Interview de Bernard Aybran : Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Bernard Aybran

Directeur de la multigestion chez Invesco Asset Management

Opérations de rachat d'actions : possible que l'on ait un mouvement qui s'enclenche en Europe

Publié le 30 Septembre 2011

Bouygues, Lagardère, GDF Suez, BNP Paribas, Peugeot, France Telecom, Hermès, Valéo, Ubisoft, Solucom, Auréa, Agéas, Belvédère en France ; Ahold, KPN aux Pays- Bas ; Alpine Select en Suisse, Belgacom en Belgique, Berkshire, Dell aux Etats-Unis … Quel regard portez-vous sur la multiplication des opérations de rachat d’actions ?
Le rachat d’actions est pratiqué depuis plusieurs années aux Etats-Unis et a même pris le pas sur la distribution des dividendes. Aux Etats-Unis nous avons donc la continuation d’une tendance bien enclenchée depuis un moment. Possible que l’on ait un mouvement qui s’enclenche en Europe.

Le mouvement est embryonnaire en Europe, mais il semble s’intensifier. Comment expliquer ce changement de cap ? Comment l’analyser ? Assiste-t-on à un aveu d’impuissance ?
Il est clair qu’en moyenne l’investissement des entreprises est très faible. Le cash flow qui n’est pas investi peut alors soit être stocké en trésorerie, soit être distribué sous forme de dividendes, soit être utilisé pour procéder à des rachats d’actions. L’aveu d’impuissance est à peu près le même dans les trois cas. La différenciation se fait au niveau du message délivré. Une entreprise qui rachète ses actions passe a priori le message au marché selon lequel elle a confiance dans la poursuite de son activité.
Un autre élément explicatif de ces opérations réside dans le fait qu’elles sont des opérations financières qui sont conseillées par des banques d’affaires. Ces banques touchent des commissions sur les opérations de rachat d’actions mais pas sur les opérations de distribution de dividendes. Par conséquent, ces banques d’affaires n’ont pas tendance à recommander les opérations de rachat.

Cette montée en puisse des opérations de rachat d’actions signifie-t- elle une diminution à venir des versements de dividendes ?
Je ne le crois pas. Certes, la fiscalité de l’actionnaire est plus favorable dans le cas de rachat que dans le cas d’un versement de dividendes. Si une société rachète ses propres actions, cela ne change rien pour l’actionnaire en termes de fiscalité. Si une société distribue des dividendes dans ce cas il y a un revenu, et l’actionnaire est imposé.
Ceci étant, si depuis un moment, les actions ne sont plus considérées aux Etats-Unis comme une source de revenus mais comme une source de rendements-les actions sont achetées pour une plus value- ce n’est pas encore le cas en Europe. Dans certains pays comme le Royaume-Uni, nombreux sont les investisseurs qui comptent sur les dividendes pour notamment financer les retraites.
Ensuite le dividende suppose un certain virement sur le compte en banque de l’investisseur. Le montant est immédiat et directement visible par l’investisseur. Le rachat d’action repose quant à lui largement sur de l’espoir. La société qui procède au rachat espère que le cours sera soutenu. Il n’y a aucune garantie que ce soit le cas.

A ce propos, ces opérations de rachat permettent-elles véritablement d’augmenter la performance boursière des sociétés qui la pratiquent ?

Il n’y a pas de statistiques définitives sur le sujet mais il existe des indices qui permettent de suivre les sociétés qui rachètent leurs actions aux Etats-Unis. Les sociétés américaines qui se livrent à l’exercice ont eu tendance à délivrer une meilleure performance que le S&P 500sur les dix dernières années.
Cela dit, cela n’est pas vrai dans tous les cas. Le cours de bourse de Bouygues par exemple s’est mécaniquement ajusté le jour de l’annonce. L’action a monté du pourcentage du capital qui a été racheté. Cependant le titre a ensuite continué à évoluer en ligne avec le marché.

Comment l’expliquez-vous ?
Il y a une notion de levier qui entre en considération. Concrètement une opération de rachat d’actions par la société conduit à une plus grande exposition des actionnaires au capital. Si ces actionnaires sont rationnels et qu’ils souhaitent maintenir leur exposition initiale inchangée pour répondre à un objectif de rendement et à un profil de risque précis, ils pourraient être amenés à vendre une partie des actions détenues pour ajuster leur exposition.
C’est ainsi que certaines opérations de rachat effectués peuvent ne pas avoir beaucoup d’effets sur les cours. A présent, cette analyse est à nuancer dans la mesure où nous n’avons pas eu suffisamment d’opérations pour aboutir à des résultats statistiquement probants.

Peut-on interpréter cette accélération des opérations de rachats d’actions comme une conséquence directe du massacre boursier que l’on a eu cet été ?
On peut estimer effectivement que c’est le cas. Warren Buffet a notamment justifié son opération en signalant qu’il estimait le cours de bourse de sa société trop bon marché et qu’il ne reflétait pas les fondamentaux solides de sa société.

Dans cet environnement tumultueux où la volatilité demeure élevée, doit-on s’attendre à une poursuite de cette tendance ?
Tant que les banques d’affaires y trouvent un intérêt, oui.

Peut-on examiner la baisse des opérations de fusions acquisitions comme le corollaire de cette augmentation des opérations de rachat d’actions ? L’idée étant que c’est notamment en raison des craintes sur l’avenir ou d’un manque d’opportunités intéressantes que les sociétés décident d’utiliser leur cash pour procéder à des rachats plutôt que pour procéder à des opérations de croissance externe ?
Le ralentissement des opérations de fusions-acquisitions est directement en lien avec la faiblesse des investissements en général.
Maintenant, pour ce qui est plus spécifiquement des sociétés américaines, la fiscalité pratiquée sur leur trésorerie les incitent à conserver une importante partie de leur cash en dehors des Etats-Unis. Elles sont alors amenées en principe à réaliser des opérations d’acquisitions en dehors des frontières américaines. Toutefois, dans des périodes aussi compliquées comme celles que nous connaissons, elles sont réticentes à procéder à de telles opérations. Ne pouvant pas rapatrier une partie de leur cash pour distribuer des dividendes elles sont amenées à favoriser les opérations de rachat d’actions.
Ainsi, le lien entre absence d’opération de fusion acquisition et réalisation d’opération de rachat d’action est plus nette aux Etats-Unis qu’en Europe.

Quelle analyse faites-vous de la multiplication des cessions d’actifs ?
Les cessions qui s’opèrent dans le secteur financier sont très particulières. Au lieu d’augmenter la taille de leur capital, les banques diminuent leur bilan pour améliorer leur ratio de solvabilité. De ce fait on assiste à une sorte de recapitalisation par le dénominateur plutôt que par le numérateur.
Dans les autres secteurs, il n’y a pas vraiment de statistiques, mais il est vrai qu’habituellement dans les périodes compliquées, les grands groupes ont tendance à se recentrer pour revenir sur leur cœur de métier. Cela s’inscrit dans des plans de rationalisation, de réduction des couts.

Ces cessions ne sont donc pas motivées par une question de trésorerie ?

Les trésoreries sont tellement pléthoriques, que ce n’est pas de ce coté là qu’il y a un problème.

Propos recueillis par Imen Hazgui