Interview de Patrick Pligersdorffer : Patrick Pligersdorffer, PDG de Cyanide

Patrick Pligersdorffer

Patrick Pligersdorffer, PDG de Cyanide

Le problème en France, c’est qu’une entreprise qui dépend uniquement de sa main d’œuvre est très taxée

Publié le 24 Décembre 2009

Quel serait le modèle le plus viable économiquement pour un studio de jeux ?
Le plus viable pour un studio, c’est évidemment de pouvoir autofinancer sa production, ce qui permet de moins faire appel au financement des éditeurs et donc de récupérer davantage de marge. Cela permet également de conserver la propriété intellectuelle du produit développé.

A ce moment-là, le rôle de l’éditeur devient plutôt un rôle de distributeur et éventuellement de communication… Idéalement, il faudrait renforcer les fonds propres des studios de développement pour ensuite sortir le jeu de manière assez classique.

Il existe d’autres business model sortis récemment, mais à quelques exceptions près, cela ne marche pas trop…

De quoi s’agit-il ?
Typiquement, le «free to play» ; c’est-à-dire que le jeu est gratuit sur Internet et vous payez l’achat de petits suppléments ou caractéristiques additionnelles au jeu qui peuvent soit faire gagner du temps, soit améliorent la customisation du jeu…

Ce business model vient d’Asie, principalement de Corée. Dans l’idée cela marche plutôt bien, maintenant, étant donné qu’il y avait peu de barrières à l’entrée -les coûts de développement ne sont pas énormes…-, l’offre est devenue pléthorique, il est donc très dur de générer de gros revenus aujourd’hui sur ce type de jeux.

Comment décririez-vous la relation entre studios de développement et éditeurs ?
Qu’il s’agisse de la France ou de l’étranger, les choses sont à peu près les mêmes.

Pour beaucoup de studios, le principe consiste à répondre à des appels d’offre formulés par des éditeurs, généralement sur des licences d’éditeurs. Ensuite, les éditeurs financent le développement, c’est-à-dire dire qu’ils se mettent d’accord avec le studio sur un budget de développement. Il est ensuite exceptionnel qu’il y ait un intéressement aux ventes pour le studio…

Cela signifie que le studio doit faire sa marge sur le contrat signé au départ.

Dans l’autre modèle, c’est le studio de développement qui développe un prototype et essaye ensuite de le vendre à un éditeur. Dans ce cas-là, il y a un intéressement aux ventes pour le studio. Le fait est que, bien souvent, l’éditeur avance le fait qu’il finance le jeu pour obtenir des marges énormes… Il y en a même qui demande la propriété intellectuelle du jeu !

C’est une question de position de force. Autrement dit, celui qui a l’argent dispose du pouvoir. Il n’est pas rare que les éditeurs s’octroie le droit de stopper le développement d’un jeu quand bon leur semble par exemple… La relation entre éditeurs et studios de développement n’est donc pas très équitable parce que les studios ont besoin de l’argent des éditeurs pour produire leurs jeux.

La crise a-t-elle eu une influence sur cette relation ?
Il y a effectivement un changement perceptible actuellement, en raison de la perte de vitesse des ventes en magasin, ce qui donne un peu moins de poids aux éditeurs au niveau distribution. C’est important car l’autre élément fondamental expliquant la nécessité de passer par un éditeur est justement cet accès aux distributeurs comme la Fnac ou Virgin que les éditeurs apportent…

Cela étant, mettre un jeu à disposition sur Internet, tous les studios peuvent le faire, or c’est un marché en plein développement. Si les studios de développement étaient capables de financer leurs projets, ils pourraient probablement se passer des éditeurs, du moins en partie, surtout que les ventes en téléchargement commencent à permettre d’amortir des budgets de développement.

Vous avez évoqué une baisse des ventes de jeux en 2009 par rapport à 2008…
Nous ne disposons pas encore de chiffres finaux, mais il apparait effectivement que les ventes seront inférieures à 2008. Cela étant, 2008 a été une année exceptionnelle, il était donc difficile dès le départ de faire mieux en 2009.

Et puis la crise a eu un impact sur toute la population de consommateurs qui ne sont pas des «gamers» et qui ont donc tendance, en période difficile, à couper les dépenses qui ne sont pas vitales, contrairement au gamer qui continuera à jouer quoiqu’il advienne.

Ceci ne tient toutefois pas compte des ventes de jeux on-line, et qui ont bien explosé cette année. La logique voudrait d’ailleurs que l’on reparte sur un trend positif en 2010…

Avez-vous le sentiment que l’image du jeu vidéo en France a évolué ?
Je pense qu’il y a une rupture entre les gens qui ont grandi avec le jeu vidéo comme loisir, et ceux qui l’ont découvert ou subi par le biais de leurs enfants. Il me semble donc que les moins de 40 ans ont une autre image du jeu vidéo que les plus de 40 ans qui ne considèrent pas le jeu vidéo comme un loisir respectable.

En définitif, l’image globale du jeu vidéo s’améliore, mais il reste encore des personnes pour attaquer le jeu vidéo de manière agressive, et qui en font même pour certains, un fondement de leur carrière politique, ce qui me dérange un peu… Nous devons donc toujours faire beaucoup pour éduquer les gens et dé-diaboliser le jeu vidéo.

Et dans la création du jeu vidéo ?
On peut effectivement se permettre davantage de choses maintenant. Mais il faut aussi faire beaucoup plus attention dans la mesure où il s’agit d’un loisir qui s’adresse de plus en plus au grand public, nous sommes plus exposés. Il faut se souvenir qu’il y a encore 5 ans, sortir un jeu vidéo pour les plus de 18 ans posait déjà des problèmes aux éditeurs. Maintenant, si vous regardez les plus grosses sorties de Noël, vous constatez  que ce sont des jeux pour les plus de 18 ans, et cela ne pose aucun problème aux éditeurs !

Les coûts de production d’un jeu vidéo ont-ils également connu une évolution, notamment à la hausse ?
Effectivement, surtout sur certaines plateformes où les coûts de production pour certains jeux ont véritablement explosés. Il y a ainsi des jeux dont le prix de fabrication nécessite entre 30 et 50 millions de dollars, ce qui commence à faire vraiment beaucoup. Globalement d’ailleurs, la qualité de ces jeux pousse également les produits se trouvant plus bas dans le spectre à être plus chers pour se placer à un niveau raisonnable par rapport aux premiers.

Au total, le développement d’un jeu coûte effectivement de plus en plus cher, ce qui commence à mettre certains acteurs à la porte ou pas loin dans la mesure où tout le monde ne peut pas s’aligner sur des budgets de 5 à 10 millions d’euros.

Et en France…
En France, il y a très peu de studios qui ont cette capacité financière. Généralement, seuls les gros éditeurs peuvent se permettre ce genre de budget. Mis à part Ubisoft, il doit y avoir 4 à 5 studios au maximum, capable de le faire… Sachant qu’il doit y avoir près de 80 studios de développement dans l’Hexagone.

Quel devrait être selon vous le modèle de studio à développer en France ?
La situation en France est particulière, étant donné que la majorité des studios sont de petite taille. Je pense qu’il faudrait un ou deux studios meneurs, donc avec une taille suffisamment importante pour prouver, notamment aux gros éditeurs anglo-saxons, que nous sommes également capables en France de réaliser de grosses productions. Ensuite, c’est un peu le serpent qui se mord la queue, puisque certains éditeurs ne souhaitent pas signer de gros budgets avec des studios français à cause de leur petite taille.

Cela dit, on peut vivre relativement bien en étant une petite société d’une cinquantaine de personnes, mais il faut ajuster ses productions à la taille de ses équipes. Il n’est pas vital selon moi, que les studios grandissent, mais il serait bon qu’un ou deux studios puissent devenir des champions…

Quels sont les freins ?
Le problème en France, c’est qu’une entreprise qui dépend uniquement de sa main d’œuvre est très taxée. Autrement dit, plus on embauche de personnes, plus on est taxé et moins on est rentable, c’est donc plutôt contreproductif…

D’autant qu’il y un réel manque de flexibilité sur le marché de l’emploi dans le secteur du jeu vidéo en France : pendant une production, le besoin en personnel est très important, mais lorsque la production est terminée, nous devons pouvoir diminuer significativement le nombre d’employés. Il est déjà assez difficile de pouvoir alimenter en flux de projets une société de 300 personnes, c’est pourquoi il est pertinent de rester de taille relativement faible dans la mesure où cela permet de compenser, avec ayant un flux de projets assez permanent, en faisant passer les employés d’un projet à un autre.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy

francois