Interview de Sandrine Cauvin : Gérante actions chez Turgot Asset Management

Sandrine Cauvin

Gérante actions chez Turgot Asset Management

Secteur énergétique : nous nous sommes renforcés sur Rubis et sur GTT ; nous sommes sortis de CGG Veritas, PGS, et Technip

Publié le 18 Août 2015

Quel regard portez-vous sur l’évolution du cours de baril de Brent depuis le début de l’année ?
A la suite de la forte correction entamée à l’été 2014, le cours du pétrole a quelque peu repris de l’élan au cours du printemps. Le mouvement haussier qui s’était alors dessiné avait été justifié par un rattrapage technique, par un affaiblissement du dollar et par l’anticipation d’une réduction de la production consécutivement à la contraction du nombre de forages aux Etats-Unis, de près de 70% par rapport à un pic atteint en octobre 2014. Le prix du baril de Brent était alors remonté le 13 mai à 67,68 dollars.
Il a ensuite de nouveau repris son parcours baissier.

De quelle manière analysez-vous la suite des évènements ?

Les investisseurs se sont aperçus que la production ne régressait pas significativement aux Etats-Unis. En cela l’effet d’inertie entre le début de fermeture de forage et le repli de la production était plus long qu’anticipé, au-delà de 6 mois.
Nous demeurons dans un contexte global de surabondance de l’offre qui s’explique également par le fait que l’OPEP a décidé de ne pas réduire sa propre production. Au contraire, le cartel a même continué à accroitre sa production depuis novembre 2014.

Comment voyez-vous évoluer la position de l’OPEP ?

Jusque là l’OPEP a été la principale variable d’ajustement du prix du baril. C’est l’ajustement de sa production qui permettait alors au cours du pétrole de se maintenir.
L’OPEP a changé de positionnement en fin d’année dernière pour s’orienter vers une stratégie de gains de parts de marché et d’évincement des principaux concurrents en Amérique du nord, Etats-Unis (pétrole de schiste) et Canada (sable bitumineux), en profitant de son faible cout de production.
A l’écoute des différentes déclarations des responsables des pays de l’OPEP, et principalement de ceux de l’Arabie saoudite, nous n’avons pas le sentiment qu’il y a une volonté de changer de stratégie pour l’instant.

Quelle appréciation faites-vous de la contribution de l’Iran dans cette offre surabondante ?

Grâce à la levée des sanctions occidentales, l’Iran pourrait être en mesure d’exporter assez rapidement 800 000 barils par jour supplémentaires. Ceci devrait être intégré dans le nouveau quota de l’OPEP.

Ce quota pourrait donc être amené à être élevé ?

Nous n’anticipons pas le fait que d’autres membres de l’OPEP acceptent de sacrifier une partie de leur production pour laisser de la place au surcroit de production de l’Iran.

Y a-t-il des chiffres qui circulent concernant l’ajustement de ce quota ?

Pas pour l’instant. Celui se situe présentement à 30 millions de barils par jour. En réalité, sont produits 31,7 millions de barils. Avec les 800 000 barils par jour additionnels de l’Iran, nous parviendrions à 32,5 millions de barils par jour.

La Chine doit-elle inquiéter du coté de la variation de la demande ?
De toute évidence, oui. La Chine a indéniablement tiré à la hausse la demande de pétrole ces dernières années. En cela l’amélioration de la toile de fond macroéconomique aux Etats-Unis et en Europe ne suffira pas à aboutir une demande suffisamment robuste pour compenser le déficit de consommation de la Chine.

Le cours du Brent a chuté de plus de 15% sur un mois et de plus de 27% sur trois mois. Pensez-vous que la principale raison de ce déclin réside dans le ralentissement de la dynamique en Chine ?

Il me semble qu’il y deux principales raisons à ces variations. En premier lieu, l’accentuation des craintes au sujet de la bonne santé de l’économie chinoise. En second lieu, la vive appréciation du dollar. Mais surtout la surabondance de l’offre par rapport à la demande, qui se situe actuellement à 3 millions de barils par jour, soit le plus haut niveau jamais atteint.

Quelles sont vos prévisions sur les six prochains mois ?

Il y a lieu d’être très humble lorsqu’il s’agit d’établir des estimations de cours sur le baril. Lorsque la correction a début à l’été 2014, quasiment personne n’envisageait que le cours pourrait tomber à 45 dollars le baril.
Je ne serais pas étonnée que le prix du Brent persiste sous les 50 dollars au cours des six prochains mois. Le cours est actuellement à 48,60 dollars.
De quelle manière vous efforcez-vous de gérer la situation ?
Dans un fonds dédié à l’énergie nous sommes contraints d’être investis dans la thématique. Nous mettons l’accent sur les fondamentaux des sociétés pour en déduire des convictions. Et nous patientons.

Quelles vous semble être les sociétés qui ont les reins les plus solides pour résister à cette phase de perturbation ?

Les majors pétrolières intégrées qui n’exercent pas qu’une activité directement liée aux fluctuations du prix du pétrole mais qui ont aussi des activités de raffinage et de pétrochimie qui bénéficient d’un prix du pétrole plus faible.
Ces sociétés peuvent, de plus, en dégraissant leur portefeuille d’actifs par des opérations de cession, se doter d’un matelas de liquidité leur permettant de traverser plus facilement la période de perturbations.
A l’inverse nous évitons les petites sociétés qui n’ont qu’une activité d’exploration-production confrontées à de sérieuses difficultés financières.

La poche de liquidité a-t-elle augmenté dans votre portefeuille d’investissement ?
Le nombre de positions a-t-il diminué ?
Nous sommes investis pour l’heure à 90%.

Quelles sont vos trois principales lignes ?

Total, Shell, Exxon.

Nous prenons indubitablement en compte le facteur dividende. Ces trois sociétés ont une structure financière solide qui les autorise à soutenir la distribution de leur dividende en 2015.
Une nouvelle évaluation devra être ensuite faite en 2016. Si le cours du baril ne rebondit pas, nous ne pouvons pas exclure que certaines majors, comme en 2009, soient poussées à abaisser leur dividende.

Vous pressentez un accroissement du nombre de sociétés américaines forcées à déposer leur bilan dans les mois à venir ?

Certaines sociétés américaines devraient effectivement se retrouver dans un scénario de défaut de paiement et dans l’obligation de céder des actifs à des prix très attractifs aux majors. Les spreads de crédit sur le high yield se sont envolés aux Etats-Unis pour les sociétés pétrolières et ces dernières ont donc des difficultés à se financer. Ensuite, à partir du mois d’octobre, il va y avoir la deuxième phase de renégociation annuelle des conditions de crédit avec les banques et nous anticipons que celles-ci vont se durcir compte tenu de l’environnement sur les prix du pétrole qui reste baissier. Ce qui avait aidé les sociétés américaines était un accès facile au crédit avec des taux très bas et des couvertures de production à des prix du pétrole nettement plus élevés que ceux pratiqués sur le marché, de l’ordre de 80 dollars. L’augmentation des taux, le durcissement des conditions de crédit et la fin des couvertures pourraient engendrer des faillites qui pourraient toucher environ 30% des sociétés du secteur aux Etats-Unis.

Quelles sont les expositions que vous avez récemment renforcées ou allégées ?

Nous nous sommes renforcés sur la société Rubis, spécialisée dans le stockage et l’aval qui bénéficie du recul du prix du baril et s’inscrit dans un processus de croissance externe. Nous avons également accru notre position sur GTT, qui fabrique des membranes pour les transporteurs de gaz.
Nous sommes sortis des sociétés de services pétroliers, comme CGG Veritas, PGS, Technip qui sont en amont des projets et qui souffrent des coupures de dépenses des majors dans l’exploration.

Vous n’excluez pas le fait que l’on ait un premier semestre encore compliqué pour le marché du pétrole ?

C’est ce que nous anticipons pour l’instant.

Propos recueillis par Imen Hazgui