Interview de Jean Wemaëre : Président de la Fédération de la Formation professionnelle (FFP)

Jean Wemaëre

Président de la Fédération de la Formation professionnelle (FFP)

Valoriser la formation, c'est valoriser le levier essentiel de compétitivité qu'est le capital humain

Publié le 03 Mars 2014

Quelle définition du capital humain (individuel et collectif) de l'entreprise ?
Le capital humain désigne classiquement le savoir et les compétences détenus par les hommes et les femmes qui travaillent dans l’entreprise. La définition qui prévaut actuellement est cependant plus large : c’est le capital compétences mais aussi le capital santé (physique et psychologique) des salariés. Le capital humain est aujourd'hui considéré dans la littérature économique comme le premier facteur de production, ce qui témoigne d'un grand progrès dans la mesure où historiquement, c'est d'abord la terre qui a été privilégiée puis le capital physique lors de la révolution industrielle.

Dans quelle mesure le capital humain est-il source de croissance et un levier de compétitivité ?
Le capital humain est non seulement source de croissance économique, mais aussi d'enrichissement pour l'individu lui-même. La mise en avant du capital humain est relativement récente : elle a commencé dans les années 1960 avec les travaux de l'économiste Schultz reconnaissant un lien entre l'investissement dans le capital humain et le bien être individuel. Parallèlement, les analystes financiers ont mis en évidence dans les années 1970 l'écart croissant entre la valeur comptable d’une entreprise (book value) et sa valeur sur le marché (market value). Cet écart qualifié de goodwill trouve son origine dans les investissements immatériels réalisés par l’entreprise et non reconnus comme tels par les normes comptables. Le capital humain est un de ces actifs invisibles, le plus important car à la source des autres actifs immatériels à commencer par la réputation et la recherche-innovation. L’initiative en faveur du Reporting Intégré (IIRC) vise à aider les entreprises à mieux rendre compte que ces investissements immatériels sont au fondement de leur modèle économique et de leur compétitivité. Des indicateurs extra financiers sont par ailleurs utilisés par les entreprises pour prouver qu’elles sont soucieuses de leurs responsabilités sociales et environnementales. C'est dans ce sens que la FPP a récemment travaillé avec Bercy pour définir un certain nombre d'indicateurs susceptibles de mieux traduire les efforts des entreprises réalisés dans la formation du capital humain.

Quelles sont les grandes lignes stratégiques d'actions de la FFP pour la valorisation du capital humain ?
Je préside un comité de pilotage réunissant la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), les entreprises, les partenaires sociaux, les syndicats et les régions et se concentrant sur l'investissement dans la formation, source d'amélioration du capital humain et de la compétitivité hors coût. Cette réflexion est conduite sous trois aspects. Tout d'abord, il s'agit de mesurer l'ensemble des coûts liés à l'investissement dans la formation. Ensuite, il faut estimer comment cet investissement impacte les performances opérationnelles. Enfin, cela consiste à pouvoir évaluer le résultat en associant des indicateurs économiques à la formation. Par exemple, si un salarié a réalisé une formation dans la sécurité, une façon de mesurer le ROI serait de voir si pannes ou incidents ont été réduits de façon significative six mois après.

Quelles incitations pourraient être mises en place pour inciter les entreprises à investir davantage dans la formation ?
C'est un fait : les entreprises qui réussissent, investissement massivement dans la formation de leurs collaborateurs. Il faudrait donc lier l'investissement dans la formation à un crédit d'impôt, avec la possibilité que l'entreprise puisse le déduire de ses bénéfices, à partir d'un certain seuil d'investissement. C'est ce que visent les réflexions conjointes de la FFP avec la DGCIS et la DGEFP. Ces travaux sont en cours de réalisation, alors que le concept même de formation est en train d'évoluer avec la nouvelle loi discutée actuellement au Parlement. Il s'agit de définir la formation de façon à ce qu'elle ne soit plus considérée comme une charge par les entreprises et de reconnaître comme de la responsabilité sociale des entreprises de maintenir la compétence des individus. Un dirigeant d'entreprise pourrait ainsi être tenu responsable parce qu'il n'a pas investi dans la formation de ses collaborateurs.

Avez-vous le sentiment qu'il existe un « value gap » dans la prise en compte de la valeur du capital humain et notamment de la formation professionnelle ?
Le capital humain, effectivement, n'est pas forcément pris en compte dans la valorisation de l'entreprise étant donné la difficulté à l'apprécier. Un indicateur pour le mesurer est l'importance du turnover du marché du travail, puisque l'entreprise qui manque de professionnels compétents va les chercher à l'extérieur de sa structure. Quand l'emploi est maintenu, c'est que les compétences sont développées au sein de l'entreprise. Un niveau bas de rotation du personnel est donc un signe pertinent de développement de la formation. Par ailleurs, il est nécessaire que l'entreprise mette en place les outils de gestion de compétences et la nouvelle loi sur la formation professionnelle va l'aider en ce sens : tous les deux ans, un entretien professionnel doit être consacré aux perspectives d'évolution, notamment en termes de qualifications, avec un bilan tous les six ans. Si la formation s'avère manquante ou insuffisante, l'entreprise doit créditer l'employé d'un nombre d'heures en vue de suivre une formation appropriée.

Comment investir le plus efficacement dans la formation ?
Il est essentiel d'évaluer les compétences de chaque professionnel avec une vision prospective liée à l'évolution de son métier. L'anticipation des métiers de demain rentre en compte dans la valorisation de l'entreprise. La capacité d'analyse des compétences clés dans le marché actuel mais surtout de l'avenir sont des éléments concrets permettant d'apprécier de bonnes pratiques de gestion du capital humain, à la fois valorisantes et sécurisantes pour l'entreprise et ses actionnaires. Toutefois, la mise en place de cette approche reste progressive. La principale difficulté pour obtenir un bon système de contrôle de compétences est de prévoir l'évolution du métier dans les prochaines années. Par exemple, un des problèmes majeurs pour la formation au sein des entreprises est actuellement l'impact de la transformation numérique. Cela bouleverse complètement les organisations, mais il est de la responsabilité de l'entreprise d'évoluer en fonction des nouvelles technologies.

Quels sont les freins à l'investissement dans la formation ?
En tant qu'important facteur de production, la gestion du capital humain est prioritaire. Il est opportun de réorganiser la gestion des ressources humaines vers la valorisation de la formation. Toutefois, la complexité du sujet et la capacité d'appréhender ses propres compétences sont des freins importants à l'investissement, car la connaissance ne se mesure pas. En revanche, la compétence est la capacité que l'individu a d'utiliser ses connaissances en pratique. Une personne savante ne sera pas forcement compétente devant une situation professionnelle, et cela se mesure au niveau de l'efficacité du travail. La formation du manager semble donc indispensable pour qu'il puisse évaluer la capacité de son personnel à faire face aux situations professionnelles.

La France serait-elle plus compétitive si la formation était davantage valorisée ?
Certainement. L'étude de Mac Kinsey de 2012 a révélé une probable pénurie de talents dans les vingt prochaines années en France. Dans les cinq prochaines années, deux millions d'emplois, notamment dans les domaines de l'économie numérique mais aussi de l'ingénierie et de l'aéronautique, ne pourraient être pourvus, alors que deux millions de personnes, dont près de 50% de jeunes, seront au chômage pour insuffisance de qualification. Le défi serait de former ces deux millions de personnes pour les emplois de demain, qui sont pour beaucoup des emplois de haute qualification professionnelle.

Jean WEMAËRE, est le Président fondateur du groupe DEMOS, un des leaders européens de la formation professionnelle, présent dans 16 pays dont les Etats-Unis et la Chine, introduit en bourse en 2007. En 1991, il crée la Fédération de la Formation Professionnelle, l’organisation professionnelle des organismes privés de formation dont il est le Président, à ce jour. A ce titre, il préside le comité de pilotage chargé de mettre en œuvre le plan d’actions « Capital humain et formation professionnelle, investissements pour la compétitivité. ». Il est également administrateur de la Fédération Syntec depuis 1995. De plus, il est, Vice-Président de l’ISQ-OPQF, organisation indépendante, accréditée par le Cofrac, qui délivre aux organismes de formation un certificat de qualification professionnelle en reconnaissance de leur professionnalisme. Il est le co-fondateur du Groupement des Professions de Services (GPS) au sein duquel il a co-fondé et co-présidé la Commission de l’innovation et des actifs immatériels jusqu’en 2013. Il est maintenant en charge du Pôle Capital humain du GPS. Depuis le 4 juin 2013, Jean WEMAËRE est membre de la Commission Nationale des Services, espace de concertation entre pouvoirs publics et professionnels des services crée par Arnaud MONTEBOURG.

Interview conduite dans le cadre de la Tribune Sciences Po de l’immatériel 2013-2014, dirigée par Marie-Ange Andrieux/ Avec les étudiants Sciences Po Elise Issoulié et Bruno Aires de Sa.



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