Interview de Daniel Tondu : Président directeur général de Gestion 21

Daniel Tondu

Président directeur général de Gestion 21

Mise à mal du secteur bancaire européen : je ne ferai pas un parallèle direct avec 2008 pour deux motifs importants

Publié le 23 Février 2016

Quel regard portez-vous sur l’évolution du marché des actions européennes depuis le début de l’année ?
Nous avons vécu une véritable période de panique avec des mouvements de ventes massives sans discrimination alors que la situation fondamentale ne s’est pas dégradée outre mesure.
On a rattaché la correction du marché au fort repli du cours du baril. Je pense que le lien de cause à effet a ses limites. De mon point de vue, la variation baissière du pétrole a juste été un prétexte pour les investisseurs. Ce paramètre n’a été pris en compte dans le choix d’allocation que lorsque la nouvelle était négative, afin de réduire l’exposition aux actifs risqués. Cependant, lorsque le cours du Brent a repris de l’élan, il n’a pas donné lieu à une franche réexposition au marché.

Comment l’expliquez-vous ?

Je pense que l’on a assisté à un marché de traders, de chartistes, où les acteurs prenaient la décision de vendre au simple motif que la tendance générale sur le marché était négative.
Cela n’est pas nouveau. Cela fait longtemps que les investisseurs fondamentaux, de moyen-long terme, ont perdu énormément de poids sur le marché.

De quelle manière avez-vous réagi face à ce trou d’air ?
Ce trou d’air a constitué une opportunité pour les investisseurs de convictions que nous sommes. Nous avons été en mesure d’acquérir ou de renforcer des titres sur lesquels nous avons une véritable vision positive à moyen terme, à moindre cout.

Le secteur bancaire européen a été rudement mis à mal depuis le début de l’année, notamment les banques françaises. Le comprenez-vous ?

Il y a selon moi de véritables raisons à la désaffection dont ont fait l’objet les banques. L’une d’entre elles concerne les aléas réglementaires qui portent d’une part sur l’harmonisation des méthodes de pondération des risques qui a pour conséquence une augmentation notable des fonds propres exigés et d’autre part sur le coussin supplémentaire exigé auprès des grandes banques de dimension systémique jusqu’ici considérées plus sécurisées en raison de la diversification de leur modèle de développement. Selon certaines estimations, la première évolution a ainsi vocation à imposer 1 point de fonds propres supplémentaires à Natixis et Crédit Agricole, 2 points pour BNP et 3 points pour SG.

Feriez-vous un parallèle avec les tourments qu’ont vécu les banques européennes en 2008 ?

Je ne ferai cependant pas un parallèle direct avec les remous de 2008 pour deux motifs importants. En premier lieu, nous avons dorénavant un mécanisme de banque centrale de refinancement bancaire. Dit autrement, le marché interbancaire est aujourd’hui assuré par la BCE de manière illimitée, ce qui est de nature à éviter tout problème de trésorerie pour les banques à l’instar de ce qui s’était passé en 2008. A l’époque la crainte dominante était celle de ne pas savoir comment une banque donnée, sur laquelle pesait une suspicion de mise en difficultés, allait pouvoir survivre au jour le jour. A présent le bilan de la BCE ayant été institutionnalisé comme le bilan du marché interbancaire, cette crainte n’a plus lieu d’être.
Par ailleurs, sur le front du risque bancaire a proprement parler, le durcissement de la réglementation de ces dernières années a conduit à une hausse considérable des fonds propres (une multiplication par 2,5 du niveau précédent) censés faire office de protection aux épargnants qui prêtent aux banques.

Certains craignent que les banques ne soient une courroie de transmission d’un risque systémique qui émanerait de la mise à mal du secteur pétrolier en raison du fort repli du cours du pétrole ?
Je ne parlerais pas de risque systémique, car il ferait allusion à une paralysie du marché interbancaire qui, à nouveau, ne peut avoir lieu à mon sens du fait du backup de la BCE. Il y a plutôt un risque de hausse des provisions. Cependant nul n’a une idée précise de l’ampleur que pourrait prendre ces provisions. On ne peut pas se contenter d’une analyse de l’exposition au secteur par rapport aux fonds propres pour en juger. Affirmer que la menace est moindre pour SG parce que son exposition est plus faible en proportion à ses fonds propres que Natixis n’a pas de sens dans la mesure où on ne connait pas avec exactitude le risque sous-jacent à cette exposition. Il y a peut être plus de risque d’être lié à une parapétrolière française qu’à un producteur de pétrole de schiste américain.
Toujours est-il que les banques seront le cas échéant davantage en proie à un problème de rentabilité qu’à un problème de solvabilité financière si l’on tient compte de ces dix années d’efforts réalisés pour augmenter la cagnotte des fonds propres.

A votre sens, qu’est ce qui pourrait soutenir la reprise du marché que nous pouvons relever depuis quelques jours à peine : une intervention plus massive des banques centrales, un accord entre les pays producteurs de pétrole ou un redressement de la situation économique en Chine ?

Le soutien le plus probable à court terme émanera des banques centrales et des pays producteurs de pétrole. C’est ce à quoi nous avons récemment assisté.
Les déclarations de Mario Draghi continuent à avoir un impact positif sur le marché. Il devrait poursuivre dans ce sens. Le débat autour d’un accord entre d’importants pays producteurs de pétrole prend de l’essor.
Le processus de transition dans lequel s’inscrit l’économie chinoise est long. Il pourrait encore donner lieu à des déceptions à court terme au niveau de la dynamique de croissance, de la valeur de la monnaie, de la solidité de certaines entreprises. Pour faire face à l’immense surcapacité dans le pays, d’autres entités vont devoir faire défaut… Le stock de créances douteuses au sein des banques devrait augmenter. Néanmoins, pour ma part, je ne suis pas inquiet sur l’avancée de ce processus. Foncièrement, de bonnes décisions sont prises par les autorités. La consommation est robuste. L’activité se veut particulièrement porteuse dans certains segments qui prennent de l’envergure.


Propos recueillis par Imen Hazgui