Interview de Nicolas  Simar : Responsable de la gestion value chez NNIP

Nicolas Simar

Responsable de la gestion value chez NNIP

Actions européennes : la rotation des investissements vers les valeurs fortement décotées peut s'avérer violente et rapide en 2016

Publié le 22 Décembre 2015

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la gestion décotée en Europe ?
La gestion décotée connait, à travers le monde, y compris en Europe, depuis 2009 une sous performance notable. Sur 10 ans glissant, l’écart de sous performance est similaire à celui qui prévalait à la fin des années 1990, autrement dit à la fin de la bulle Internet, autour de 30%. Les éléments d’explication sont divers : en particulier, la croissance très faible et l’inflation atone qui caractérisent l’environnement macroéconomique depuis plusieurs années. Les investisseurs ont été amenés à abondamment privilégier les sociétés de croissance qui n’ont pas besoin de la reprise cyclique pour générer de la performance.

Avez-vous été surpris par l’ampleur de la sous performance de la gestion value cette année ?

Oui, quelque peu. Tout d’abord, comme j’ai pu le mentionner, cela fait plusieurs années que cette sous performance est en vigueur. Ensuite, nous avions une série de données économiques au niveau européen concernant le PIB, l’indice PMI, les bénéfices des entreprises, qui étaient relativement favorables. Hors secteur énergétique, les profits des entreprises européennes ont connu une hausse à deux chiffres. Cet état de fait pouvait légitimement nous laisser supposer un début de retour en grâce de la gestion value.

Comment avez-vous tenté de résister à la sous performance de la gestion value cette année ?

Nous avons fait le choix de nous rabattre dans un premier temps sur les petites et moyennes capitalisations qui ont clairement mieux résisté que les grandes capitalisations.
Nous sommes revenus après l’été sur les sociétés de grande taille étant donné le creusement de l’écart de valorisation qui s’était produit.

De quelle manière voyez-vous se profiler l’année 2016 ?

Une rotation des investisseurs vers les valeurs décotées n’est pas improbable. Le déclenchement de la remontée des taux par la Fed ce mois de décembre ; la vive expansion de l’indice growth, à plus de 50% faite sur deux segments spécifiques (les biens de consommation et la santé) ; la forte sous performance de l’indice value constituent autant de supports incontestables pour la gestion value. A présent, il est difficile de prévoir le timing du retournement.

Quelle lecture faites-vous de l’importante surperformance des valeurs de croissance ?

Beaucoup de flux se sont dirigés vers les sociétés de croissance par le biais des stratégies de faible volatilité ((low volatility, minimum volatility, minimum variance...). Ces thématiques ont conduit les titres de ces sociétés à être sur joués.

Pensez-vous qu’un phénomène de bulle s’est créé sur les valeurs de croissance ?

Je le pense en effet. Certaines valeurs, comme L’Oréal ou Inditex, sont présentement valorisées près de 30 fois les bénéfices attendus à 12 mois.

Il y a un danger pour la stratégie de gestion growth localisé dans une éventuelle accélération de la remontée des taux d’intérêt par la Fed ?

A certains égards, la Fed est en retard dans le resserrement de sa politique monétaire. La croissance des Etats-Unis est solide. Nous ne sommes pas dans une spirale déflationniste. L’inflation core américaine, hors produits énergétiques et alimentaires, avoisine les 2%. L’effet de base découlant du fort repli du cours du pétrole a vocation à disparaitre. Des pressions salariales se font ressentir. L’apparition de puissantes pressions inflationnistes pourrait pousser la Fed à accélérer le rythme de hausse de ses taux directeurs et desservir les valeurs de croissance qui ont énormément monté sur l’appui de la baisse des taux.

L’investissement massif dans les ETF smart beta, à l’origine d’une partie conséquente de l’exagération des valorisations des valeurs de croissance, pourrait alors devenir facteur accélérateur des perturbations sur ces mêmes valeurs.

Est-il plus judicieux d’attendre des signes visibles de la rotation ou se positionner en amont ?

Un positionnement en amont me parait tout à fait envisageable, la stratégie de croissance étant actuellement très suivie par la majeure partie des acteurs du marché et le mouvement de sous performance de la stratégie value étant très importante. La rotation peut, qui plus est, s’avérer violente et rapide.

Comment vous efforcez-vous de contourner le piège des « value traps » ?

Nous combinons le critère d’un rendement élevé avec celui de la soutenabilité de ce rendement et celui de son potentiel accroissement futur.

Un de vos grands paris pour 2016 concerne le secteur bancaire ?

Les valorisations des titres bancaires en Europe nous semblent attractives. Les sociétés qui ont su réparer leur bilan ces cinq dernières années sont portées par un redémarrage de la distribution du crédit. Elles présentent également l’avantage de vouloir augmenter la participation des actionnaires aux résultats bénéficiaires par un rehaussement des dividendes.
Nous sommes notamment exposés sur un horizon de 12 à 24 mois sur BNP, Intesa, ING qui offrent un rendement supérieur à 4% et couvert par les résultats délivrés.

Où se situent vos principales sous pondérations ?

Nos sous pondérations sont essentiellement notables dans les secteurs qui ont enregistré une vive expansion de leur multiple, comme les producteurs alimentaires (Nestlé, Unilever), les producteurs de tabac et de boissons (Pernod Ricard), les firmes pharmaceutiques.

Quels principaux facteurs sont à surveiller étroitement pour corroborer l’hypothèse d’un retour en force de la gestion value ?

Dans quelle mesure la croissance européenne va se confirmer. Il faudra faire attention également aux éventuels impacts du ralentissement de la sphère émergente dans les bénéfices des sociétés européennes.


Propos recueillis par Imen Hazgui