Interview de Benoît de Broissia : Gérant actions chez KBL Richelieu

Benoît de Broissia

Gérant actions chez KBL Richelieu

Secteur bancaire : nous sommes prudents sur Société Générale et sur Natixis

Publié le 12 Mars 2014

Quelle vision avez-vous du secteur bancaire à ce stade de l’année ?
Nous sommes assez partagés sur le secteur.
La dynamique de résultats est positive notamment grâce à la baisse du coût du risque en particulier dans les pays d’Europe du sud. Cette tendance devrait se prolonger jusqu’en 2015 malgré la faiblesse de la reprise économique.
On pense cependant, qu’une bonne partie de l’amélioration des résultats est intégrée dans les cours de bourse. Nous avons eu un très fort rebond du secteur au cours du second semestre 2013 et en début d’année.

A cela s’ajoute quelques zones d’ombre ?

En effet. La distribution du crédit devrait continuer à rester atone encore un moment. Nous observons des défis d’ordre réglementaire.

Les banques d’Europe du sud ont besoin d’avoir une structure de financement plus équilibré après avoir souscrit à des prêts auprès de la BCE à des conditions avantageuses dans le cadre des opérations de refinancement à long terme lancées en décembre 2011 et février 2012. Elles vont devoir se refinancer davantage par les dépôts ou par le marché, ce qui aura un coût. Les revenus considérables générés par les opérations de carry trade, autrement dit les achats massifs d’obligations souveraines domestiques grâce à la liquidité empruntée, sont destinés à disparaitre avec le temps.

Les grandes entreprises font de plus en plus appel au marché pour se refinancer. La désintermédiation se développe ce qui a pour conséquences de créer des opportunités pour les banques d’investissement mais aussi d’amoindrir les revenus récurrents sur les crédits octroyés à ces grandes compagnies.

Nous constatons une montée en puissance des banques en ligne, ce qui introduit une pression sur le prix des certaines prestations et conditions bancaires. En cela, nous pouvons légitimement supposer que le volume de commissions dans certains segments devrait fortement se contracter, ce d’autant plus qu’une accentuation de la vigilance de certains gouvernements ou de certains lobbies consuméristes est perceptible.

Est-il possible d’indiquer quelles sont les banques en mesure de tirer leur épingle du jeu face à ces différentes difficultés ?
L’univers peut être divisé entre trois : les banques de détail, les banques d’investissement et les banques universelles. Dans l’immédiat, la visibilité et la séquence de résultats sont meilleures pour les banques de détail. La charge du risque est fonction directe des indicateurs économiques. Dès lors que l’on a une amélioration de ces indicateurs nous pouvons tabler sur une normalisation de la charge du risque qui aura un impact massif sur les résultats des banques.

A l’inverse, l’horizon manque de clarté pour les banques d’investissement. Certains niveaux de valorisation interpellent. Nous avons une multiplication d’enquêtes ouvertes par les autorités sur des comportements répréhensibles, comme des manipulations de cours ou des activités avec des clients de pays sous embargo, dans le cas de BNP Paribas par exemple. Il y a une incertitude sur les provisions nécessaires pour faire face aux amendes à venir.
Parallèlement, nous avons eu pendant plusieurs années une activité très bien orientée sur le compartiment obligataire. Cela est probablement terminé. Il y a moins de besoins de refinancement de la part de certaines entreprises. Des écarts de taux serrés sont notables. Des tensions sont, en outre, palpables sur le segment devises et matières premières.
Or l’activité obligations, devises et matières premières représentent globalement les deux tiers des banques d’investissement.
L'environnement réglementaire reste compliqué (confère Tarullo aux Etats-Unis) et la discipline des acteurs reste encore incertaine (rémunérations excessives, "pricing" insuffisant versus prise de risque...).

Pour résumé, la configuration est singulièrement propice aux banques de détail des pays d’Europe du sud.

S’agissant des banques d’investissement, certains observateurs mettent en avant le développement des produits structurés sur les  classes actions et obligations ?
Il est vrai que des évolutions réglementaires et les déclarations de certaines autorités comme la Banque centrale européenne vont dans le sens d’un développement de ces produits pour stimuler la croissance.
Les contraintes de liquidités sont élevées pour les banques et ne leur permettent pas de jouer un rôle de financement pour tout type de gros projets d’infrastructures ou industriels qui génèrent des cash flows éloignés dans le temps. Là-dessus une utilisation plus importante de la titrisation spécialement est attendue qui sous entend d’originer des crédits et de répartir une large partie du financement entre plusieurs investisseurs.
Des intérêts convergent avec les investisseurs de long terme, comme les assureurs, qui sont enclins à participer à ces opérations.

Il demeure une barrière puissante qui est la complexité à standardiser les produits de titrisation. La réglementation doit aussi être allégée afin que la titrisation suppose une moindre mobilisation de capitaux pour les banques.
Enfin, une grande partie de la titrisation aux Etats-Unis se fait sur le marché immobilier où se trouvent des organismes de garantie parapublics Fannie Mae et Freddie Mac, qui est un facteur rassurant pour les investisseurs.

Feriez-vous le même raisonnement pour l’essor des dérivés actions ?
Le marché des dérivés est aujourd’hui très bien orienté. L’appétit est grand pour les produits de flux et les produits structurés ce d’autant plus que la volatilité a baissé. Les investisseurs aiment l’idée d’avoir du rendement tout en limitant les risques.
Ceci étant ce sont des produits financiers qui ne sont pas adaptés à toute catégorie d’investisseurs et dont le volume est très dépendant des variations du cycle et du degré d’aversion pour le risque.
Il y a alors lieu de relativiser le potentiel de croissance de ce segment sur le long terme. Je ne suis pas persuadée que les perspectives sont aussi fabuleuses que ce que l’on a pu avoir ces deux dernières années.

Quel est votre positionnement sur le secteur ?

Nous sommes neutres. Nous privilégions les acteurs qui nous paraissent les plus solides. Ce ne sont pas forcément ceux qui délivrent le plus de résultats présentement. Nous nous attachons à la robustesse des fondamentaux sur le long terme et à la capacité de produire du capital de manière structurelle y compris en cas de retournement de la conjoncture économique. Nous considérons étroitement l’évolution des fonds propres et les intentions formulées sur le versement de dividendes.

Nous aimons bien les banques françaises. Nous pensons que le business model de BNP Paribas est excellent. Le groupe combine une banque de détail qui a un cout du risque très modéré, une banque d’investissement dont la volatilité des résultats est limitée avec une contribution harmonieuse des différentes activités et tirées par un environnement financier porteur. Les zones d’activité présentent des fondamentaux solides. Le niveau de rentabilité permet d’avoir du capital dans un bilan déjà très sain. Ainsi, la banque sera en mesure d’accroitre son dividende ou son actif net.

Nous sommes également investis dans HSBC. L’action a perdu une grande partie de sa prime de valorisation. La société a une taille critique sur les différents marchés adressés qui affichent une croissance soutenable. Le bilan est très qualitatif que ce soit en termes de solvabilité ou de liquidité. La capacité d’accompagner les multinationales d’une région à l’autre est forte. Le profil de croissance sur le long terme est attractif. La rentabilité devrait être au rendez vous quelque soit la conjoncture, permettant le versement d’un dividende généreux.

Nous avons une vision constructive sur Crédit Agricole pour des raisons de valorisations et de progression des résultats. La charge de risque largement liée à l’Italie s’est amoindrie. La force de frappe reste très puissante en France.
En Europe du sud, nous préférons les banques espagnoles aux banques italiennes. Le marché italien est moins consolidé que le marché espagnol et se caractérise par une plus ferme présence dans les crédits aux PME, ce qui suppose un cout du risque plus grand et une sensibilité plus prononcée à des déceptions sur le front macroéconomique.

Vous ne pensez pas que la décote est justifiée sur CA ?
Cette décote reflète deux éléments d’inquiétude : la structure de gouvernance et la solvabilité inférieure à ses homologues. Le versement du dividende devrait se faire en actions, ce qui entrainera une légère dilution des actionnaires existants. Cela permettra d’augmenter le niveau de fonds propres. La décote devrait se réduire au fur et à mesure que cette augmentation sera actée.

Envers quelles banques affichez-vous une réticence ?
Nous restons à l’écart de Handelsbanken ou Swedbank en Suède qui sont trop chères et pour qui le cout du risque est quasi nul. Les revenus ne devraient pas s’amplifier de manière importante car la distribution du crédit devrait continuer à être molle.
Nous sommes prudents à l’égard de Raiffeisen, une banque de détail très dispersée dans les pays d’Europe de l’est. Les parts de marché sont petites dans chacun de ces marchés. Des économies d’échelle ne sont pas possibles. Les implantations sont cependant non négligeables en relatif en Ukraine et en Russie.

Que pensez-vous de Société Générale et de Natixis ?

SG a un levier de résultats significatif si elle parvient à redresser son activité à l’international, notamment en Roumanie et en Russie. Ceci étant même quand l’économie était bonne dans ce dernier pays, en 2012 ou 2013, les résultats de la filiale de SG n’étaient pas bons du tout. Aussi, je ne crois pas que les chiffres devraient notablement s’améliorer dans cette région.
SG est exposée à d’autres éventuelles enquêtes dans sa banque d’investissement.
Une large partie des profits de Natixis vient de sa banque d’investissement où les perspectives sont moyennes. Le cout du risque est faible et ne concerne que quelques métiers : le financement en banque d’investissement et des services spécialisés. La banque n’est pas un bon véhicule pour jouer l’embellie de la macroéconomie.

Quels risques identifiez-vous à ce stade pour le secteur ? Quelle appréciation faites-vous du risque émergent ou encore du risque relatif aux démêlés avec la justice ?
Les marchés émergents les plus risqués sont les marchés sur lesquels les banques européennes sont modestement exposées. Le risque est important et doit déterminer la sélection des valeurs du secteur mais n’empêche pas d’investir sur le secteur dans son intégralité. Je ne crois pas que nous soyons face à un risque émergent qui pourrait nous faire basculer dans un scénario similaire à celui de la fin des années 1990.

Le risque lié aux litiges nous amène à nous dire qu’il est un peu prématuré pour aller sur les banques d’investissement. Essayer de chiffrer les amendes potentielles est un exercice très ardu.
Nous ne pensons pas que des litiges pourraient concerner des banques de détail à l’instar de ce que l’on a eu au Royaume-Uni avec des pratiques commerciales délictueuses sur l’assurance emprunteur.

L’audit des actifs et les stress tests sont ils une source de préoccupation ?
Non. Les établissements bancaires ont pour la plupart fournis les efforts requis. Le secteur bancaire espagnol a déjà passé des stress tests rigoureux. Plusieurs décrets ont été adoptés à partir desquels les niveaux, les règles, la classification des créances douteuses ont été significativement renforcés. Les provisions des établissements bancaires espagnols me paraissent pour la plupart adéquates par rapport à la qualité des crédits détenus dans les bilans. Je n’attends pas d’impacts négatifs de l’audit et des stress tests de la BCE en Espagne.
Un phénomène de rattrapage s’est dessiné en Italie. Des règles plus strictes ont également été définies par la Banque d’Italie. De nombreuses banques italiennes ont su se montrer pro actives. Pour autant la couverture des créances douteuses par des provisions pour certains établissements, notamment petits, peut paraitre insuffisante.
Des difficultés pourraient être rencontrées par des landesbankens en Allemagne, surtout dans le financement immobilier et le financement du fret maritime.

Le sujet a, par ailleurs, été largement traité dans les autres pays de la zone euro. Les ajustements massifs devraient concerner soit des petites entités soit des entités non cotées.

Je suis donc relativement serein sur les conclusions de l’audit et des stress tests envisagés. Ils pourraient même s’avérer profitables au secteur. Ils permettront de s’assurer d’une certaine homogénéité des provisionnements en fonction de la qualité des crédits dans les bilans et de mieux comparer les établissements bancaires entre eux.

Propos recueillis par Imen Hazgui