Interview de Philippe Muffat : Coprésident et directeur financier de Vision IT

Philippe Muffat

Coprésident et directeur financier de Vision IT

Le secteur bancaire est en croissance chez nous

Publié le 05 Mai 2009

Vision IT affiche une septième année de croissance ininterrompue. Je pense notamment à une augmentation de 14,5% du chiffre d’affaires consolidé et une hausse de 19% du revenu part du groupe. Quels ont été les moteurs de la croissance ?
Nous avons un positionnement qui est à l’opposé de l’approche en termes de taille critique. Nous avons toujours dit que pour intéresser les clients, il faut leur apporter une valeur ajoutée, un retour sur investissement. Et donc nous avons préféré avoir un positionnement dans ce que nous avons appelé les compétences critiques.

Nous avons continué à développer cette stratégie à travers ce que nous avons appelé la «grid company», c’est-à-dire un réseau de sociétés intégrées dans un groupe où chacun poursuit sa propre recherche et développement et la met à disposition de tous le réseau, ce qui évite de dupliquer la R&D.

Cette approche a permis à Vision IT d’obtenir plus de 70 référencements que nous avons su maintenir et développer. Au début 2009, nous avons ouvert de nouveaux comptes, nous avons obtenu de nouveaux contrats cadres et de nouveaux référencements.

C’est grâce à cette dynamique globale assise sur plusieurs pays que Vision IT obtient un taux de croissance significativement au-dessus de celui du marché. Nous poursuivons d’ailleurs sur cette tendance cette année, année qui est pourtant difficile.

Nous avons annoncé plus de 15% de croissance sur le premier trimestre 2009, dont 3% de croissance interne. C’est certes faible en nominal, mais dans un marché qui est en régression, je ne crois pas qu’il y aura énormément d’entreprises de notre secteur qui seront en croissance ce trimestre.

Nous avons fait un tableau comparatif de création de valeur pour nos actionnaires et nous avons noté que notre société a toujours été depuis sa création l’une des entreprises qui a l’un des meilleurs couples croissance interne/rentabilité. En 2008, il n’y a que Sopra qui nous bat grâce à sa division progiciels. Des groupes comme Cap Gemini et GFI Informatique, qui ont basé leur stratégie sur la taille critique, sont bien derrière.

Par contre, votre résultat opérationnel recule de près de 5% au regard des comptes consolidés. Quelles en sont les raisons ?
2008 a été pour Vision IT une année charnière : nous avons fait beaucoup d’acquisitions, nous avons grandi, nous avons dégagé un chiffre d’affaires au-delà des 81 millions d’euros et notre objectif a été de préparer l’avenir. Nous avons donc décidé l’intégration d’un certain nombre de filiales.

Par exemple nous avions deux localisations en Belgique et nous avons regroupé tout le monde dans une troisième. En conséquence, nous avons eu des triples loyers pendant plus de six mois.

Nous avons également réorganisé les équipes fonctionnelles de ces entités. Il y a eu quelques départs, donc des coûts de départ qui sont très lourds en Belgique. Même chose en Espagne après l’acquisition de Drago et en Italie, sans restructuration pour ce pays.

Au total, pour tout le groupe, nous avons eu 1,5 million d’euros de frais de restructuration. Dans les comptes, «seul» 1 million apparaît parce que nous avons eu 500 000 euros d’éléments exceptionnels.

Ces restructurations qui ont été faites durant le second semestre 2008 nous permettent de réduire nos coûts de fonctionnement de 700 000 euros par an.

Techniquement, le résultat opérationnel est donc attendu à la hausse cette année ?
Il est effectivement attendu à la hausse et nous avons fait entendre que nous avions un maintien «++» des marges sur le premier trimestre 2009.

Je ne sais pas où va l’économie mondiale, mais sans nouveau cataclysme macroéconomique nous ne nous faisons pas de soucis pour 2009 sur la microéconomie de Vision IT. Outre ce que je viens de vous dire sur le premier trimestre, le deuxième trimestre est tout à fait dans les tendances de notre budget. Nous ne prévoyons pas non plus de problèmes pour le deuxième semestre. Nous n’avons que deux petites filiales qui représentent 6% de notre business qui ont des carnets de commandes un petit peu «soft».

Dans quel(le)s secteurs ? Zones géographiques ?
En Belgique néerlandophone notamment, dans une société qui travaille essentiellement avec des forfaits, et dans l’information.

37% de votre CA provient des banques et 16% de l’assurance, secteurs particulièrement touchés par la crise. Vision IT a donc une exposition au risque plutôt marquée…
Nous sommes dans le back office des banques, nous assurons le maintien en qualité opérationnelle de leurs outils professionnels stratégiques en termes informatiques. La BNP ou la Société Générale ne vont pas fermer leur salle de marchés entre midi et deux pour faire des économies de réseau. Ce serait même un peu le contraire aujourd’hui.

Le secteur bancaire a un petit peu baissé en pourcentage parce que nous avons acheté la société espagnole Drago, très présente dans l’énergie, la pharmacologie, la chimie, le pétrole, etc. Passé cet effet de dilution, le secteur bancaire est en croissance chez nous.

Mais n’avez-vous pas connu des reports dans la signature de certains contrats ?
Effectivement, chez tous les clients nous avons certains projets qui ne sont pas stratégiques qui sont un peu décalés dans le temps. On constate aussi que les périodes de décision après un appel d’offres sont plus longues qu'à l'accoutumée.

Vos dix premier clients représentent plus de 40% de votre chiffre d’affaires, le premier étant Société Générale avec 9%. Encore une fois, n’y a-t-il pas un risque important au regard de cette concentration de revenus ?
Non, parce que lorsque l’on parle du Crédit Agricole, ça va être Calyon, LCL, différentes caisses de la banque, etc.

En 2007, le plus gros donneur d’ordres représentait moins de 2% du chiffre d’affaires.

Après une seule acquisition en 2008, allez-vous activement reprendre votre politique d’acquisitions ? Des dossiers sont-ils à l’étude ? Dans quels pays ?
Nous allons poursuivre notre politique d’acquisitions. Vision IT fait des acquisitions depuis sa naissance. Avec mon associé, nous avons acheté plus de 140 sociétés dans notre vie, aussi les acquisitions pour nous c’est business as usual.

Le business model de Vision IT n’est pas remis en cause par la crise actuelle. Aujourd’hui, nous avons des projets dans des pays que nous considérons comme stratégiques pour suivre la demande de nos clients, comme l’Allemagne et la Hollande.

Nous voudrions, en parallèle, renforcer des pays, petits mais très rentables, comme la Suisse et l’Italie. En Suisse, nous avons une trentaine de personnes, ça serait bien d’en avoir le double en termes de crédibilité.

Quel financement pour ces acquisitions ?
L’année dernière, nous avons eu des doutes sur les perspectives d’évolution du marché, sans dire que nous avons vu venir la crise, donc nous avons renégocié tous nos financements entre mars et avril 2008.

Aujourd’hui, nous n’avons pas de problèmes de trésorerie. Nous avons 6 millions d’euros en caisse et encore 5,5 millions de lignes de crédit inutilisées.

Par contre, il est hors de question de faire des acquisitions en utilisant cette trésorerie de court terme. Aussi, nous avons de l’autocontrôle que nous voulons rendre liquide, que nous voulons financiariser.

Et n’est-ce pas plus difficile de faire des acquisitions du fait de la crise, le potentiel vendeur préférant attendre que le cours de son action remonte ?
Oui, bien sûr. Par contre, pour certains dossiers, nous y travaillons depuis longtemps, je pense notamment à un dossier allemand en négociation depuis quatre ans. Nous avons commencé à discuter avec les dirigeants de cette société quand les valorisations n’étaient pas élevées et ce dossier est donc toujours un dossier que nous pouvons réaliser.

En outre, 2008 a été l’année la plus difficile en termes d’acquisitions parce que les gens ne voulaient pas entendre parler de révision à la baisse des tendances de valorisation, alors que maintenant il y a une certaine acceptation.

Propos recueillis par Marjorie Encelot