Interview de René Defossez : Stratégiste chez Natixis

René Defossez

Stratégiste chez Natixis

Il est étonnant que l’inflation n’ait atteint que 4% dans la zone euro et 5% aux Etats-Unis

Publié le 24 Septembre 2008

Quel regard portez-vous sur la problématique de l’inflation ?
L’inflation ne constitue pas à notre sens une préoccupation.

Cela peut paraître paradoxal, compte tenu du niveau d’inflation que l’on constate en ce moment.
Mais les dépassements de l’inflation s’expliquent exclusivement par le prix des matières premières, en particulier le prix du baril de pétrole.
L’inflation est par conséquent complètement déconnectée du cycle domestique : elle n’a pas ou guère de composante endogène.

Une façon d’appréhender le risque inflationniste est de comparer les salaires réels et la productivité. On remarque alors que  la progression de la productivité par tête reste dans l’ensemble des régions du monde supérieure aux salaires réels.
On ne voit pas très bien, dans ce contexte, comment l’inflation pourrait durablement repartir. Les crises financière et économique ne vont pas non plus dans ce sens.

Même dans la zone euro ?
L’emploi s’ajuste plus lentement dans la zone euro. Et, les salaires réels par tête ont augmenté au cours de la dernière période. Mais la logique est la même pour cette zone, qui pourrait tomber, ne l’oublions pas, en récession. Certains craignent que les exigences des syndicats allemands ne conduisent à une accélération de la hausse des salaires outre-Rhin. Dans le contexte actuel, ces exigences ont toutes les chances de ne pas se concrétiser par des augmentations généreuses de salaires. Les entreprises allemandes ont montré, dans les années 1990, qu’elles étaient capables de répondre à des coûts salariaux trop élevés par des délocalisations massives.

Que dit le marché sur l’inflation ?
Une lecture directe de la courbe des contrats inflation zone euro du CME indique que l’inflation devrait revenir en dessous de 2% en juin 2009.
Les break/even signalent la même tendance. Leur niveau très bas résulte aussi, toutefois, de la plus faible liquidité des obligations réelles.

Comment l’expliquez-vous ?
Nous avons des excès de capacité au niveau global, des ressources en main d’œuvre non utilisées notamment dans les pays émergents, qui donnent la possibilité de maintenir des prix durablement très bas dans un environnement concurrentiel, même quand le prix des matières premières augmente vite.

Finalement, le fait que l’inflation a dépassé 4 % en zone euro et 5 % aux Etats-Unis est étonnant, non pas parce que ce sont des chiffres élevés, mais parce que ce sont des chiffres faibles compte tenu de l’importance du choc « prix des matières premières ». Cela montre bien le poids des forces désinflationnistes.

Combien de temps pensez-vous que nous resterons dans un environnement favorable de ce type ?
Nous pouvons penser que nous connaîtrons de nouveau un cycle inflationniste significatif lorsqu’il y aura une convergence suffisante des coûts au niveau global, autrement dit lorsque le coût du salarié chinois sera proche de celui des salariés des pays de l’OCDE.
Nous sommes encore loin d’un tel scénario.

Il est possible cependant d’avoir à plus court terme des chocs inflationnistes en raison de nouvelles et fortes augmentations des prix des matières premières. Nous ne sommes pas à l’abri d’une dégradation de l’environnement géopolitique ou d’une accentuation du déséquilibre entre l’offre et la demande. Mais il faudrait un choc considérable pour provoquer des effets de second tour.

Le risque le plus sérieux proviendrait finalement d’un retour au protectionnisme, pour lequel plusieurs gouvernements ou présidentiables ont exprimé plus ou moins ouvertement leur sympathie.

A-t-on dans les pays émergents des traces d’une inflation endogène ?
Globalement, la réponse est négative, à quelques exceptions près (Russie et Inde). Mais elles ne sont pas inquiétantes.

Ainsi, selon vous, le risque d’un retour durable de l’inflation est extrêmement faible. Peut-on pour autant envisager le risque inverse, à savoir un risque de désinflation très marqué ?
C’est en effet, une question que l’on peut se poser.

On peut dessiner des scénarios qui pourraient conduire à une baisse marquée de l’inflation : cycle de désendettement généralisé des ménages, croissance faible surtout tirée par la demande extérieure, chocs patrimoniaux (poursuite de la baisse du prix des maisons et des actions), crise du système bancaire qui dure plus longtemps que prévu (credit crunch), etc…

Si ce n’est pas le scénario que nous privilégions, il ne peut évidemment pas être exclu.

Quelle est alors la pertinence de s’orienter vers des placements financiers ayant pour finalité une protection contre l’inflation ?
Différentes optiques peuvent être distinguées.

Il existe des receveurs naturels d’inflation.
Dans une optique ALM, on peut couvrir une exposition inflation au passif par des obligations indexées.

Quelque soit l’environnement inflationniste au Royaume Uni, les fonds de pension britanniques achètent 80 à 90% de la dette indexée sur l’inflation dans le pays. L’objectif étant de matcher leur risque inflation.

Ensuite des arbitragistes qui jouent l’inflation du pays X contre celle du pays Y, ou les déformations de la courbe des points morts d’inflation.

En France, le livret A est partiellement indexé sur les taux, et en partie indexé sur l’inflation. La banque pour se couvrir achètera des obligations indexées sur l’inflation ou fera du swap inflation.

L’émetteur a-t-il un intérêt à continuer à émettre des obligations indexées ?
En 2008, le bilan, pour l’émetteur, n’aura évidemment pas été favorable, compte tenu des niveaux d’inflation observés. Mais sur une perspective de long terme, le choc de 2008 restera sans doute isolé, voire sera compensé par un contre-choc. Toujours sur une perspective de moyen terme, émettre des obligations indexées présente différents intérêts, en terme de gestion de la dette et de diversification des produits proposés aux investisseurs.

D’un point de vue plus opportuniste, compte tenu des évolutions récentes, il n’est pas certain qu’émettre aujourd’hui des papiers indexés soit une bonne idée. Nous avons eu en effet ces dernières semaines, avec la baisse du prix du baril  et les mauvaises nouvelles concernant la croissance en Europe, une forte baisse des break/even et une contraction des marges d’asset swap, deux mesures du prix relatif des obligations indexées sur l’inflation. Les obligations indexées sont donc, aujourd’hui, très bon marché.

Quel regard portez-vous sur la politique menée par la BCE ?
La BCE a pour objectif principal de maintenir une stabilité des prix, plus précisément une inflation globale inférieure mais proche de 2%.

Elle a eu jusqu’à présent raison de ne pas baisser ses taux.

La baisse des taux ne répond pas aux problèmes que soulève la crise financière.
Cette diminution ne permettra aux banques d’avoir d’améliorer leur funding ou leurs ratios de capital. Au demeurant, et pour les mêmes raisons, la Fed n’a pas baissé ses taux, malgré les anticipations du marché, il y a quelques jours.

En fait, la BCE essaie de gérer la crise de liquidité, et son bilan, de ce point de vue, n’est pas mauvais : les banques de la zone euro arrivent à trouver, dans des conditions certes dégradées, les liquidités dont elles ont besoin.

Quelle évolution envisagez-vous ?
Nous anticipons un assouplissement de la politique monétaire de la BCE l’année prochaine, non pas en raison de la crise financière, mais en raison du ralentissement marqué de la conjoncture et de l’inflation

Comment expliquez-vous l’augmentation des taux du début du mois de juillet ?
Nous ne la comprenons pas vraiment. Nous pensons que la BCE a voulu calmer les anticipations inflationnistes du marché et des agents économiques, stimulées par le comportement du prix du brut

De quelle manière appréhendez-vous l’augmentation des prix des matières premières ?
La tendance de long terme est celle suggérée par la théorie des biens épuisables. Le prix de ce qui devient de plus en plus rare ne peut qu’augmenter.
Nous allons donc continuer à voir le prix du baril et des autres matières premières augmenter.

Mais est-ce que pour autant l’inflation progressera significativement ?
Je ne le pense pas.
D’une part, on peut penser que les économies d’énergie, et les énergies de substitution confirmeront une tendance déjà visible à la stabilisation, voire la baisse des importations de brut des pays de l’OCDE. D’autre part, l’environnement concurrentiel et les excès de capacité empêcheront toute hausse durable de l’inflation.

Propos recueillis par Imen Hazgui