Interview de Arnaud Lanctin : Gérant actions spécialisé sur le secteur bancaire chez Federal Finance Gestion

Arnaud Lanctin

Gérant actions spécialisé sur le secteur bancaire chez Federal Finance Gestion

Parmi les quatre banques françaises cotées, notre préférence va clairement pour Natixis : voir le cours repasser sur les 5 euros est une aberration

Publié le 28 Août 2015

Quels commentaires vous inspirent les annonces des résultats semestriels des grands groupes bancaires français ?
Nous avons assisté à une très bonne publication de BNP Paribas, au-dessus des attentes. Un contraste saisissant a pu être relevé entre le premier trimestre quelque peu difficile et le deuxième trimestre au cours duquel la solvabilité a pu être notablement améliorée. L’annonce des résultats semestriels a permis au titre de retrouver quelque peu son statut de valeur de qualité au sein du secteur bancaire européen.
Longtemps, BNP était considérée comme une banque très sure et très stable. Des interrogations ont cependant émergé au sujet de la solidité de son business model de banque universelle.

Société Générale a su faire état d’un niveau de solvabilité très satisfaisant, suffisant pour redonner confiance sur la capacité de la société à verser un dividende significatif en cash. C’est ce qui a principalement conduit le marché à se repositionner sur la valeur.

Crédit Agricole a déçu par la non validation de son plan de changement de structure par la Banque centrale européenne, le régulateur unique européen. Cette dernière n’aurait pas trouvé le temps nécessaire à l’étude de ce plan pour l’approuver. Ce plan était censé permettre une meilleure allocation du capital entre l’entité cotée qui souffre d’un manque de qualité en capital, et le groupe Crédit Agricole dans son ensemble.

Comment expliquez ce manque de qualité du capital de CASA ?

Pour l’instant, le niveau de capital de CASA en absolu est suffisant. Cependant, il comprend un important impact du compromis danois, le traitement comptable de la solvabilité de la filiale d’assurances. Ce compromis n’est pas gravé dans le marbre et pourrait être amené à prendre fin. Ce niveau de capital bénéficie également d’un plan d’assurance, dénommé « switch », entre les Caisses de Crédit Agricole et CASA. Enfin, il tire avantage de nombreuses plus-values latentes dans le portefeuille obligataire. Dans le cas où les taux remonteraient, ces dernières pourraient rapidement s’amoindrir.

La BCE a-t-elle livré un nouvel horizon temporel s’agissant de la validation de ce plan de changement de structure ?

Non, pas à ma connaissance. Ainsi, le problème d’allocation du capital entre la mère et la filiale devrait continuer à porter préjudice à l’évolution du titre CASA.

Avez-vous un sentiment à ce sujet ?

Il très difficile d’avoir une vision sur ce sujet. La BCE doit faire face aujourd’hui à deux grands chantiers qui devraient s’étaler sur plusieurs années, à horizon 2016 et 2019. Le premier concerne l’harmonisation en Europe de la mise en place de seuils uniformes minimum sur les risques pondérés, qui va provoquer une hausse significative de leurs montants. Le second concerne l’harmonisation des modèles internes s’agissant de la probabilité statistique de défaut des crédits en fonction de leur nature et de la contrepartie. Aujourd’hui les banques européennes ne considèrent pas les mêmes hypothèses pour les mêmes risques.

Quels commentaires vous inspirent les résultats de Natixis ?

Natixis a publié des chiffres en ligne avec les anticipations. Toutefois la banque a souffert de l’avertissement sur les résultats lancé par la Coface.
L’histoire de Natixis est double. A la fois, l’activité asset management tend à avoir une dimension de plus en plus mondiale. Par ailleurs, la société tend à distribuer son capital excédentaire aux actionnaires. Comme la participation de Natixis dans Coface ne pourra pas être revendue rapidement dans la mesure où le cours de la Coface se négocie présentement en dessous du cours de l’introduction en bourse, la visibilité sur le versement d’un dividende exceptionnel est dégradée.

Malgré cela, parmi les quatre banques françaises cotées, votre préférence va clairement pour Natixis ?
L’amplitude de la chute de 25% du cours de bourse par rapport à son pic est clairement exagérée. Le modèle de fonctionnement de Natixis va vers plus de simplification, plus d’asset management et moins de banque d’investissement et de financement. Ce qui est plus simple dans l’univers des financières a tendance à se valoriser plus cher. Nous avons conscience du fait que la phase de mutation comporte des risques et sera probablement accompagnée d’à-coups.

Comment expliquez-vous alors la baisse du cours de bourse ?

Fondamentalement, le mouvement baissier a ses raisons d’être. 40% de l’activité de Natixis est fait en dollar. La dépréciation du billet vert ces derniers jours justifie en partie la sous performance de l’action par rapport au secteur, ce d’autant plus que la liquidité sur le titre est moindre par rapport aux autres trois grandes banques, encore plus en période estivale. De plus, l’action avait été très achetée par des investisseurs américains, notamment des hedge funds, du fait de l’espoir de voir un plus grand retour à l’actionnaire qui a été réduit pour l’instant en raison de l’histoire de la Coface. Qui plus est, comme les autres banques françaises, la BFI de Natixis a un positionnement dans l’activité matières premières. Par ailleurs, Natixis a une exposition de 3 milliards d’euros à la Chine, dont la majorité est un portefeuille d’obligations tier 1 émises par les quatre plus grandes banques chinoises, étatiques, qui ont un risque nul de faire faillite. Enfin, la chute des marchés boursiers porte préjudice à l’activité Asset management de Natixis du fait d’une diminution des frais de gestion.

Pour autant, l’ensemble de ces éléments réunis ne justifient pas une correction de plus de 25%. La sanction est très exagérée. Voir le cours repasser sur les 5 euros est selon moi une aberration.

Avez-vous procédé à des ajustements dans votre allocation à la suite de l’annonce des résultats semestriels ?

Les annonces de résultats ne nous ont pas conduits à des ajustements. Nous sommes restés très sous pondérés sur les trois autres banques françaises. Nous avons décidé de renforcer notre position sur Natixis à la suite de la baisse du cours sur les 5 euros. Nous sommes d’avis que le titre reviendra à son niveau de fin juin, à 7 euros.

Comment expliquez vous votre sous pondération sur les trois autres grandes banques ?

Le modèle de banque universelle me semble préoccupant. Celui-ci est très complexe et il est rare que toutes les activités performent correctement au même moment. Si nous prenons l’exemple de Société Générale, pendant la crise de la dette souveraine de la zone euro, l’activité de la BFI était en difficulté. A présent c’est l’exposition de la banque à la Russie, depuis l’embargo et l’annexion de la Crimée, auxquels s’ajoute la chute des cours des matières premières, qui déçoit.

Par ailleurs dans le modèle de banque universelle, l’allocation en capital est un point délicat. Si l’on venait à séparer l’activité de banque de détail et l’activité de banque d’affaires, comme cela est en train d’être fait en Angleterre, on s’apercevrait que cette dernière activité présente une forte exigence en fonds propres. Ainsi structurellement, la rentabilité de le BFI serait amenée à s’effriter du fait des montants en fonds propres nécessaires du fait de la pression réglementaire. A long terme, le modèle de croissance de la banque universelle tel qu’elle existe aujourd’hui me parait quelque peu compromis.

Pensez-vous que la Russie constitue le principal risque pour SG aujourd’hui ?

Absolument. SG tire avantage aujourd’hui de sa position de leader mondial sur les dérivés actions. Du fait du trou d’air sur les marchés actions survenu au mois d’août, et l’explosion de la volatilité qui s’en est suivi, il est vraisemblable que ce segment ait été très lucratif. Cependant je pense que les impacts de la crise russe sont encore devant nous, vu la faiblesse des prix des matières premières.

La direction de SG ne cesse de répéter que son exposition à la Russie est limitée ?

C’est le cas en effet. Néanmoins cette même direction arguait il y a deux ans le fait que la Russie constituait pour la banque un terrain très fertile sur lequel il était possible de récolter de nombreux fruits de la semence.
Considérant que la Russie n’est plus un vecteur de dynamisme dans la mesure où SG n’a jamais vraiment réussi à créer une forte franchise dominée par l’activité entreprises dans ce pays contrairement à Unicredit ; que les revenus générés par le retail en France croient de manière analogue au PIB national, entre 0 et 1% ;que le retail international ne connait qu’une expansion à peine meilleure, un scepticisme en résulte sur la stratégie du groupe à long terme.

Quel est le principal risque pour CASA ?

Pour CASA, son principal risque réside dans la qualité de son capital.

Hormis le fait de passer par le pan de réorganisation qui requière la validation de la BCE, pensez-vous que CASA ait d’autres moyens d’améliorer la qualité de son capital ?

CASA est présentement une institution rentable dans la mesure où les parts de marché dans le retail en France sont significatives et que l’activité dans la BFI connait une amélioration. L’amélioration du niveau du capital permise par l’accroissement de la mise en réserve des résultats ne me parait pas suffisante pour combler rapidement toutes les lacunes en qualité du ratio de solvabilité.

Quel est le risque majeur pour BNP ?

Leur plan de développement de la banque d’affaires en Asie eu égard à ce qui se passe en Chine.

De quelle manière appréhendez-vous le facteur de risque lié aux litiges pour les banques françaises ?

Ce risque concerne essentiellement CASA. Des provisions importantes ont déjà été faites par SG.

Pensez-vous que l’exposition à l’Italie des banques françaises constitue un risque ?

L’Italie pourrait constituer un facteur positif pour les banques françaises. La mise en place de modèles interne dans l’entité italienne de BNP (BNL) pourrait permettre d’améliorer le niveau des provisionnements. Une législation est en train d’être étudiée dans le pays pour récupérer le collatéral plus rapidement quand une PME italienne fait faillite. Aujourd’hui le temps de récupération est en moyenne de 5 ans. Cela pourrait conduire à une notable diminution du cout du risque en Italie. Se dessine en outre dans le pays une progression de la demande du crédit à la consommation, après un fort recul du provisionnement, pour CASA.

Si vous deviez faire une hiérarchisation entre les quatre banques en fonction du profil de risque de ces banques ?
BNP et SG sont valorisés autour de 0,8 fois les fonds propres pour un ROE 2017 estimé à 9% et 8% (consensus Factset), ce qui laisse peu de place à la hausse étant donné le caractère éminemment cyclique du business modèle, avec des risques de déceptions. Une plus forte décote pourrait se justifier compte tenu de l’environnement.

En revanche, la valeur de Natixis qui a exagérément été affectée devrait quelque peu regagner de l’ampleur, du fait de sa générosité vis-à-vis de ses actionnaires, avec un taux de rendement de plus de 6% annuel sur 3 ans, soit plus de 1€ rendus aux actionnaires, hors dividendes exceptionnels.

La décote de CASA, relativement faible, puisque la banque est valorisée 0,7 fois ses fonds propres (ROE 2017 estimé de 7.5%), est justifiée par sa qualité de capital moindre que celle de SG et BNP.

  A lire également la seconde partie de l'interview :

  "ING, Intesa, Swedbank, Deutsche Bank, Unicredit : les opportunités d'investissement dans le secteur bancaire sont plus importantes ailleurs en Europe qu'en France"


Propos recueillis par Imen Hazgui