Interview de Benjamin  Louvet : Directeur général délégué de Prim'Finance

Benjamin Louvet

Directeur général délégué de Prim'Finance

Matières premières : nous pourrions nous retrouver face à une situation dramatique sur le maïs

Publié le 06 Mai 2011

Quel regard portez-vous sur les fortes corrections que l’on a pu observer hier dans les cours des matières premières ?
Il est important de noter que cette correction n'a pas affecté de la même
manière toutes les matières premières. La correction constatée sur les cours
des matières premières agricoles a été moins violente que celle qui s’est
dessinée sur le pétrole ou les métaux. Ces matières premières sont très
liées au cycle économique. L’argent est un métal de base. Le premier pôle d’utilisation de l’argent est l’industrie. On parle alors de matières premières de
croissance.

Ceci étant dit, ces corrections sont dues à mon sens à deux facteurs. Le premier est lié à une dégradation de la conjoncture économique. Nous avons récemment eu de mauvais chiffres sur l’emploi et l’ISM aux Etats-Unis.
Cela atteste, s’il le fallait, que le prix du baril à 110-120 dollars commence à sérieusement peser sur la consommation et l’activité des entreprises. Un risque de double dip (nouvelle récession économique) est évoqué.

Par ailleurs à l’occasion d’une conférence de presse donnée hier, J.C. Trichet a annoncé à demi mot que la prochaine hausse du taux directeur aurait lieu non pas au mois de juin, mais au mois de juillet. Cela a entrainé une baisse de l’euro et une reprise du dollar, immédiatement négative pour les matières premières.

Les corrections que l’on a connues hier sont également le fait de considérations techniques...

Le cours de l’’argent a gagné plus de 150% en sept mois, près de 35% depuis
le début de l’année. Le cours du pétrole a gagné 25% depuis le début de
l’année.
Nous étions donc sur des segments de marché très tendus en raison d'une
surfinanciarisation.

C'est entre autre pour lutter contre cette financiarisation que le Comex a fortement augmenté les dépôts nécessaires pour pouvoir investir sur l’argent de manière à obliger les opérateurs à réduire leur exposition.
Le Comex a augmenté le déposit nécessaire pour traiter un contrat d'argent 5 fois ces deux dernières semaines, ce qui limite l'usage de l'effet de levier et oblige beaucoup de hedge funds à liquider. La hausse totale sur 2 semaines est de 84%, le déposit passant de 11745$ à 21600$ par contrat. La dernière hausse annoncée sera opérationnelle à compter du 9 mai, les déposits passant de 18900$ aujourd'hui à 21600$ le 9 mai pour un contrat.

A-t-on raison de parler de krach ?

Non. La définition d’un krach c’est 10 à 20% de correction sur la journée.
On ne l’a pas eu. La correction du cours du baril a été de 8%. Par ailleurs, et surtout, toutes les matières premières n’ont pas massivement corrigées, et n’ont pas toutes corrigés pour les mêmes raisons.

Peut-on parler de crevaison d’une bulle spéculative ?

Parler de crevaison d’une bulle spéculative sous entendrait deux choses : que la baisse des prix est irrationnelle au regard des informations, et que cette baisse a vocation à se poursuivre.

D’une part, le marché a selon moi entériné les mauvaises nouvelles. Il était
d’ailleurs surprenant que nous soyons restés sur certaines matières premières à un niveau de cours aussi élevé compte tenu des fondamentaux actuels.
Ensuite, je ne suis pas persuadé que la tendance baissière va se poursuivre
pour toutes les matières premières.

Selon moi une matière première défensive comme l’or a fait l’essentiel de sa
correction. Nous sommes à présent sur un bon point d’entrée.
Les matières premières agricoles ne sont pas loin du bout de leur correction. Nous devrions revoir très prochainement des cours très élevés.

La situation sur les matières premières agricoles est très préoccupante...

Les inquiétudes portent particulièrement sur le maïs et le blé qui n’arrivent
pas à être semés aux Etats-Unis parce qu’il y a trop d’inondation.
On a la même situation au Canada. En Europe, la situation est également catastrophique. En Chine, la récolte de blé est également menacée.

Qui plus est les stocks sont très faibles. Aux Etats-Unis, premier producteur mondial de maïs, les stocks de maïs représentent 15 jours de consommation.

Le taux de progression des semis de maïs est de 13% contre 40% normalement. Sachant que le maïs doit être semé avant le 15 mai, sinon le récolte est compromise.
On pourrait se retrouver à terme face à une situation dramatique au niveau mondial sur le maïs. Les Etats-Unis représentant plus de 50% des exportations mondiales.

Peu de mesures politiques seront prises à l’approche des élections présidentielles pour limiter par exemple l’utilisation du mais dans l’industrie de l’éthanol qui emploie beaucoup de main d’œuvre.

On peut donc s'attendre à une envolée du prix du maïs qui entrainera dans sa
foulée l’envolée du prix du blé et du soja.

Les matières premières agricoles les plus à l’abri sont actuellement le sucre, le cacao, et le riz.

Il est en cela temps de se positionner sur de la gestion active dans les matières premières agricoles. Se placer uniquement sur un tracker serait dangereux dès lors que ce tracker serait sujet à une très forte volatilité en raison des variations des conditions climatiques.

La baisse du prix de l’or a créé une opportunité exceptionnelle
d’investissement ? 

Le cours actuel est un cours qui pourrait ne plus se présenter avant
longtemps.Eu égard aux menaces qui planent sur l’économie, je suis convaincu que le rallye haussier du métal jaune reprendra de plus belle.

Vous êtes plus prudent sur le pétrole et sur les métaux ?
La remise en cause de la conjoncture économique justifie encore une fois les baisses que l’on a eues hier. Il est probable que nous allions sur un cours du pétrole plus faible, jusqu’à 85-90 dollars. Nous sommes sur des niveaux de stocks importants aux Etats-Unis. De plus, malgré la baisse de la production de l’Arabie Saoudite de 800 000 barils par jour en mars, le marché ne s’est pas grandement tendu traduisant un ralentissement de la demande.

Le point d’entrée serait alors très intéressant pour des investisseurs qui s’inscrivent dans un horizon de moyen long terme.

Deux inconnues importantes cependant sont liées à l’évolution de la
situation géopolitique dans le monde arabe et à l’évolution de la demande dans les pays émergents et en particulier en Chine, compte tenu de l’accélération de l’inflation…

Ces inconnues laissent place à une légère surprime qui justifierait un prix
du baril de 80-90 dollars au lieu de 70 dollars.

Propos recueillis par Imen Hazgui