'oréal" est la présence dans l'ensemble des circuits de distribution et sur l'ensemble des zones géographiques. Ainsi quand le luxe est en difficulté, les achats des consommateurs ont tendance à se porter sur la grande distribution où l'entreprise est également présente (ce qui n'est pas le cas par exemple de LVMH ou Estée Lauder). Inversement, en cas de reprise sur les produits de luxe, L'Oréal est présent à l'inverse de Beiersdorf. D'autre part, le groupe a racheté des marques qui s'inscrivent dans la tendance "nature-écologie-bobo" avec Kiehl's et Body Shop pour couvrir l'ensemble des nouvelles tendances. De la même façon, la présence sur l'ensemble des marchés est une force.
On peut tout de fois souligner que L'Oréal a encore besoin de se renforcer sur les marchés émergents, où ses concurrents, américains notamment, ont une présence bien ancrée.

Beaucoup de questions se posent sur les intentions du groupe suisse Nestlé, qui détient 26% de L'Oréal et pourrait en prendre le contrôle. Quel est le scénario le plus probable selon vous ?
Le droit mutuel de préemption entre la famille Bettencourt (27,5% du capital, ndlr) et Nestlé (26%) sur leurs participations respectives prend fin en 2014. Le plus vraisemblable, à mon avis, est la renégociation du pacte d'actionnaires avec Nestlé et éventuellement une prise de contrôle plus importante par le groupe suisse, qui en a les moyens mais pas forcément la volonté stratégique clairement affichée. Le scénario d'un rachat de la participation de Nestlé par la famille Bettencourt est peu probable. La vente de cette participation à un tiers est possible, mais ce ne serait pas la meilleure des hypothèses pour l'avenir de l'entreprise et ce ne semble pas être le choix ni de Nestlé, ni de la famille Bettencourt.

Doit-on s'attendre à des changements rapides dans le capital de L'Oréal ? Nestlé dispose d'un trésor de guerre avec la vente d'Alcon qui sera finalisée fin 2010...
Il peut y avoir des mouvements dans le capital avant 2014 car le pacte d'actionnaires autorise les ventes d'actions dès 2009. Ce qui perdure jusqu'en 2014 est le droit de préemption réciproque. Donc rien n'empêche les transactions.

Le gouvernement français acceptera-t-il qu'un fleuron de l'économie française passe aux mains d'un groupe étranger ?
L'entreprise L'Oréal peut rester française au niveau de son siège social. Sa présence en France est d'ailleurs un de ses atouts car l'image de la France est souvent associée au luxe et à la beauté. Cela ne l'empêcherait pas d'être contrôlée par un groupe étranger. Il faut relativiser la notion de "groupe étranger": si on parle de Nestlé, on est face à un groupe européen très proche de la culture française ce qui n'a rien de dramatique. Et puis surtout, il ne faut pas oublier qu'en dehors de Nestlé, L'Oréal a des actionnaires internationaux déjà présents dans son capital et que le groupe réalise plus de 85% de son C.A. hors de France! L'entreprise est déjà largement mondialisée.

L'affaire Bettencourt-Woerth peut-t-elle peser sur les décisions à venir ?
En ce qui concerne l'affaire Bettencourt, ce genre de communication n'est jamais positif, mais les effets restent très limités pour l'impact sur le grand public qui connaît en fait très mal la réalité du groupe et notamment les dizaines de marques qu'elle possède. Pour les actionnaires, cela ne fait que prendre conscience un peu plus fortement de l'imminence des grandes manoeuvres autour du capital de L'Oréal. L'affaire politique en tant que telle est selon moi de peu d'effets.

Propos recueillis par François Schott