Interview de Jean-Marc Dubreuil : Directeur Général d'Intel France

Jean-Marc Dubreuil

Directeur Général d'Intel France

Notre objectif consiste à faire croître la marge plus rapidement que les revenus

Publié le 18 Avril 2008

Vos résultats du premier trimestre font état d’une baisse de 12% de votre bénéfice net, à 1,44 milliard de dollars, et d’une croissance de 9% de votre chiffre d'affaires, à 9,67 milliards. Quel commentaire vous inspire ces résultats ?
Le bénéfice net a effectivement baissé, en revanche la marge brute a augmenté. Si vous comparez le 1er trimestre 2007 à celui de 2008, il faut se rappeler que nous avions bénéficié en 2007 de circonstances exceptionnelles.

Notre objectif, en tant que société, consiste à faire croître la marge plus rapidement que les revenus, ce que nous parvenons à faire au vu de nos résultats.

Quels ont été les ingrédients de cette croissance ?
On peut dénombrer trois facteurs principaux :
- le premier, c’est que nous n’avons pas observé de baisse de la demande. De manière globale, le marché du PC reste très dynamique et dispose d’une demande forte, ce qui nous permet de démarrer l’année 2008 avec un très bon 1er trimestre.

- le second facteur réside dans le fait que nous bénéficions pleinement de la combinaison de produits,  «Technology» semiconducteurs et «usine» que nous avons réussi à créer l’année dernière. Il s’agit ici de notre stratégie sur le long terme depuis 2-3 ans : tous les 2 ans nous mettons en effet à jour nos processus de fabrication, et en alternance, nous mettons à jour les produits qui sont fabriqués sur ces nouveaux processus. 

- le troisième facteur, c’est la très forte demande, notamment aux Etats-Unis, sur tout ce qui est serveurs. Cette demande a ainsi généré une croissance record de l’ordre de 17% aux Etats-Unis.

Votre marge brute s’est également améliorée mais reste légèrement en-dessous des prévisions…
D’une année sur l’autre, nous sommes effectivement passés de 50 à 54 points de marge sur le trimestre. Dans nos perspectives pour 2008, nous l’avions déjà établie à 57 points, en prévoyant 56 points sur le 1er trimestre, nous sommes donc légèrement en deçà de cette objectif du 1er trimestre, mais concernant notre projection sur l’année, nous conservons nos prédictions. Nous nous attendons en effet à avoir une réduction des coûts sur la deuxième partie de l’année.

Alors que les profits warnings des valeurs technologiques se multiplient, on pense notamment à AMD, Intel poursuit son plan de réduction de coûts amorcé en 2006. Où en êtes-vous dans cette politique de réduction de coûts ?
Nous avons amorcé en 2006 un plan sur deux ans qui consistait d’une part, à rééquilibrer la branche vente & marketing et d’autre part, à changer les processus de fabrication de nos produits.

Le rééquilibrage a pu se faire de manière assez rapide, en 2006-2007, avec le départ d’un certain nombre de collaborateurs. En revanche, le changement de processus de fabrication prend beaucoup plus de temps et nous sommes d’ailleurs en plein dedans, qu’il s’agisse de regroupement d’usines, regroupement de sites d’assemblage, d’optimisation des usines, etc. Ces modifications s’établissent sur plusieurs mois ou années.

L’an dernier, nous avons ainsi pu économiser près de 2 milliards de dollars et en 2008, nous devrions économiser près d’un milliard de dollars.

Il s’agit, en définitive, d’une remise en cause profonde de l’organisation de la société.

Au niveau français et européen, comment se porte l’activité d’Intel ?
L’an dernier, l’Europe a été le principal moteur de la croissance, et continue à enregistrer des croissances très fortes, ce qui est également vrai en France.

Au 1er trimestre, les premiers chiffres d’analystes montrent toujours une nette croissance de la demande dans les pays émergents comme dans les pays industriels. La croissance de la demande dans le marché du PC reste donc importante ; or ce marché représente notre cœur de business.  

On peut noter deux particularités : une croissance plus forte dans les pays émergents, ainsi que sur les nouveaux usages. Dans les pays émergents, nous avons avancé une nouvelle ligne de produits appelée Atom et qui devra répondre à la demande d’appareils terminaux de consultation d’internet à bas coût. Par ailleurs, nous nous sommes lancés sur une nouvelle gamme de produits, MID, qui permettront un usage optimal d’Internet dans votre poche. Ce sont des opportunités que l’on espère vendre à plusieurs centaines de millions d’unités…

Il y a donc une demande forte dans les pays émergents pour s’équiper en informatique, et nous avons un produit qui répondra bien à cette exigence.

Et parallèlement, il y a de nouveaux usages qui se développent, notamment la possibilité d’avoir accès à Internet n’importe où n’importe quand, or là aussi nous allons lancer dans les jours qui viennent toute une série de produits répondant à ces nouveaux besoins.

La filiale Intel Capital a annoncé qu’elle investirait 500 millions de dollars dans plusieurs sociétés technologiques chinoises. D’un point de vue stratégique, pouvez-vous nous détailler le rôle de la Chine dans le développement d’Intel ? Est-il envisageable que l’Inde devienne également une zone de développement privilégiée pour vous ?
Il y a en Chine plus d’un milliard d’habitants qui souhaitent se connecter, ce qui fait de ce pays l’une des plus importantes opportunités de développement.

Au départ, nous y avons installé des sites d’assemblage de processeurs, nous avons par ailleurs annoncé la construction d’une usine qui devrait être opérationnelle l’année prochaine ou en 2010, et enfin, ce que l’on fait déjà partout dans le monde, nous investissons pour développer et soutenir ce que nous appelons l’écosystème, c’est-à-dire des sociétés qui vont développer des technologies aidant à promouvoir les technologies que nous pourrions nous-mêmes mettre sur le marché. Nous l’avons déjà fait en France, aux Etats-Unis, maintenant nous le faisons aussi en Chine et en Inde. 

Nous sommes très présents en Inde, dans la mesure où nous disposons dans ce pays d’une grosse partie de notre développement de logiciels. Nous y avons également des groupes de R&D qui développent des produits packagés destinés aux pays émergents …

Ceci étant, nous avons une présence global de part le monde.

Le fabricant franco-italien de semi-conducteurs STMicroelectronics a annoncé la création effective de Numonyx, société commune avec l'américain Intel et le fonds Francisco Partners dans les mémoires flash. Que représente le marché des mémoires flash ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la stratégie d’Intel en la matière…
Il existe deux types de mémoires flash : les mémoires NAND et les mémoires NOR. Ces derniers font partis de la joint-venture créée avec STMicroelectronics.

Il s’agit en l’occurrence de mémoires très pratiques pour stocker les programmes, et non les données. On les retrouve typiquement dans les téléphones portables, etc. C’est un marché très compétitif, où il nous est apparu indispensable de profiter de la synergie que représentait cet accord avec STMicroelectronics. Aussi, au lieu d’avoir deux sociétés complètement indépendantes, nous avons décidé de regrouper nos efforts en termes de développement, afin de répondre au mieux aux besoins de ce marché.

Avec les mémoires NAND, nous sommes dans un marché totalement différent. Ces mémoires servent en effet au stockage de données, et pourraient à terme remplacer les disques durs. Nous avons également réalisé une joint-venture pour ce marché, avec Micron Technology, car nous estimons que ce marché devrait un jour ou l’autre exploser, dès le moment où nous serons en mesure de fournir des produits répondant bien aux besoins des différents marchés impliquant ce type de mémoires.

En résumé, et nous l’avons clairement annoncé, l’activité mémoire NAND reste chez Intel, tandis que la mémoire NOR est «à l’extérieur» d’Intel. Ceci étant, il est évident que la tendance sur les prix des mémoires NAND sur le long terme devrait continuer d’aller dans la même direction. L’important pour notre groupe est de mettre en place la meilleure structure d’entreprise pour répondre à ces marchés.

Au chapitre des acquisitions, votre groupe compte-t-il réaliser de la croissance externe ? Quelles sont vos axes stratégiques prioritaires à moyen/long terme ?
Pas de commentaire spécifiques sur le futur. Par contre nous avons récemment investi ou rachetées des sociétés liées de prêt ou de loin au «visual computing» ou autrement dit – la capacité de pouvoir interagir avec un environnement graphique réel.

Que pensez-vous de l’évolution du cours d’Intel ?
Il y a principalement deux choses qui vont tirer vers le haut notre cours de bourse :
- la première, c’est notre capacité d’accroitre notre revenu… Or pour faire de la croissance, nous disposons de toute une ligne de produits qui vont sortir cette année et vont nous permettre de nous adresser à de nouveaux types d’utilisateurs. Nous devrions donc être à même de sortir dès 2009 des produits grand public (décodeur, téléviseur, etc.) qui permettent de se connecter à Internet.
- enfin, nous allons continuer de faire croitre la marge plus rapidement que les revenus. Notre objectif en 2008 étant d’atteindre 57 points de marge brute.

L'UFC-Que Choisir a annoncé avoir saisi un juge américain dans le cadre de l'enquête menée contre Intel pour abus de position dominante, afin d'avoir accès à des pièces du dossier utiles pour estimer le préjudice des consommateurs en Europe. Peut-on en savoir un peu plus ?
Nous avons reçu une demande de la part de UFC-Que choisir que nous sommes en train d’étudier.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy