Interview de Joffrey Ouafqa : Analyste-Gérant chez Convictions Asset Management

Joffrey Ouafqa

Analyste-Gérant chez Convictions Asset Management

Cac 40 : sur 12 mois, Crédit Agricole et Société Générale pourraient encore monter de 12% et BNP de 10%

Publié le 11 Mars 2014

Quel regard portez-vous sur la valorisation du secteur bancaire de la zone euro à ce jour ?
Une grande partie du rattrapage a été fait lors de la deuxième moitié de l’année dernière et en ce début d’année. Nous pouvons parler à présent de « normalisation » de la valorisation du secteur. Le ratio cours sur valeur comptable des capitaux propres tangibles, une mesure habituelle d’appréciation du secteur, est revenu au dessus de 1. Or 1 marque la limite au-delà de laquelle le secteur perd sa sous valorisation.
Il n’y a plus de potentiel de rebond du secteur dans son intégralité. Il faut alors privilégier la sélection de titres et avoir de fortes convictions. D’ailleurs le ratio cours sur bénéfices (PE pour price earnings ratio) du secteur est légèrement inférieur à celui du marché, soit de 12 contre 12,5 fois.

Quand ce retard de valorisation a-t-il été comblé ?
En décembre 2012, le ratio était à 0,80. A fin 2013, il est repassé au-dessus de 1. On peut donc considérer que l’écart a été résorbé à l’issue du rallye qui s’est produit à la fin de l’année dernière.

Sur quels critères en particulier votre sélection est elle faite ?

Sur les positions en capital des établissements et leur capacité à augmenter les dividendes.

Selon vous, le secteur bancaire ressemble de plus en plus au secteur des télécoms ou encore des services aux collectivités ?
Le secteur n’est plus en mesure de générer des profits très importants à l’instar de 2006- 2007, du fait du durcissement des normes réglementaires. Aussi, le rendement du dividende est de plus en plus clé dans l’appréciation des actions bancaires.

Vous êtes actuellement neutres sur le secteur ?

Le secteur n’est plus un pari fort dès lors qu’il ne nous parait plus déprécié par rapport aux fondamentaux. Cependant, nous restons positionnés dessus en raison des caractéristiques qui lui sont propres. Nous pensons notamment qu’il devrait tirer avantage d’un raffermissement de la reprise en Europe que ce soit par la hausse des revenus ou encore l’amoindrissement du stock de créances douteuses. Pour autant nous nous montrons discriminants.

Quelles sont vos principales convictions ?
Nous apprécions les banques françaises. Elles nous semblent peu chères par rapport au secteur.

Le PE 2014 des banques de l’Hexagone est de 10,2 fois, soit environ 20% en dessous du PE du secteur. Parallèlement le PE 2014 des banques espagnoles est à 15,5 fois et le PE 2014 des banques italiennes est à 20,5 fois. En raison de la diminution de la crise de la dette souveraine dans la zone euro, les investisseurs se sont massivement exposés aux établissements bancaires de ces deux grands pays de la périphérie. Nous sommes d’avis qu’il y a eu un peu d’exagération. Les investisseurs ont acheté les bénéfices de 2015 voire de 2016.

Comment expliquez-vous le décalage entre les banques françaises d’une part et les banques italiennes et espagnoles ?
Les banques des pays périphériques ont délivré beaucoup de résultats par le biais d’opérations de carry trade, autrement dit par l’achat d’obligations souveraines domestiques. Elles ont grandement bénéficié de la diminution des taux souverains. Ce moteur est amené à s’essouffler. Il nous semble donc que le potentiel de revalorisation des banques italiennes ou espagnoles est moindre que celui des banques françaises qui sont plus visibles et où le risque souverain est moindre même si l’économie du pays est quelque peu à la traine.
La rentabilité des banques françaises est comparable à celle des banques espagnoles cette année alors que les valorisations sont 50% moins chères.

La France a la troisième valorisation la moins élevée en Europe ?

Les banques du Benelux sont les moins chères, à 10 fois. Mais ce sont des petits dossiers, comme ING et KBC.
Les banques britanniques sont à 10,1 fois.
Les banques allemandes sont à 10,6 fois. Le système bancaire d’outre-Rhin est quelque peu spécifique. Il contient des banques régionales relativement affaiblies.

Détenez-vous les quatre banques françaises ?
Nous n’avons pas Natixis mais détenons BNP, Société Générale, Crédit Agricole.

BNP est le titre d’une gestion patrimoniale par excellence. Le groupe est bien sécurisé. Il offre une forte visibilité de ses activités. Il est diversifié et a donc un profil de risque modéré. La récente publication a déçu car le management s’est montré très prudent sur les perspectives et sur le dividende envisagé.
Société Générale est un dossier plus complexe mais attractif car la banque de détail est stable. L’exposition aux pays émergents, et notamment à la Russie est à surveiller de près. SG a surpris positivement le marché en accroissant son dividende. Le titre a gagné près de 6% à la suite de la publication.

La valorisation de l’action Crédit Agricole est basse. Les investisseurs sont méfiants face à la structure de gouvernance qui n’est pas rentable ?

Les caisses régionales détiennent la majeure partie du capital. Elles ont tout intérêt à voir le dividende augmenter.
Il y a eu un peu de flou dans les décisions stratégiques adoptées ce qui a conduit à une partie de la décote du titre. Toutefois, de l’ordre a été remis depuis.
Depuis le début de l’année, CASA signe la meilleure performance des banques françaises avec 25%.

Quel potentiel d’appréciation de ces trois titres escomptez-vous ?
Sur 12 mois, l’action de Crédit Agricole et de Société Générale pourraient encore progresser de 12%.
BNP pourrait gagner 10%.

Mis à part les banques françaises, détenez vous d’autres banques ?
Non.

D’aucuns critiquent le fait que la lecture comptable des banques est complexe ?
Il est vrai qu’il n’est pas évident de procéder à une fine analyse des bilans bancaires.
Mais l’investissement dans les banques doit aussi se faire suivant une tendance macroéconomique.
Il ya une reprise, même modeste, qui permet une amélioration de l’activité et un amoindrissement des provisions. Des baisses de dépenses, notamment par le rétrécissement des réseaux d’agences, sont en train d’être effectuées. Les niveaux de solvabilités sont solides. Ce sont autant d’éléments qui incitent à se montrer confiant.

Quels sont les principaux risques que vous surveillez à ce stade pour les valeurs bancaires que vous avez ?
Le risque émergent nous parait cantonné. Les banques françaises sont peu présentes dans les pays émergents, excepté la Société Générale en Russie.
Les principales banques impactées par la situation en Ukraine sont Unicredit et Raiffeisen mais les expositions sont limitées par rapport à la taille du secteur bancaire européen. Ainsi Unicrédit est exposée à hauteur de 2 milliards d’euros de prêts.
La probabilité d’un effet domino est maigre.
Les banques espagnoles ont un poids assez lourd en Amérique latine, où la situation semble se stabiliser. Peu de banques de la zone euro ont une activité significative en Asie.

L’audit des actifs dans les bilans des banques et les stress tests qui seront menés par la Banque centrale européenne ne devraient pas conduire à de mauvaises surprises. Les seules banques qui pourraient être concernées par un problème de qualité d’actifs ou d’insuffisance des fonds propres sont les plus petites. Dernièrement Piraeus Bank,une banque grecque, a augmenté son capital de 1,5 milliard, pour éviter toute turbulence.

Pour le moment nous écartons le risque de déflation. Les mauvais chiffres d’inflation en zone euro résultent en partie des mesures de compétitivité prises dans les pays d’Europe du Sud.

Concernant la réglementation, nous nous attendons à une pause maintenant que Bâle III monte en puissance et que l’union bancaire se dessine progressivement.

De quelle manière appréhendez-vous la question de la profitabilité des banques ?
Le RoE (Return on equity ou rentabilité des fonds propres) était en 2007 autour de 13%. Il est pour 2014 aux environs de 8%. Le RoE 2014 est de 10 pour BNP, de 10,4 pour Crédit Agricole et de 9,2 pour Société Générale.
Il est certain que la rentabilité des banques ne retrouvera pas les plus hauts historiques.

Propos recueillis par Imen Hazgui