Interview de Jean-Louis Schilansky : Président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP)

Jean-Louis Schilansky

Président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP)

Essence : retour à un prix du sans plomb 95 à 1,50 euro dans les jours qui viennent

Publié le 13 Juillet 2011

Que répondez-vous à ceux qui avancent à l'instar de Xavier Bertrand que les pétroliers mettent moins de temps à répercuter les hausses du prix du baril qu'à répercuter les baisses? «Quand le pétrole augmente, les prix (à la pompe) augmentent aussitôt. Quand le pétrole baisse, ça met toujours plus de temps" a-t-il déclaré.
Nous sommes sur des marchés libres, concurrentiels et très transparents. Vous pouvez savoir à tout moment, quel est le prix du pétrole brut, quel est le prix de gros des produits (essence, gasoil, kérosène), quel est le prix dans les stations services.
Personne ne fixe, ne détermine, ne régule les prix. Ce sont les opérateurs, eux même, sur le jeu de la libre concurrence, sans entente, qui établissent les grandes lignes de leur propre politique de prix en fonction de leurs coûts et de leur position sur le marché.

Récemment, un rapport de l'ESG Research Lab prouve que l'ajustement est clairement plus faible à la baisse qu'à la hausse. Une hausse de 1% du prix du pétrole entraîne une hausse de 0,12% des prix du gazole. Inversement, une baisse de 1% des prix du pétrole ne se traduit que par une baisse de 0,07% des prix à la pompe. Toujours selon cette étude, chaque centime de marge supplémentaire rapporte 1,4 million d'euros par jour aux pétroliers.

Nous ne comprenons pas cette étude. Les chiffres mis en avant par l’ESG nous paraissent surprenant. Il faut dire que les hypothèses considérées s’inscrivent dans une longue période de 20 ans (de 1990 à 2011). Il y a 20 ans le marché était très différent.
Nous avons tenté d’avoir le modèle de l’ESG pour comprendre l’économétrie sous-jacente à l’étude mais nous ne sommes pas parvenus à nous le procurer. Il s’agirait d’un modèle américain.

Fin mai par la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), a également relevé que les pétroliers ne répercutent pas intégralement à la pompe la baisse des cours du pétrole brut. Alors que le cours du baril de Brent de la Mer du Nord a baissé de 8,5% entre le 2 et le 15 mai dernier, les prix à la pompe en France n'ont baissé en moyenne que de 3,9 centimes ans les grandes surfaces et de 3 centimes dans les stations des grands groupes pétroliers, alors que le potentiel de baisse était de 6 centimes.
La Direction a établi ces statistiques à partir d’une période de deux semaines. La donne est différente sur un laps de temps un peu plus long.

Vous avez-vous-même réalisé des analyses pour évaluer les écarts entre le prix du brut et le prix des produits…
Effectivement. Nous sommes parvenus à la conclusion qu’il n’y avait pas de biais. Nous avons des mouvements symétriques.

L’annonce d’une hausse de prix à la pompe par le PDG de Total Christophe de Margerie a suscité une vive polémique. Cette annonce n’était-elle pas maladroite à la veille du départ en vacances de centaines de milliers de ménages français ?

Je crois que M de Margerie essait d’émettre des signaux d’alerte. Le pétrole est une matière première dont le prix est élevé et qui augmente.

Selon vous, il est «très probable» que les prix payés par les automobilistes
remontent dans la même proportion que la récente baisse, soit 4 centimes. Cette hausse devrait avoir lieu dans le courant de la semaine prochaine et la suivante. Le confirmez-vous ?

Quand l’AIE a puisé à la fin du mois de juin dans ses stocks stratégiques, le prix du pétrole brut a baissé et consécutivement les prix des produits également d’environ 4 centimes le litre. Nous étions descendus aux alentours de 1,47 euro pour le sans plomb 95 (contre 1,50 euro). Dans la mesure où le cours du brut est revenu à son niveau précédent l’annonce de l’AIE, aux environs de 117 dollars, nous considérons que les prix à la pompe devraient remonter. Il y a toujours quelques jours de décalage, environ une semaine, ente la variation du prix du brut et la variation du prix à la pompe. C’est pourquoi nous pensons que le retour à un prix à la pompe à un niveau de 1,50 euro devrait se faire dans les jours qui viennent.

Est-on contraint de répercuter les hausses du prix du baril sur les prix des carburants. Ne peut-on pas faire prendre en charge une partie de cette hausse du prix du baril par les pétroliers ?

L’extrême sensibilité de l’opinion publique est compréhensible dès lors que le prix du carburant impacte leur pouvoir d’achat. Le sujet est très délicat. Nous en sommes conscients.
Ceci étant, une prise en charge de la hausse du prix du baril par les pétroliers me semble très difficile. A partir du moment où le prix de la matière première est un prix mondial, si l’on ne répercute pas sa hausse, le terrain de jeu est faussé. Il faut un même level playing field auquel cas on risque d’affecter la santé financière de nos propres opérateurs. Si une telle décision était prise, il faudrait qu’elle trouve son application également en dehors des frontières, auprès des opérateurs américains, britanniques…

Nous entrons dans une dimension très politique.

Dans de la politique fiction ou dans la politique pragmatique ?
A mon sens dans de la politique fiction. Parvenir à convaincre le monde entier, du bien fondé de la prise en charge de la hausse du prix du brut par les pétroliers me parait illusoire.
La seule chose qui pourrait atténuer les variations des prix à la pompe serait de jouer sur le niveau des taxes : augmenter les taxes lorsque le prix du baril diminue et diminuer les taxes lorsque le prix du baril augmente. Nous avons en France les prix des carburants hors taxe les plus bas d’Europe.

Le litre d'essence à 2 euros, comme l'a prédit mi-avril le PDG de Total, est ce possible?

Cela prix de 2 euros correspond à prix du pétrole brut à 200 dollars le baril. Cela fait 70-80% de plus qu’aujourd’hui. Nous pourrions probablement atteindre ce cours un jour mais pas tout de suite.

Propos recueillis par Imen Hazgui