Interview de Scander Bentchikou : Gérant actions, spécialisé sur le secteur bancaire, chez Lazard Frères Gestion

Scander Bentchikou

Gérant actions, spécialisé sur le secteur bancaire, chez Lazard Frères Gestion

Secteur bancaire : le plus grand potentiel de hausse du cours de bourse devrait concerner Natixis. Arriveraient ensuite Société Générale, BNP et Crédit Agricole

Publié le 10 Septembre 2015

Quels commentaires vous inspirent les résultats semestriels des banques françaises ?
Les résultats de ces deux derniers trimestres ont été ligne avec ceux des trimestres précédents. Les résultats ont été encourageants sur le plan du volume de crédits. Les marges de crédit ont été pénalisées par la faiblesse des taux d’intérêt. Le cout du risque a poursuivi son fléchissement. Nous n’avons encore pas observé de hausse de la sinistralité liée à la dégradation de la conjoncture dans les pays asiatiques ou au fort repli du cours des matières premières.
Une certaine déception a émané de la faiblesse de la génération de capital qui s’explique par le fait que les banques ont cherché à se préparer à l’inflation réglementaire grandissante à laquelle elles faisaient face. Nous avons ainsi pu relever une augmentation des encours pondérés dans les activités de marché. Des interrogations portent désormais sur le niveau des encours pondérés dans l’activité de crédit hypothécaire. La pondération moyenne dans ce dernier segment se situe autour de 10 présentement. Elle pourrait augmenter.

Vous attendiez-vous à la non validation du plan de réorganisation de CASA ?

Le sentiment majoritaire du marché était que ce plan allait être validé afin de mettre un terme à l’incertitude qui planait sur la qualité du capital réglementaire de la filiale cotée. La direction de la banque avait énormément communiqué sur cette éventualité. Le président de la Banque de France, Christian Noyer a lui-même laissé entendre qu’il n’y était pas opposé.
Un tel plan aurait permis une reprise en main de la gouvernance des Caisses régionales et aurait permis au groupe d’avoir un profil moins risqué. Des diversifications à outrance ayant été faites par le passé, l’accent aurait été mis sur l’activité de la banque de détail sur le territoire domestique et sur l’activité de gestion d’actifs. Parallèlement, un matelas additionnel de liquidité non négligeable, de près de 3 milliards d’euros aurait été transféré au sein de CASA ce qui aurait autorisé une reprise de la politique de distribution de dividendes en cash à un horizon rapproché.

Pour l’heure, la situation actuelle peut encore durer plusieurs années et pénaliser le retour de cash aux actionnaires.

Comprenez vous la non validation de ce plan de réorganisation par le Régulateur ?

La direction de CASA a indiqué que cette absence de validation n’était pas liée à des considérations de capital en tant que tel mais à la manière de traiter le secteur mutualiste en Europe. En somme le Régulateur voulait s’assurer que la solution proposée était compatible avec d’autres structures mutualistes dans d’autres pays afin de ne pas conférer à CASA un avantage compétitif indu.

Selon vous, les explications n’ont pas été entièrement satisfaisantes ?

Au-delà de sa réponse négative, la BCE ne s’est pas attardée sur les motivations de sa décision. Nous n’avons que la version des faits de la direction de CASA sans avoir celle du Régulateur. L’éclairage n’est donc pas complet. Plusieurs hypothèses ont été formulées par certains observateurs extérieurs. Celles-ci n’ont pas été corroborées.

Pensez-vous que CASA pourrait trouver un autre moyen d’améliorer rapidement la qualité de son capital ?

Une nouvelle solution instantanée et spectaculaire me semble difficilement envisageable à court terme.
Ceci étant, il y a au sein du groupe une entité très génératrice de capital, à savoir Amundi. Celle-ci est présente sur différentes classes d’actifs en forte croissance , notamment sur les ETF. Elle affiche un ratio de charges par rapport aux revenus très faible, d’environ 40%. De surcroit, la structure consomme très peu de fonds propres. Quasiment chaque euro de résultat net coïncide avec un euro de fonds propres supplémentaire.
Une cotation d’Amundi, est par ailleurs envisagée. Cette mise sur le marché devrait procurer davantage de capital. Traditionnellement les sociétés de gestion d’actifs sont très bien valorisées en bourse.
Nous pouvons imaginer que par l’introduction d’Amundi, CASA pourra se créer une monnaie d’échange pour procéder à l’acquisition d’autres sociétés de gestion d’actifs par échange de titres. Cette opération contribuera à générer beaucoup de capital. Mais nous parlons là d’un projet qui s’inscrit dans la durée et non d’une solution immédiate.

Quelle perception avez-vous de l’effondrement du cours de bourse de Natixis ?

Natixis a souffert de plusieurs éléments. En premier lieu, sa forte exposition au dollar. Ensuite, la déception liée à la reprise en main des garanties exports par l’Etat que géraient jusqu’ici la Coface.
A été sanctionné la mauvaise communication de la Coface sur ce point. Celle-ci avait mentionné perdre une marge de service qui représentait 10 % et qui induisait une perte nette de 10 millions d’euros. Cependant c’était sans compter le fait que la société allouait 20 millions d’euros de couts de structure à l’entité chargée des garanties exports par l’Etat. La sortie de cette dernière du périmètre de la Coface a in fine engendré une perte de 30 millions d’euros. Une compensation satisfaisante avait été promise mais celle- ci n’a pas été au rendez-vous.
Natixis a, en outre, une forte présence dans l’activité de la gestion d’actifs qui a été chahuté ces dernières semaines et a permis de générer moins de commissions.
Enfin, et peut être surtout, l’action de Natixis n’est pas très liquide. Ainsi tout mouvement de marché sur le titre a tendance à être amplifié.
Au paroxysme de la crise souveraine des dettes de la zone euro, lorsque les spreads des obligations d’Etat ne cessaient de s’écarter, Natixis n’avait aucune exposition aux obligations des Etats périphériques. Elle paraissait toutefois très souvent parmi les plus fortes variations du secteur.

Quel principal risque spécifique associez-vous à chaque institution ?

C’est l’ampleur des évènements à venir qui détermine la présomption de matérialisation des risques spécifiques.
Aussi, il est vrai que SG est très présente en Russie, qui connait une forte dégradation de sa conjoncture. L’effet négatif qu’aura l’exposition de SG à la Russie sera néanmoins dépendant de l’ampleur de la détérioration de la situation économique du pays. Si l’état de la Russie venait à empirer du fait d’un alourdissement des sanctions avec des retombées très négatives dans les pays d’Europe de l’ouest environnants, l’incidence sur SG sera bien plus pénalisante.
De même, il en est du développement de la banque d’affaires en Asie de BNP. Si le ralentissement de la Chine du fait de l’ajustement de son modèle de développement s’avère progressif, sans dérapage, le contrecoup pour BNP sera limité. Néanmoins si la dépression que connait la Chine s’aggrave et contamine l’ensemble de la région asiatique, puis l’ensemble de l’Amérique latine et enfin les Etats-Unis et l’Europe, l’impact pour BNP sera d’une toute autre envergure.

Nous monitorons les évènements de marché au quotidien pour jauger quelle sera l’évolution de la situation pour chacune des institutions.

Selon vous le plus grand risque pour le secteur bancaire est l’inflation réglementaire...

Sont encore prévues un certain nombre de textes réglementaires portant sur le risque opérationnel (d’un pourcentage sur les revenus on se dirige vers un multiple des pertes passées) ; sur la densité des encours pondérés pour les entreprises et les crédits immobiliers ; sur le risque structurel des taux qui intéressent grandement les banques qui procèdent à de nombreux swaps d’intérêt ; sur les seuils à considérer dans les modèles internes (pour aller vers une standardisation et permettre une meilleure lisibilité) ; sur le TLAC (total loss absorbing capacity) qui implique de la part des grandes banques systémiques un ratio de capital réglementaire non pas entre 12% et 15% mais entre 20% et 25%.

Un des seuls éléments positifs de cette réglementation concerne la titrisation ?

Effectivement, cependant les progrès sont très lents.

L’augmentation du capital requis pour respecter l’ensemble de cette réglementation conduira à une hausse des taux de crédit…

Le résultat plausible de ce foisonnement réglementaire pour couvrir des risques dont on ne connait pas la probabilité de survenance sera probablement la mise à disposition de conditions de refinancement endurcies pour les entreprises et les ménages. Il faudra que les capitaux soient rentables. Car sinon, en cas d’accident, le secteur bancaire ne sera pas en mesure d’ attirer de nouveaux capitaux. Les coûts de financement seront amenés à se détériorer si l’inflation réglementaire ne faiblissait pas.

Appréhendez-vous les conclusions de la revue des bilans par la BCE au cours des prochaines semaines ?

Nous ne sommes pas à l’abri de voir des établissements épinglées, ce qui aurait des répercussions pour l’ensemble du secteur.

De quelle manière analysez-vous le risque pour les banques françaises lié d’une part au ralentissement de l’économie chinoise et du fort repli du cours des matières premières ?

L’essoufflement de la dynamique chinoise aura forcément des conséquences sur les banques françaises. L’exposition directe de ces dernières à la Chine est marginale. Comparativement à des banques comme HSBC ou Standard Chartered, le danger pour les banques françaises est bien moindre.
Cependant, des effets de second tour sont à attendre en raison de l’exposition à des sociétés du secteur des matières premières. Dernièrement, Glencore, un des plus grands intervenants dans le négoce des matières premières a annoncé un plan d’une diminution de sa dette de 10 milliards de dollars. Ce cas de figure ne sera certainement pas isolé. De ce fait le cout du risque devrait augmenter.
La bonne nouvelle cependant pour les banques françaises réside dans le fait qu’en 2011, les Etats-Unis ayant décidé de couper le robinet de la liquidité en dollar aux banques européennes, les banques françaises ont été amenées à réduire leur dépendance à cette liquidité et par là même à vendre leur activité de financement de matières premières. Ainsi la mauvaise nouvelle de 2011 a constitué en quelque sorte une bonne nouvelle aujourd’hui.
Des tensions pourraient aussi continuer à se faire ressentir sur les marchés de capitaux.

Selon vous, la mise à mal des banques françaises par la durabilité de la faiblesse des taux d’intérêt devrait être de plus en plus visible…

L’impact négatif de la faiblesse des taux d’intérêt dépend notamment de l’importance du financement des banques sur le marché. En principe, des taux d’intérêt bas supposent un amoindrissement des taux de refinancement.
Lors de l’éclatement de la crise en 2008, les banques françaises présentaient un sur endettement dans la mesure où elles empruntaient excessivement sur les marchés de capitaux. L’assainissement des bilans a conduit à un ratio crédits sur dépôts des banques françaises voisin de 100%. La faiblesse des taux devrait en cela constituer de plus en plus un fardeau pour la profitabilité des banques françaises. Nous admettons qu’un’1% des taux d’intérêt contribue à hauteur de 1% au ROE pour le secteur.

Deux spécificités pénalisent davantage les banques françaises par rapport à leurs consœurs européennes : la politique de taux fixe et l’administration étatique de la rémunération du livret A qui conditionne la rémunération des autres livrets d’épargne….

Afin de contribuer à la stabilisation de l’économie du pays, les banques françaises ont largement pratiqué une politique de taux fixes. En contrepartie, elles ont été contraintes de procéder à des swaps d’intérêt avec des banques d’investissement taux fixe contre taux variable. Personne n’imaginait que les taux atterriraient aussi bas.
Ces swaps sont ont été pendant un moment très protecteurs. Tel est beaucoup moins le cas car ils arrivent à leur terme et doivent être renouvelés dans des conditions beaucoup moins favorables.

Le cout des ressources des banques françaises est étroitement administré dans la mesure où le taux du livret A est géré de manière politique et non de manière économique, ce qui affecte injustement la rentabilité des banques françaises et la compétitivité du système financier français vis-à-vis des autres systèmes internationaux. Le coût des dépôts pour les banques françaises est devenu supérieur au cout des dépôts des banques espagnoles ou italiennes. Cela créé une décote de perception très forte.
La question se pose systématiquement de ce que pourrait être la décision du gouvernement à propos du taux de rémunération du livret A. Cela se traduit par un cout de capital plus élevé pour le système français.

Diriez-vous que les opportunités dans le secteur bancaire sont-elles plus élevées ailleurs en Europe qu’en France ?

Selon nous, les opportunités d’investissement dans le secteur bancaire sont plus nombreuses en dehors de la France.

Quid du secteur bancaire italien ?

Plusieurs arguments sont favorables à ce secteur. La remontée des taux, la consolidation, les ajustements permis par la nouvelle législation au sujet de la saisie des actifs et de la revalorisation des collatéraux devraient aider à la rentabilité des banques italiennes.
Mais avec les niveaux actuels des taux d’intérêt, mis à part Intesa, protégée par son dispositif de gestion d’actifs, les banques italiennes sont très peu rentables, largement inférieur à 8%.
Au niveau européen, nous avons tendance à préférer les banques britanniques et les banques d’Europe du nord. Celles-ci sont chères mais leur prix équivaut au niveau élevé de leur ROE, autour de 20% et au moindre risque d’augmentation du capital.

Quelle hiérarchisation des banques françaises feriez-vous actuellement en fonction de leur potentiel de revalorisation ?

Le plus grand potentiel d’upside devrait être pour Natixis. Arriveraient ensuite SG, BNP et Crédit Agricole. Le PE de Natixis est de 8 fois les résultats 2018, ce qui est très faible pour l’un des plus importants gestionnaires d’actif au niveau mondial (top 15). D’une certaine façon, les banques sont des sociétés comme les autres. Certaines créent de la valeur, d’autres en détruisent.

Propos recueillis par Imen Hazgui