Interview de Frédéric Tassin : Responsable de la gestion actions chez Aviva Investors France

Frédéric Tassin

Responsable de la gestion actions chez Aviva Investors France

Nous voyons encore un puissant potentiel de revalorisation pour Crédit Agricole SA et Société Générale

Publié le 05 Mars 2014

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le segment des actions françaises ?
Les niveaux de valorisation nous semblent très satisfaisants aujourd’hui en particulier comparativement aux prévisions de résultats. Le ratio cours sur bénéfices futurs attendus à 12 mois pour les larges capitalisations est autour de 13,5 fois.

Le consensus table sur une hausse de 12% des profits. Vous êtes plus optimiste. Pourquoi ?
Si l’on considère le modèle de prévision des analystes, peu d’hypothèses d’augmentation des volumes sont retenus. Or, nous sommes d’avis que la reprise économique qui se met en place en Europe va entrainer un accroissement des ventes.
Par ailleurs vivant dans un environnement de stress permanents ces dernières années, les entreprises ont considérablement réduit leur structure de coûts. Beaucoup d’énergie a été déployée pour préserver un cash abondant dans des conditions d’activité tendues. La moindre expansion des volumes se traduira par une amplification substantielle des bénéfices. En somme, le levier opérationnel va jouer à plein durant les premier mois de la reprise. Il s’atténuera ensuite du fait des contraintes d’investissement pour assurer une certaine maintenance et un relatif développement.

Ainsi nous devrions avoir plutôt des bonnes surprises dans les 12 à 18 prochains mois dans le processus de révision des estimations des bénéfices.

Avez-vous votre propre prévision ?
Non. Nous avons des prévisions selon les titres que nous détenons en portefeuille. Pour beaucoup, le consensus avancé nous parait assez faible.

Certains arguent le fait que la France devrait tirer avantage de la reprise dans une moindre mesure par rapport à certains de ses voisins européens, notamment en raison du retard qu’elle a pris dans la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires pour assainir ses finances publiques ?

Lorsque l’on regarde de plus près la répartition de l’activité des sociétés françaises, on s’aperçoit que pour beaucoup l’essentiel de leurs résultats sont générés hors France.

Mis à part les perspectives bénéficiaires, trois autres éléments de soutien aux actions françaises sont évoqués : les flux, les opérations capitalistiques, une intervention supplémentaire de la Banque centrale européenne. Qu’en pensez-vous ?
Les flux sont un élément d’appui aux actions européennes depuis plus d’un semestre déjà. Nous avons en particulier observé un retour des investisseurs anglo saxons sur le compartiment.
Lorsque l’on examine les niveaux de taux d’intérêt des pays périphériques à la zone euro, il est évident que la prime de risque s’est contractée.
Ces flux devraient se poursuivre.

Nous pensons que nous devrions voir un redémarrage des fusions-acquisition dans la région. Du fait des bas niveaux des taux, le coût de refinancement des entreprises est historiquement faible. Il n’est pas très compliqué de réaliser une opération relutive en se réendettant un peu.

Nous ne tablons pas dans notre scénario central sur une intervention additionnelle marquée de la BCE. Il y a clairement un problème de transmission de la politique monétaire vers l’économie réelle. La masse de liquidité injectée par la Banque centrale ne circule pas suffisamment vers les agents privés, entreprises et ménages. Dans les pays d’Europe du sud, les conditions d’octroi de crédits sont toujours sévères.

Pour autant je ne vois pas en quoi une mesure exceptionnelle de la BCE serait de nature à accélérer la distribution du crédit en amont de l’audit des actifs au bilan des banques et des stress tests.
Nous misons davantage sur une amélioration de la macroéconomie. Certains banquiers espagnols déclarent d’ores et déjà qu’ils sont enclins à accroitre leur bilan en intensifiant leurs prêts.

Vous pensez donc que les banques sont à nouveau dans la course et qu’elles sont en capacité d’alimenter plus fortement la croissance ?

Depuis quatre ans, le secteur bancaire s’est profondément restructuré dans un monde très complexe, empli d’incertitudes diverses et variées. Des normes très coercitives ont été mises en place que ce soit pour renforcer la solvabilité ou la liquidité. Nous sommes d’avis que 90% à 95% a été fait dans la réparation des bilans bancaires et que les établissements bancaires sont en mesure désormais de refaire leur travail correctement, qui est de prêter aux agents finaux. Ainsi nous devrions pouvoir sortir enfin de la spirale négative dans laquelle nous étions embourbés pour aller dans une configuration plus constructive.

Est-ce à dire que le secteur bancaire représente dans votre allocation un pari significatif à l’heure actuelle ?
Il l’est depuis 18 mois. Malgré le très beau parcours de certaines valeurs, nous restons pleinement investis sur ce secteur.
Nous aimons bien les banques françaises de par leur profil, leur périmètre d’activité. Nous voyons encore un puissant potentiel de revalorisation. Nous avons un engouement tout particulier pour Crédit Agricole SA et Société Générale. Nous avons aussi BNP, même si la revalorisation escomptée est moins importante.

Nous sommes également largement exposés sur les banques espagnoles, Santander et BBVA. Nous avions Bankinter. Etant donné la rapidité du parcours ascendant de cette dernière banque, nous avons pris quelques profits sur le dossier.

Les deux grandes banques italiennes sont présentes dans notre portefeuille car elles traitent très en deçà de leur actif comptable et qu’elles ont entrepris beaucoup d’efforts pour retrouver un meilleur ratio de rentabilité. Nous croyons que 2014 devrait être une année assez marquée en termes de réalisation de provisions en Italie en raison de la mise à mal du tissu des PME à l’intérieur de l’année. Ceci étant, cela ne devrait pas empêcher une revalorisation de certains grands noms au second semestre de l’année.

Vous n’avez aucune crainte liée à l’audit des actifs au bilan des banques de la zone ou des stress tests qui devraient être effectués par la BCE ?
Nous n’avons aucune crainte s’agissant des valeurs que nous possédons en portefeuille. Certes la lecture de certains textes réglementaires est encore floue et pourrait donner lieu à de nouvelles charges. Nous ne considérons plus les acteurs du secteur par leur capacité à réussir les exercices de la BCE sans augmentation de capital. Nous les apprécions en fonction de leur aptitude à générer de la profitabilité. Quand on fait les calculs, on parvient à des prévisions de retour sur fonds propres incompatibles avec les valorisations que nous avons à ce jour.

Vous n’êtes pas le seul à mentionner le secteur bancaire en tant que secteur de conviction. N’appréhendez-vous pas une certaine frénésie autour de ce secteur ?
Il y a lieu de faire attention entre ce qui est dit et ce qui est réellement opéré dans les portefeuilles. Il me semble qu’une large partie des sous pondérations ont été ajustées en 2013 mais je ne suis pas intimement convaincu que l’ensemble des investisseurs soient surpondérés sur le secteur, mis à part quelques titres comme BNP.

Hormis le secteur bancaire avez-vous d’autres grands paris sectoriels ?

Nous aimons le secteur automobile. Nous avons des constructeurs comme Peugeot, et Daimler et des équipementiers comme Valeo et Michelin. Les nouvelles immatriculations n’ont cessé de baisser depuis quatre ans. Elles se situent à un niveau historiquement bas. Nous devrions avoir avec la reprise économique un accroissement du volume qui poussera à une élévation du cash flow et des bénéfices.

Par ailleurs, nous sommes très positionnés sur la technologie. Les dépenses d’investissement des entreprises sont atones. Nous devrions voir au fur et à mesure de l’année un inversement de la tendance, une fois que l’on un aura une hausse du volume. Les premières dépenses devraient servir à une intensification de la productivité et porter des titres du secteur des logiciels, de l’intégration des systèmes, comme Capgemini. Les dépenses dans les équipements télécoms devraient également s’accentuer.

Quels sont les secteurs sur lesquels vous redoublez de vigilance ?

La consommation courante : la boisson, l’agroalimentaire, le tabac et autres…
Lorsque l’on isole des titres comme Essilor, L’Oréal, Remy Cointreau, Pernod Ricard, on a beaucoup de mal à justifier leur cours de bourse par leur croissance organique à venir malgré leur bon pilotage.
Nous sous pondérons ces valeurs en attendant d’avoir de meilleurs points d’entrée.

Quels sont les principaux risques que vous surveillez présentement ?

Le principal risque est économique. 2013 a été caractérisée par une vive expansion des multiples. Il faut dorénavant de la croissance et des bénéfices.
Nous pourrions être inquiets si la reprise aux Etats-Unis continuait à s’essouffler, si le ralentissement dans les grands pays émergent devenait plus prononcé.

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Propos recueillis par Imen Hazgui