Interview de Gildas  Surry : Associé et analyste senior chez Axiom Alternative Investments

Gildas Surry

Associé et analyste senior chez Axiom Alternative Investments

BNP, Société Générale, Crédit Agricole, Natixis : quelle banque française cotée présente aujourd'hui le profil de risque le plus important ?

Publié le 20 Août 2015

Quel regard portez-vous sur le secteur bancaire français si l’on tient compte des quatre grandes banques cotées ?
On observe une stabilité des revenus et un maintien de la diversification dans les modèles économiques des banques. L’environnement opérationnel en France ne s'est pas dégradé et la qualité des actifs détenus s’est en trouvée renforcée, notamment par rapport à d’autres pays de la zone euro. Le coût du risque reste contenu.
Dès 2008, les banques françaises ont mis en place des structures de défaisance pour gérer activement les créances douteuses issues de la crise.

Sur le front du financement, un processus de substitution a été observé. Les dépôts rémunérant moins, les épargnants ont été encouragés à s’orienter vers des produits de gestion d’actifs. C’est une tendance que nous avons avions initialement relevé en Italie. Cette mutation de l'épargne vers des produits à plus forte commissions ont notamment permis aux banques de maintenir un certain niveau de profitabilité. Mais cet effet reste transitoire et temporaire.

Le maintien des taux durablement bas au-delà de l’horizon de septembre 2016 pourrait-il constituer un risque pour la rentabilité des banques françaises ?

L’aplatissement de la courbe des taux réduit la capacité des banques à transformer le risque et peut finir par contraindre davantage leur profitabilité. Cela pourrait mettre une pression supplémentaire sur leur structure de couts. L’évolution de la courbe des taux est donc un élément à surveiller de près pour jauger la rentabilité future des banques françaises.
Les banques françaises pourraient être poussées à poursuivre leur transformation et leur repositionnement pour optimiser l'usage de leur capital réglementaire.

Le niveau de chômage en France est-il susceptible d’induire une hausse du cout du risque pour les banques françaises ?
Il y a des critères de souscription du risque crédit en France en fonction des revenus disponibles contrairement à d’autres pays où le prêt est accordé en fonction de la valeur du bien. Ainsi alors que nous sommes d’un côté dans une logique de valeur des flux, nous sommes de l’autre coté dans une logique de valeur du stock. Le niveau très bas des taux d’intérêt est un facteur favorable pour les banques françaises en ce qu’il facilite la capacité de remboursement des débiteurs et contient le risque de crédit dans le portefeuille de prêts immobiliers.

Le niveau de chômage peut être davantage un handicap, de manière indirecte, dans la capacité des banques françaises à se réorganiser et à réduire leur masse salariale. Les discussions avec les partenaires sociaux pourraient s’en trouver durcies voire bloquées.

Que pensez-vous de la décote affichée par ces différentes institutions par rapport à leurs fonds propres ?
La décote affichée par les différents groupes exprime des choses différentes. Il y a une dizaine d’année, un même modèle était poursuivi. Nous assistons maintenant à une différenciation marquée. D'abord l'implantation géographique: CA est sorti de la Grèce et du Portugal, non sans difficulté, et se concentre sur le marché français. Parallèlement SG reste très engagée en Russie et en Europe de l’Est. BNP est leader en Belgique et en Italie et se projette aux US et en Asie. Natixis se développe en Asie et même en Amérique Latine. Ensuite les axes stratégiques: CA se renforce dans Amundi, SG voit une opportunité dans les services post-trades en finance de marché, BNP envisage de refaire grossir son bilan.
Il en résulte notamment un comportement différent en fonction des développements macro-économiques ou géopolitiques. Ainsi, si le conflit entre la Russie et l’Ukraine s’amplifie, SG pourrait se retrouver la plus affectée - bien que l’exposition à la Russie de SG reste très gérable par rapport à l’importance des fonds propres.

Si vous deviez faire une hiérarchisation entre les quatre banques en fonction de leur profil de risque ?

La nouvelle réglementation -que nous suivons au plus près - décourage la course à la taille critique. Dans ce contexte, le risque de méga-fusion destructrice de valeur a disparu. Et, si on ajoute l'importance de la diversification, je verrai BNP comme le profil le moins risqué, puis CA et ensuite SG pour son exposition à la Russie. Natixis poursuit un plan stratégique ambitieux qui comprend un certain risque d’exécution.

Pensez-vous que l’exposition à l’Italie constitue un risque ?

L’Italie ne constitue pas ou plus un risque. Les déposants italiens n’ont pas réagi à la crise grecque où nous avons eu trois semaines consécutives de fermeture de guichets. Ce qui se passe en Grèce semble perçu comme un cas particulier. Le paysage politique s’est, en outre, stabilisé en Italie. De sérieuses réformes ont été lancées, notamment sur le processus de recouvrement des créances douteuses. Des initiatives privées crédibles ont aussi été prises. Un conduit de réalisation des créances douteuses s'est créé pour un montant de 1 milliard d'euros avec Unicredit et Intesa.

Deux grandes tendances sont à surveiller de près pour évaluer la compétitivité des banques françaises : les ajustements apportés pour faire face à la montée en puissance de la digitalisation et les adaptations faites pour faire face à l’incessante augmentation de la pression réglementaire...

Une grande tendance que l’on observe est en effet la digitalisation de l'offre des produits bancaires. Un pourcentage de plus en plus important d’utilisateurs des réseaux bancaires se retrouvent à utiliser les banques en ligne. Un effet de cannibalisation en découle de l’offre bancaire en ligne par rapport à l’offre bancaire en agence. Cette mise en concurrence ébranle quelque peu la rentabilité des banques.
Dans les banques en ligne, l’effet d’échelle peut se faire de manière bien plus importante. Avec moins de moyens que ceux mobilisés par les agences il est possible de capter plus de clients.
Mécaniquement les réseaux devront être repensés dans cette façon d’adresser la nouvelle demande pour les services bancaires en ligne.

Vous parlez de concurrence plutôt que de complémentarité ?

Une complémentarité est avancée par la direction des groupes bancaires pour ne pas inquiéter leurs agences et avoir leur adhésion à leur plan de réorganisation. Mais il s’agit en réalité d’une émulation interne qui peut être perçue comme une mise en concurrence.

Est-ce à dire que la vague de fermeture des agences et de réduction des effectifs n’est pas terminée pour les banques françaises ?
Probablement pas. Cette vague pourrait être étalée dans le temps pour être moins pénalisante.
La banque d’affaires se renouvelle énormément. Chaque année, la rotation naturelle concerne un cinquième du personnel. Elle est principalement justifiée par une évolution dans le type de métiers requis dans un environnement de gain d’efficacité pour servir de nouveaux besoins, de variation de l’appétit pour le risque des investisseurs, de changement dans la sophistication des produits.

La digitalisation est une tendance de fond qui crée énormément d’opportunités …

Comme toute innovation, même si elle s'accompagne d'un processus de rationalisation, le digital peut être source de création de nouveaux métiers:gestion des systèmes informatiques, contrôle du risque de fraude type hacking, e-marketing et e-commercialisation.

Les banques françaises perçoivent l’ampleur de l’enjeu avec Boursorama chez SG, ou HelloBank chez BNP Paribas. Mais elles paraissent encore timides sur ce front de la digitalisation, notamment vis-à-vis de BBVA, Barclays, ou Commerzbank. Il faut ensuite distinguer le véritable engagement de la simple campagne de communication, par exemple en suivant le type de profils que les banques visent à recruter.

Un risque à garder à l’esprit est le risque réglementaire...

Les banques européennes ont désormais un superviseur unique depuis novembre. Et, avec lui, des exigences supplémentaires, sur la nature et le montant des fonds propres et aussi les modèles internes de risques développés par les banques. Cette pression réglementaire pourrait s’intensifier. Les banques doivent savoir l’anticiper.

Sur le plan du capital, les banques françaises sont confrontées à un défi posé par le FSB, du TLAC, le « total loss absorbing capacity »...

Le TLAC est une exigence additionnelle de capital imposée par le G20 en novembre 2014 sur proposition du Financial Stability Board aux grandes banques systémiques internationales afin d’adresser le problème du « too big to fail ». Sur la trentaine d’institutions concernées au niveau international, douze sont européennes et trois sont françaises, notamment BNP, Société Générale et Crédit Agricole.

Du fait de la typologie du marché de l’épargne en France, structurellement les banques françaises ont par rapport au reste du secteur bancaire européen un déficit de financement par les dépôts. Elles sont ainsi de grandes utilisatrices du marché de gros et roulent une portion importante de leur bilan dans les marchés monétaire et obligataire. Le TLAC ne comprenait pas a priori ces instruments et supposait de ce fait une insuffisance de capital pour les banques françaises.
Certains craignaient que celles-ci ne soient contraintes à des volumes d’émission importants d’obligations subordonnées. Des estimations de 40 milliards d’euros circulaient et des interrogations portaient la nature de ce besoin en capital réglementaire.

Ces craintes semblent s’être apaisées du fait d’un aménagement venu d’outre-Rhin…
Un aménagement est en train d’être mis en place en Allemagne. Dans le cadre de l’implémentation d’une réglementation européenne, la dette obligataire senior deviendrait être éligible au TLAC en devenant subordonnée au reste du passif senior, notamment les dépôts. L’Allemagne a une seule banque systémique, Deutsche Bank. Cependant, cet aménagement pourrait potentiellement être une solution au problème des banques françaises.

Cet aménagement pourrait être repris dans la composition du TLAC ?

Nous serons fixés sur la définition du TLAC lors du sommet du G20 d’Ankara en novembre. Il y a une forte probabilité que l’aménagement apporté par l’Allemagne soit pris en compte.

Nous pouvons percevoir une différence de vitesse chez les banques françaises dans la mise en conformité des nouveaux formats d’obligations hybrides ce que l’on appelle communément les cocos, qui font pleinement partie de la structure de capital sous les normes de Bale III…

Alors que Crédit Agricole et Société Générale ont rapidement adopté le format de tier 1 additionnel, BNP l’a fait un peu plus tard, au mois de juin, presque deux ans après la première émission de cocos dans le secteur bancaire européen.

Comment l’expliquez-vous ?
BNP a toujours assez réticente à l’innovation réglementaire. La première banque française par ses actifs a préféré attendre que la nouvelle classe d’actifs soit mûre et plus largement adoptée par les investisseurs pour se lancer. En juin, son émission inaugurale a placé 750 millions d’euros alors qu’habituellement les opérations se situent au dessus de 1 milliard et vont parfois jusqu’à 2 milliards d’euros.

D’aucuns craignent que le modèle de banque universelle ne soit remis en cause ?

En Europe, plusieurs banques ont déjà remis en cause le bien-fondé du modèle de banque universelle. UBS a décidé de se concentrer sur la banque privée et la gestion d’actifs. Deutsche Bank n'est plus "everything to everyone" et a fermé certaines activités de finance de marché.
Le TLAC met à mal également le modèle de banque « supermarché ».
Le plus gros bilan de la zone euro reste BNP, qui continue de croire en au modèle de banque universelle.

Qu’en pensez-vous ?

Je ne crois pas que ce modèle soit menacé. La réglementation qui devient plus acérée pour séparer les risques et les absorber permet tout-à-fait la co-existence de différents modèles. Cette réglementation est plutôt d’inspiration libérale. Elle ne tend pas à imposer le dogme d’un modèle économique par rapport à un autre.
Certes, au Royaume-Uni des nouveaux acteurs émergent en choisissant une spécialisation identifiée: crédit à la consommation, crédit immobilier, ou crédit aux PME. Cela ne suppose pas la disparition du modèle de banque universelle qui présente l’avantage d’une diversification des risques et d’une variété des produits offerts aux clients.

La taxe sur les transactions financières constitue-t-elle une source de préoccupation ?
Je vois plus de menace dans MIFID 2 quand dans la taxe sur les transactions financières. MIFID 2 va imposer une séparation entre les commissions de transaction et les commissions de rémunération des services de recherche. Cela pourrait affecter l’activité fixed income des banques d’affaires à un horizon de 2017.

Quid du risque de litige ?

C’est un risque avec lequel il faut composer. Il concerne surtout actuellement CA. Difficile de prévoir l’ampleur de l’amende qui pourrait lui être infligée.
Lorsqu’un accord intervient, il a tendance à impacter positivement les valorisations de l'action et des instruments obligataires.
Le litige du moment sur les RMBS US avec Fannie Mae et Freddie Mac ne concerne pas les banques françaises.

Êtes-vous d’avis que le mouvement de consolidation des banques va s’intensifier ?

Le secteur bancaire français est déjà bien consolidé. Je ne vois pas de candidat au rachat de banque française. A l'inverse, des achats sélectifs d’actifs par des banques françaises pourraient avoir lieu: pas forcément en Italie ou en Espagne, mais par exemple en Allemagne où -on l'a vu récemment- ou encore en Pologne.

Propos recueillis par Imen Hazgui