Interview de David Benamou  : Président d'Axiom  Alternative Investments

David Benamou

Président d'Axiom Alternative Investments

Actions bancaires : Crédit Agricole pourrait encore gagner de 30% à 40%, Société Générale 30%, BNP et Natixis 20%

Publié le 17 Mars 2014

Quel regard portez-vous sur le secteur bancaire français à ce stade de l’année ?
Sur le plan industriel, le secteur bancaire français nous parait très solide et très performant. Il a pu le démontrer lors des différentes phases de la crise financière depuis 2008. Les banques de l’Hexagone ont continué à générer des profits en dépit des difficultés rencontrées et de l’opprobre jeté sur elle. On est arrivé jusqu’à présager à l’été 2011 un état de banqueroute pour Société Générale.

Un résidu de discrédit à l’égard des banques françaises demeure cependant et se traduit dans les cours de bourse. Le ratio price to book (PB), la capitalisation boursière rapportée aux fonds propres, se situe en dessous de 1, y compris pour BNP alors que c’est une des seules banques en Europe à avoir délivré des bénéfices de manière régulière et à avoir fait preuve d’une importante maitrise de son risque. Le groupe n’a cessé de verser des dividendes à ses actionnaires depuis 1986.

Le secteur bancaire espagnol est très bien valorisé par rapport au secteur bancaire français…
Quasiment toutes les grandes banques espagnoles traitent à un PB largement supérieur à 1, entre 1,3 et 1,5. Ce sont les banques les plus chères après les banques nordiques et les banques suisses.

Alors que le PB de BNP est de 0,9, celui de Bankia, la banque espagnole qui a été restructurée, est de 1,5, ce qui peut paraitre surréaliste, la seconde gagnant beaucoup moins de revenus que la première.

Comment expliquez-vous la sous-valorisation des banques françaises au regard de leur price to book ?

Par plusieurs éléments. En premier lieu les investisseurs misent sur une forte reprise économique en Espagne qui aura un effet favorable sur les banques espagnoles.
Par ailleurs, le marché se dit que le secteur bancaire espagnol a déjà été nettoyé et que le risque d’avoir des provisions insuffisantes en raison de pertes excessives ou de créances non performantes exorbitantes est limité.

Ce raisonnement n’est pas exclusif à l’Espagne, il est également translaté pour l’Irlande. Est anticipé dans ce dernier pays un redémarrage économique significatif. Par ailleurs, le secteur bancaire irlandais est considéré comme ayant déjà été épuré. Ainsi Bank of Ireland traite un niveau de PB de 1,2.

Un troisième facteur explique le décalage du secteur bancaire espagnol et irlandais ?

De nombreux investisseurs considèrent que les niveaux de provisionnement définis sur Bankia ou sur Bank of Ireland sont allés au-delà de la normal et que l’on aura des reprises sur provisions. Cet argument a du sens. Nous avons pu le constater avec Northern Rock. Des reprises de provisions ont pu être faites entre 12 et 14 mois après la mise en place de la structure de défaisance.

Diriez-vous alors que la sous valorisation des banques françaises est justifiée ?
Je ne le pense pas. Il est certes prévu en France une reprise économique moins importante et une moindre reprise de provisions.
Cependant, lorsque l’on examine de plus près la qualité des banques françaises- que ce soit de part le modèle économique, la profitabilité, la solvabilité, la diversité des activités- parait bien supérieure à ce que l’on peut trouver par ailleurs au sein de la zone euro.

Nous sommes convaincus que l’audit des actifs des bilans et les stress tests des banques de la zone euro prévus par la Banque centrale européenne seront le catalyseur de valeur pour les banques françaises. Nous pensons que la transparence qui sera faite à l’issue de ces exercices mettra en lumière tous les atouts aujourd’hui sous estimés des banques françaises.

Mis à part cette « certification Iso 9001 » de la BCE, quels autres facteurs pourraient stimuler la performance des banques françaises ?

A moyen terme, ce sont surtout l’audit et les stress tests qui auront un impact majeur.

Est-il possible d’avancer une hiérarchie des banques françaises si l’on raisonne en termes de potentiel de rebond ?
Crédit Agricole affiche la décote la plus importante eu égard au price to book. Celui-ci se situe à 0,72, contre 0,50 il y a peu de temps.
La banque a aujourd’hui une activité largement recentrée sur la banque de détail. La gouvernance a posé de sérieuses difficultés par le passé. Toutes les banques d’investissement que le Crédit Agricole a rachetées ont disparu, que ce soit Indosuez ou Calyon. Des acquisitions destructrices de valeur ont par ailleurs été faites, comme Emporiki en Grèce. Le développement à l’international n’a pas vraiment été couronné de succès sauf dans des cas limités.

Je pense toutefois que la sous valorisation est tellement considérable qu’elle compense les quelques zones d’ombre que l’on peut identifier.

Que pensez-vous de Société Générale ?
Le PB de Société Générale est à 0,80. Les incertitudes relative à la présence de la banque en Russie sont fortes et limitent de ce fait la perspective de rentabilité de la banque dans cette région. Cette position soulève également des interrogations d’ordre géopolitique. On a pu le noter avec la montée des tensions entre la Russie et l’Ukraine. Depuis l’affaire Kerviel, il y a comme une image de malédiction associée à Société Générale et on se dit de nouveau que la banque ne sortira pas indemne de ce dernier épisode.

Pour autant la banque est très solide. Les métiers sont équilibrés. La banque de détail est très lucrative. La banque d’investissement est bien constituée. La dominante actions plutôt que taux, est une très bonne chose étant donné les évolutions réglementaires. Les normes de Bâle III pénalisent plus les activités taux que les activités actions. Ainsi, Société Générale devrait moins souffrir d’une surconsommation de son capital que d’autres banques d’investissement.

Ne craignez-vous pas les répercussions négatives d’éventuels litiges dans la banque d’investissement ?
Des provisions ont été faites en relation avec l’affaire de la manipulation du Libor. Je ne suis pas aussi inquiet que des banques qui auraient une exposition aux Etats-Unis et pour lesquelles le coût d’un litige peut s’avérer colossal.

Quelle est votre vision sur BNP Paribas ?
Le litige avec les Etats-Unis a propos de transactions effectués avec des clients appartenant à des pays sous embargo est perçu comme le premier incident de parcours de la banque au cours de ces dernières années. L’activité taux représente environ 50% de la banque d’investissement, ce qui n'est pas un avantage compte tenu des charges en capital imposées par le régulateur sur ces activités. Jusque là, cette activité a été très profitable. Il est très probable que cela soit moins le cas à l’avenir. Ceci étant, BNP est une machine à générer des profits incroyable avec une maitrise des risques fabuleuse. Qui plus est, dans les moments de turbulence, le titre permet d’amortir les chocs. C’est la valeur par excellence d’une gestion de bon père de famille.

Ainsi, le comportement de l’action BNP ces quatre dernières semaines n’est clairement pas similaire à celle de l’action Société Générale.

Quid de Natixis ?
Le modèle de Natixis est très particulier. C’est la seule banque d’investissement stricto sensu cotée en Europe. Le processus de restructuration a porté ses fruits. Le bilan a été nettoyé très tôt. Le parcours en bourse a été très bon. Le PB est de 0,88.
Il y a encore du potentiel. Toutefois il faut garder à l’esprit que les charges en capital peuvent s’avérer douloureuses.

Quels sont les potentiels de hausse des cours de bourse pour les quatre banques françaises ?
Nous voyons un potentiel d’appréciation du cours de l’action de Crédit Agricole de 30% à 40%. Société Générale pourrait récupérer encore 30%. BNP pourrait gagner 20%, de même que Natixis.

Ces potentiels de rebond doivent être appréhendés avec un timing...
Nous pensons que les hausses pour les banques espagnoles, irlandaises, italiennes pourraient se faire dans les quatre prochains mois, avant les débuts de révélations sur l’audit des actifs.

En revanche, les banques françaises devraient au cours des prochains mois s’apprécier très lentement et accélérer leur progression après la publication des conclusions de l’audit.

Quels sont les principaux risques identifiés sur les banques françaises ?
Je ne vois pas de risques généraux qui affecteraient de manière isométrique l’ensemble du secteur des banques françaises, le contexte étant relativement stable. Il y a cependant des risques spécifiques à chaque groupe.

Pour BNP, le danger est lié à l’incidence du litige avec les Etats-Unis. C’est le moins maitrisable dans l’environnement et l’architecture de BNP.
Pour Société Générale, la principale menace est relative aux dérives de la transformation de la crise ukrainienne. Au-delà de la Russie, SG est également présente dans d’autres pays d’Europe de l’est et notamment la Roumanie.
Pour Crédit Agricole, l’effet de dissuasion pourrait provenir de la gouvernance. Il ne faudrait pas par exemple que l’entité achète de nouveau des banques trop chères à l’étranger et qui se révèlent ne pas être rentables.
Pour Natixis la grande interrogation est liée à la soutenabilité de la métamorphose opérée. De grandes erreurs ont été commises en matière d’investissement. Même si les litiges qui sont apparus ont été entièrement provisionnés, nous ne sommes pas à l’abri de mauvaises surprises.

En dehors de la France, sur quelles autres banques êtes-vous investis ?

Unicredit et Intesa en Italie, et Banco Popolare di Milano. Cette dernière banque est désavouée pour son problème de gouvernance. La qualité de ses actifs n’est pas si dégradée en relatif. Son niveau de provisionnement est élevé. Elle a su rester profitable.
Nous aimons bien en Espagne Caixa et Liberbank. Ce sont deux banques à dimension nationale sous valorisées qui devrait tirer avantage de l’amélioration de la conjoncture en Espagne. Nous les préférons à Santander et BBVA soumise au risque de l’aléa en Amérique latine.
Nous avons aussi Lloyds et Barclays au Royaume-Uni.

Sur quelles institutions redoublez-vous de vigilance ?
Nous sommes prudents à l’égard de la Deutsche Banke. La banque a du passer des provisions considérables pour litige. La banque d’investissement est très présente dans le fixed income et a beaucoup d’actifs obligataires de niveau 3, valorisés en mark to model. Un des enjeux de l’audit de la BCE est de faire un point sur ces actifs de niveau 3. Nous nous attendons clairement à ce que le coup de projecteur conduise à des besoins de capitaux supplémentaires chez Deutsche Bank et déclenche une opération d’augmentation de capital. De plus le groupe est présent aux Etats-Unis. Or la Fed a décidé d’augmenter son ratio de levier à 5% pour les pour les banques étrangères qui opèrent sur le territoire américain, dont le total du bilan dépasse 50 milliards de dollars. Cela va forcer la banque à bloquer des fonds outre Atlantique sauf s’il y a une optimisation de l’utilisation du capital. Cela va imposer une surcapitalisation au global ou inciter les banques à réutiliser ce capital en Europe à partir des Etats-Unis, ce qui ferait de l’activité et une génération de profits aux Etats-Unis.

Nous sommes également méfiants envers HSBC très exposée à la Chine. Sur 22 milliards d’euros de profits, 15 milliards sont générés en Chine chez HSBC. Nous n’avons pas vraiment le moteur conjoncturel européen et nous avons le risque émergent.

Vous n’avez cessé de mettre en avant la valorisation des banques selon leur ratio price to book. Pourquoi préférez-vous ce ratio, au price to earnings ?
Il faut utiliser les deux ratios pour apprécier la valorisation d’une banque.
Le price to book correspond à la valeur que le marché donne à l’instant immédiat à une banque , en fonction de ses fonds propres. Sauf incident prévisible une banque situé dans un environnement macro-économique et politique stable doit avoir une capitalisation boursière au moins égale à ses fonds propres.
Le price to earnings jauge la confiance des investisseurs dans la capacité de la banque à délivrer des résultats. La valeur de la banque est en fonction de ses bénéfices futurs potentiels, qui sont incertains.
Le PE est un indicateur très important. Cependant compte tenu des évolutions réglementaires et des optimisations possibles sur le front de la consommation du capital, le PE est plus délicat à utiliser que le PB.

Propos recueillis par Imen Hazgui