Interview de Pierre-Olivier  Gourinchas  : Professeur d'Économie à l'Université de Berkeley

Pierre-Olivier Gourinchas

Professeur d'Économie à l'Université de Berkeley

La crise ne fait pas avancer les choses. On ne s'oriente absolument pas vers la création d'euro obligations

Publié le 13 Septembre 2011

En quoi le système monétaire international a t-il contribué à augmenter la fragilité financière de l’économie mondiale ?
Le système monétaire international a potentiellement contribué à augmenter la fragilité financière de l’économie mondiale par l’absence de mécanismes de provision de liquidités abondantes, faciles d’accès, avec pré conditionnalité.
On peut imaginer que si les pays émergents avaient eu accès à des lignes de liquidités, ou bien s’ils avaient décidé de continuer à se tourner vers le FMI pour avoir accès a la liquidité -à la suite de la crise asiatique, nombre de pays émergents se sont détournés du FMI estimant que les conditions d’attribution de liquidités ne leur étaient pas favorables- dans une certaine mesure, les taux d’intérêt mondiaux n’auraient pas baissé autant, il n’y aurait pas eu autant d’afflux de capitaux vers les Etats-Unis, il y aurait eu moins de pression pour créer des produits titrisés, et l’économie mondiale aurait peut-être connu une crise moins sévère.
Au lieu de quoi, les pays émergents se sont massivement mis à accumuler des réserves pour faire face à des chocs éventuels de financement externes. Cette accumulation est en partie responsable de la fragilisation de l’économie mondiale.

Peut-on faire un lien entre le système monétaire international et la crise de la dette souveraine de la zone euro ?
Il y a deux aspects. D'un côté, les déséquilibres externes de la zone euro ne sont pas très importants. Cependant, malgré des positions externes faibles, les encours brut étaient assez déséquilibrés. Une faille du SMI a été révélée dans l’absence de surveillance de la part des organismes internationaux des déséquilibres de financements en dollar qui pouvaient émerger à l’intérieur de la zone euro.
En 2008, les banques européennes avaient des besoins de liquidité en dollar importants afin de financer sur le court terme leurs investissements de plus long terme dans les produits titrisés sur le marché américain.
Ce besoin en dollar n'apparaissait pas dans les analyses de bilan des banques. Qui plus est, les banques avaient l’air d’être couvertes. Elles empruntaient en dollar pour placer en dollar. Du point de vue de la théorie de la couverture, cela paraissait optimal.
Brusquement, lorsque le marché de financement en dollar s’est tari pour les banques européennes suite au retrait des fonds monétaires américains, en raison des incertitudes pesant sur la solidité des bilans et la capacité des banques européennes à rembourser, les banques européennes ont éprouvé des difficultés à couvrir leurs besoins en dollars.
Les régulateurs et le marché ont tous été surpris par l’importance de ces besoins. La BCE n’avait pas la capacité à alléger ces besoins dans la mesure où elle fournissait de la liquidité en d’euros. On a assisté à une inadéquation entre les besoins de refinancement des banques européennes et la liquidité que pouvaient leur fournir la Banque centrale européenne. Il y avait là une zone d’ombre, un angle mort dans le rétroviseur.
Une partie des discussions et des réformes envisagées dans le cadre du G20 et de la présidence française vise donc à mettre au point des instruments de mesure, de suivi, de contrôle de ces besoins de financement qui peuvent s’établir dans des monnaies qui ne sont pas les monnaies de référence des zones économiques dans lesquelles les institutions financières sont établies.
L'autre aspect important, c'est la nature des déficits des pays actuellement en difficultés. On retrouve a l'échelle de la zone euro une image des déséquilibres mondiaux: les bons du Trésor grecs, espagnols, italiens, irlandais bénéficiaient de rendements proches de ceux de l'Allemagne parce que le marché -en quête d'actifs de réserve-- avait besoin de croire qu'ils n'étaient pas risqués.

Ce problème de refinancement des banques européennes en dollars se repose entièrement à l’heure actuelle ? Les fonds monétaires en dollar ont de nouveau coupé leur robinet. Des swaps ont de nouveau été mis en place entre la Fed et la BCE.
Il est vrai que les institutions financières européennes éprouvent quelques difficultés à se refinancer en dollar.
Le problème est ceci étant moins aigu qu’en 2008 dans la mesure où les banques européennes dans leur ensemble ont su réduire la voilure. Elles se sont désengagées de la détention d’actifs de plus ou moins long terme sur la zone dollar par exemple sur les produits titrisés et les conduits. La pression est donc moindre.
En 2008, la solution avait été de mettre en place des lignes de swaps entre la Fed et la BCE. Cela a permis d’abonder de la liquidité dollar à des institutions financières européennes. Les encours de la BCE dollars sont montés jusqu’à 300 milliards de dollars.
Actuellement, les lignes de swap sont toujours à la disposition de la BCE. Néanmoins les opérateurs de marché n’ont pas l’air de vouloir tirer sur ces lignes de crédit. La situation ne doit pas alors être si dramatique que cela.

Les problèmes rencontrés par le secteur bancaire pourraient-ils accélérer les réformes du système monétaire international ?

Il est clair que plus la situation est tendue et plus on a envie de traiter de problèmes de fond. Dans le même temps, la réforme du SMI est difficile à envisager sur un court terme. Il est toujours possible ponctuellement de trouver des solutions pour fournir de la liquidité. C’est ce qui s’est passé avec les lignes de swap. La Fed a ouvert les vannes. Au paroxysme de la crise de 2008, l’accès à la liquidité a été illimité. La BCE pouvait obtenir autant de dollar qu’elle le voulait. Elle émettait des dollars au même titre que la Fed.
Ceci étant ces accords de swap sont laissés à la libre discrétion des banques centrales. Or toute la difficulté de la réforme du SMI est de mettre place des règles, de ne pas rester uniquement dans le discrétionnaire. Les mécanismes discrétionnaires sont très bien quand ils fonctionnent, mais pour des raisons politiques ou économiques, on n’a pas de garantie quant à la possibilité à faire appel à ces mécanismes discrétionnaires à l’avenir.
Je ne suis pas certain que l’intensité de la crise facilite la capacité de réformer le SMI.

La réforme la plus probable de ce système monétaire international serait une multipolarisation. Quel rôle devrait jouer les DTS dans cette multipolarisation ?
Un monde multipolaire est un monde qui aura une offre d’actifs de réserve qui va croitre avec l’économie mondiale. Ce monde supposera la coexistence d’actifs en dollar, en euro, et en reminbi avec des points de friction et de tension. La diversification étant possible, l’offre devrait être plus conséquente et devrait permettre de rassasier le marché.

Le DTS sera un instrument qui devrait rester marginal en termes de provision de liquidités. Il correspondra à une fraction minime des encours de réserve et ne jouera pas un rôle important dans les échanges et la provision de liquidités même si l’on ajoute le yuan pour une raison d’engagement symbolique de la Chine dans les DTS et que l’on envisage des augmentations d’allocation de DTS en fonction des parts de quota dans le FMI.
Ce rôle marginal des DTS s’explique en grande partie par le fait que les allocations de DTS privilégieront les Etats-Unis. Or dans une situation de crise de liquidités, ce ne sont pas les Etats-Unis qui rencontrent des besoins de liquidités puisque ce sont eux qui ont la monnaie de réserve.
Les DTS ne distribuent pas la liquidité là où elle doit être distribuée.

Vous ne pensez donc pas que l’aggravation de la crise pourrait soit accélérer l’internationalisation de l’euro, soit accélérer l’intégration du reminbi dans les DTS, pour donner de l’oxygène aux banques ?

L’internationalisation de l’euro ne pourrait se concevoir que dans la mesure où il y aurait une transition vers des euro bonds avec une émission dans une quantité suffisante dans un marché stable. Etant donné les contraintes politiques actuelles, je pense que l’on ne s’oriente absolument pas dans cette direction. Le verdict de la Cour suprême allemande a été limpide. Sauf réforme constitutionnelle en Allemagne les euro bonds ne pourront pas voir le jour. De ce point de vue, la crise ne fait pas avancer les choses.

Si la Chine voulait soutenir les actions bancaires européennes ou la dette souveraine des pays de la zone euro, elle pourrait le faire par une acquisition en direct grâce à des liquidités en dollar. L’opération d’acquisition se voudra ponctuelle. Et il n’est pas du tout garanti que cela soit dans l’intérêt de la Chine de procéder ainsi.
L’introduction du reminbi dans les DTS ne changera pas la donne dans la mesure où le DTS reste une proto monnaie qui n’est pas utilisée dans les échanges marchands mais dans les transactions entre banques centrales. Cela ne créé pas de liquidité additionnelle. Cela donne uniquement l’autorisation d’échanger ces DTS contre du dollar ou une autre monnaie internationale.
Encore une fois, je ne pense pas que la crise viendra bouleverser de manière radicale le calendrier du G20 qui doit se tenir à Cannes le 4 novembre prochain.


Propos recueillis par Imen Hazgui