Interview de Patrick Pligersdorffer : PDG de Cyanide et président de l’association Capital Games

Patrick Pligersdorffer

PDG de Cyanide et président de l’association Capital Games

Crédit d’impôt jeux vidéo: la réponse négative du Sénat est une nouvelle claque à l’industrie du jeu vidéo en France

Publié le 02 Mars 2010

Le Sénat vient à nouveau de rejeter la demande des professionnels du jeu vidéo d’étendre les critères d’éligibilité du crédit d’impôt jeux vidéo (CIJV). Cet échec met à nouveau en avant la fracture qui existe entre nos politiques et un secteur pourtant dynamique et qui parle aux jeunes.

Il ne s’agit pourtant pas d’injecter des millions d’euros. L’impact sur les finances nationales aurait été minime (voir infinitésimal) mais aurait été une grosse bouffée d’air pour de nombreux studios et leurs employés. Il s’agissait d’abaisser le plancher des budgets éligibles de 150 000 à 100 000 euros et d’accepter les projets online qui nécessitent des investissements (et donc un budget variable) après leur mise en ligne. Ces demandes reflètent l’évolution du marché et la réalité du paysage vidéoludique français.

L’évolution du marché, car il serait dommageable de voir les français manquer l’explosion du jeu en ligne. Certains de nos acteurs sont pourtant bien placés pour être des leaders dans ce domaine mais le rejet du Sénat ne leur facilitera clairement pas la tâche dans un secteur où la concurrence fait déjà rage.

La réalité du développement de jeux vidéo en France, c’est un nombre important de petits studios (comparés à leur homologues anglo-saxons) travaillant souvent sur des petits budgets inférieurs à 150 000 euros. Ce que dit en substance le Sénat, c’est qu’on ne souhaite pas aider les «petits». Pour ces derniers, la situation est déjà tendue. Ils sont sur un segment du marché où pour être compétitif, les coûts de développement sont un atout majeur. Leur compétition bénéficie d’avantages fiscaux dans de nombreux autres pays et ses aides sont souvent bien plus faciles à obtenir que le crédit d’impôt jeu vidéo français et ses critères à la fois rigides et subjectifs.

La réponse négative du Sénat, malgré des soutiens appuyés, est une nouvelle claque à l’industrie du jeu  vidéo en France. Il est évident que la majorité de nos politiques ont une image négative de cette industrie, sans avoir jamais pris le temps de vraiment s’intéresser à la diversité des productions. Il s’agit d’une industrie dynamique, technologique et culturelle. Une industrie qui intéresse les jeunes à la fois en tant que produit mais aussi en tant que débouchés, en témoignent les demandes incessantes de stages d’observation de troisième que reçoivent les studios. La réponse du Sénat semble signifier que ce n’est pas une industrie qui intéresse la France.

Pourtant les demandes du secteur ne sont pas importantes. Le crédit d’impôts est significativement plus faible que ce que l’on peut voir dans plusieurs provinces canadiennes. Les formalités administratives sont beaucoup plus lourdes. Les critères d’éligibilité excluent un grand nombre de productions et la subjectivité de certains d’entre eux (notamment la narration et l’innovation) rend parfois incompréhensibles les décisions d’agrément préalable.

Il est intéressant de noter que si la plupart des blockbusters étrangers étaient soumis à ces critères, la grande majorité d’entre eux ne bénéficieraient pas de ce crédit d’impôts. Par conséquent, si le CIJV n’est pas là pour aider la France à être compétitive sur le marché des blockbusters (à une ou deux exceptions près) et qu’il n’est pas là pour aider les petits studios à faire leur place (refus de baisser le plancher et d’inclure les jeux online), à qui s’adresse-t-il réellement ?

C’est une aide indispensable à notre secteur qui peut avoir un impact majeur  en termes de compétitivité et de conservation d’emplois et de talents en France. Il mériterait juste d’être adapter aux réalités du marché.

nicolas