Interview de Catherine  Garrigues : Responsable de la gestion actions d'Allianz Global Investors France

Catherine Garrigues

Responsable de la gestion actions d'Allianz Global Investors France

Je me méfie des secteurs très domestiques, très réglementés comme les utilities ou les télécoms

Publié le 21 Juin 2011

Que pensez-vous de la valorisation des marchés actions en Europe et aux Etats-Unis ?
Les marchés sont très sous valorisés.
Cette faible valorisation peut s'expliquer entre autres par la dégradation des perspectives de croissance plus molles depuis les années 2000.

Au delà, je pense que cette faible valorisation trouve sa raison d'être dans le fait que les marchés actions n'aiment pas les régimes d'inflation extrêmes, autrement dit des régimes de déflation ou d'hyperinflation. Ils préfèrent un régime d'inflation modérée se situant entre 1 et 4-5% dans lequel il y a une bonne corrélation entre les taux d'intérêt longs et les les PE.

Or nous sommes passés d’un scénario dominé par la crainte d’une déflation en 2008 à un scénario d'hyperinflation sans transition en raison des plans massifs de relance budgétaire et des injections massives de liquidités par les banques centrales.

Que pensez-vous de ce scénario d’hyperinflation ?
Si nous constatons une inflation galopante dans les pays émergents-avec des salaires en Chine en progression de 20% dans certaines régions- nous ne croyons pas du tout à une hyperinflation en Europe et aux Etats-Unis. Le marché de l'emploi ne le permet pas. Nous assistons à une inflation importée (par les coûts), ce qui va peser sur le pouvoir d’achat du consommateur occidental.

Quel potentiel de progression escomptez-vous sur ces marchés ?
Nous sommes 10% moins chers aujourd'hui qu'il y a six mois. Nous aurions un potentiel de progression de 20%. Tout dépendra ensuite de la visibilité que l'on aura sur le scénario.

Quels sont les principaux risques que vous entrevoyez ?
Je ne vois pas de risque majeur. Les risques systémiques ont été traités. Nous n’anticipons pas de double deep, ni de dérapage de la crise de la dette souveraine, ni d'impacts excessivement négatifs du resserrement de la politique monétaire dans les marchés émergents.

Quels seront les principaux catalystes de ces marchés ?
Le moteur de la microéconomie est le moins aléatoire. Les marges qui sont à des niveaux record dans certains secteurs comme la chimie devraient rester élevées malgré la montée des prix des inputs. La thématique des émergents est durable. Les bilans sont sains, les niveaux d'endettement sont peu élevés.

Cette microéconomie ne sera pas suffisante à moyen terme pour faire monter les marchés de 20%.

Pour que les marchés boostent, il faut une forte baisse de la prime de risque. Cette baisse sera consécutive à une amélioration des indicateurs économiques et à l'annonce de décisions politiques d'ampleur : une plus forte gouvernance dans la zone euro, une restructuration intelligente de la dette grecque (allongement de la maturité, baisse du taux d'emprunt, le tout sur la base du volontariat).

Même si le vote du plan d'austérité par le Parlement n'est pas gagné, même de sérieuses incertitudes entourent la question des acquéreurs des actifs grecs qui feront l’objet d’une privatisation, les politiques mettront tout en oeuvre pour sauver l'euro.

La problématique de la dette américaine est d'une toute autre ampleur.

La visibilité sera-t-elle suffisante pour activer le rallye…
Les choses ne se passent jamais comme on pense qu'elles vont se passer. Il y a une accumulation de faits qui dépendent de tellement d'acteurs que l'on peut juste ne pas savoir ce qui pourrait se passer. Même les politiques ne le savent pas.

La chose à dire c'est que les marchés actions sont sains. Il n'y a pas de bulle, pas de spéculation. On vient de vivre 10 de désamour total pour la classe d'actifs.
Les entreprises sont dans une forme olympique, partent conquérantes à la recherche de la croissance, et versent des dividendes.

Parallèlement, la dette souveraine présente des dangers évidents. La dette high yield a déjà beaucoup performé. Le marché monétaire ne rapporte rien.

Il n’est pas impossible que nous ayons d'autres secousses cet été. Au lieu de paniquer, il faudra profiter des turbulences pour investir davantage.

Qu’en est-il de votre allocation à l’heure actuelle ?

Le facteur clé aujourd'hui c'est le facteur pays. Il y a une forte corrélation entre la valorisation des marchés et la dette sur PIB. C’est ainsi que préférerons miser sur l’Allemagne et la Suisse plutôt que sur Japon et la Grèce.

Concernant le choix sectoriel, ce qui est important c'est le pricing power. Ce n'est pas très intuitif de dire que l'on aime la chimie ou l'automobile. Ce sont traditionnellement des secteurs cycliques qu'il faut éviter en phase de ralentissement. Néanmoins ces secteurs n'ont pas investi depuis trois ans. Tous les capex ont été coupés depuis 2007 en raison du manque de visibilité. Ces secteurs font l'objet d'une demande abondante et disposent de ce fait d'un pricing power significatif.

Sur le secteur bancaire, nous avons longtemps été très sous pondérés. Nous sommes, à présent, neutres pour des questions de valorisation. Nous avons conscience que les exigences en fonds propres diluent la rentabilité des capitaux. Il y a un trading range d'environ 20%. Nous sommes au bas de ce trading range.

Je me méfie des secteurs très domestiques, très réglementés comme les utilities ou les télécoms. Nous n'avons que les petits acteurs dans ce dernier secteur.
Le secteur des utilities est très endetté. La faiblesse des prix de vente et les contrats d'approvisionnement de long terme ont un effet de ciseaux négatif sur les marges. Pas mal de villes veulent reprendre leurs contrats dans le traitement et l'approvisionnement d'eau.

Vous attendez-vous à un retour des investisseurs particuliers sur les marchés ?
Malgré tous les efforts que l'on fait les particuliers ne veulent pas d'actions. Il n y a pas de flux. Je pense que cela est du à un changement comportemental. On est face à un papy boom. Les épargnants ont tendance à être prudent sur leur allocation.

Il faudrait une fiscalité plus avantageuse mais on n’en prend pas le chemin. Partout les états recherchent des recettes supplémentaires et pensent à taxer davantage les actions.

Que répondez-vous à ces investisseurs qui déplorent la décennie perdue de 2001-2011 ?
Il y a dix ans le marché valait 25 fois les résultats. Aujourd'hui il vaut à peine 10 fois les résultats de l'année prochaine. C'est aujourd'hui qu'il faut avoir des actions.

Entre 95 et 2000 le marché est monté entre 30 et 40% par an, pendant cinq années consécutives. On n'avait jamais vu cela, Ce n'était pas normal. Un marché monte de 30% seulement après une année de forte baisse. La croissance normale est de 5%-10%. Elle suit la croissance naturelle normale des bénéfices (1,5-2% de PNB, 2% d'inflation, 3% de gains de productivité).
Nous sommes aujourd'hui sur des anticipations très rationnelles et plus prudentes, toute bonne surprise sera saluée par les marchés.

Propos recueillis par Imen Hazgui