Interview de Vincent Durel :  Gérant actions françaises chez Fidelity Worldwide Investment

Vincent Durel

Gérant actions françaises chez Fidelity Worldwide Investment

Parmi nos principales convictions sur le marché des actions françaises aujourd'hui figurent TF1, Iliad, Orange, Bouygues, Alten, Capgemini, Legrand, Mersen et Imerys

Publié le 21 Avril 2015

Les actions françaises ont bondi de plus de 20% à l’issue du premier trimestre de l’année. A quelle suite des évènements vous attendez-vous ?
A mon sens, la visibilité est suffisamment bonne pour tabler sur une poursuite du rallye des actions françaises même si le rythme devrait être un peu moins soutenu.

Plusieurs moteurs paraissent allumés sur le front de la reprise économique. Nous pourrions aisément dépasser la prévision de croissance de 1% du gouvernement cette année.
Nous voyons la consommation qui représente 60% du PIB, rebondir de 1,5% après 0,6% en 2014, sous l’impulsion de quatre principaux effets : une inflation salariale au dessus de 1%, une légère augmentation des prix de certains produits de grande consommation, une diminution des prix des produits pétroliers, une moindre augmentation de la pression fiscale.

La faiblesse prononcée de l’euro ainsi que les dispositifs d’allégements fiscaux du gouvernement devrait permettre aux entreprises françaises de retrouver dans une large mesure de la compétitivité et de récupérer un peu des parts de marché qu’elles ont perdu ces dernières années à l’international. Pour rappel, du fait de l’absence d’une rigueur budgétaire efficace depuis les années 1980 ayant conduit à un alourdissement des charges sociales en parallèle, les parts de marché à l’exportation se sont réduites de 45% entre 1998 et 2014.

La hausse de 0,3% de l’investissement l’année dernière devrait prendre plus d’ampleur. Le regain de confiance des chefs d’entreprises face à une consolidation de la reprise et à un remplissage des carnets de commandes devrait entrainer une expansion de 0,8% en 2015 et de près de 1% en 2016. Le fort repli du cours du pétrole qui donne assurément de l’oxygène supplémentaire aux entreprises françaises en modérant leurs couts directs et indirects, et l’amoindrissement prononcé des taux de refinancement autorisant un endettement à peu cher devraient favoriser ce maillon qui a longtemps été faible dans l’équation de croissance de la France.

Sur le plan macroéconomique, d’aucuns craignent une intensification du rapport de force entre la France et la Commission européenne dans le cas où le gouvernement ne mettrait pas en œuvre suffisamment rapidement les réformes structurelles qui s’imposent. Qu’en pensez-vous ?
La Commission européenne a accordé plus de temps à la France pour résoudre son problème de déficit. On voit plus de rationalité dans l’analyse des déficits publics français par l’organe exécutif de l’Union européenne. Une certaine tolérance est perceptible à l’égard des déficits qui proviennent des dépenses qui servent à redonner de la productivité à l’économie. Ainsi, les 40 milliards de baisses de charges liés au CICE et au Pacte de responsabilité ne sont pas conçus comme étant de nouvelles dépenses publiques improductives comme la hausse du nombre ou de la rémunération des fonctionnaires.

Par ailleurs, le fléchissement des taux souverains français sous l’impulsion du QE de la BCE devrait autoriser une contraction supplémentaire du déficit à hauteur de 0,2% de PIB et faciliter ainsi un respect des engagements de la France dans les temps circonscrits.

Le chômage en France demeure problématique. Ne peut-on pas craindre qu’une accentuation du taux de chômage intensifie le risque d’entrée en déflation durable de l’Hexagone par le jeu de la dévaluation des salaires ?

Je ne pense pas qu’une déflation durable soit à craindre. La France devrait commencer à créer de l’emploi lorsque la croissance sera supérieure à 1,5%. Plus inquiétant est le taux d’épargne des ménages français.

Qu’en est-il de la menace d’une nouvelle envolée du cours du pétrole ?

Il est difficile de donner une prévision sur l’évolution du cours du baril. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte.
Pour l’instant l’offre reste excédentaire par rapport à la demande. Ceci étant est observée une baisse tendancielle du nombre de puits de forage aux Etats-Unis depuis janvier. Cela laisse présager une contraction de la production outre Atlantique, qui crée un momentum positif pour le prix du baril et explique la remontée du cours à plus de 60 dollars. D’un autre côté, des considérations techniques poussent à penser que la production américaine ne peut pas tourner au ralenti durablement. De nombreux champs de pétrole de schiste ont été exploités aux deux tiers. Dès que le prix du baril remontera à 70/80 dollars, nous pourrions de nouveau constater une montée de la production à raison de 300 000 barils par jour.
Qui plus est, de vives incertitudes demeurent, notamment liées à l’Iran. Jusque là le pays mettait sur le marché 4 millions de barils par jour. La levée des sanctions des pays occidentaux consécutivement à un accord trouvé sur le programme nucléaire iranien pourrait aboutir à une amplification de la production pétrolière iranienne et peser sur l’offre globale.
A présent, il est certain que si le prix du baril venait à s’élever considérablement dans un bref délai, cela pourrait perturber le marché des actions de la zone euro dans son ensemble. Toute la politique d’assouplissement quantitatif de la BCE intègre un prix du pétrole déprimé. Si celui-ci rebondit rapidement, cela mettra à mal la volonté de la BCE de vouloir stimuler l’inflation.

De quelle manière appréhendez-vous la suite de la résolution du dossier grec ?

A priori le pragmatisme devrait l’emporter même si le dossier est difficile à gérer. Il y a un front uni des institutions publiques et des Etats membres par rapport à la Grèce. L’économie grecque va très mal depuis le début de l’année. 50 milliards d’euros sont sortis depuis janvier, soit 20% du PIB ce qui est colossal. La confiance s’est effondrée dans le pays. Néanmoins beaucoup d’efforts ont été fournis par l’ensemble des parties prenantes qui laissent supposer qu’une marche arrière parait compliquée.

Que répondez-vous à ceux qui avancent que l’Italie se trouverait dans une meilleure configuration que la France pour connaitre une poursuite du rebond de son marché actions ?
Je n’opposerais pas la France et l’Italie. L’ensemble des risques sus mentionnés concernent aussi bien la France que l’Italie. Cette dernière a certes un déficit structurel moins élevé que la France mais elle a aussi une dette plus significative. La France est mieux positionnée que l’Italie sur un certain nombre d’indicateurs comme la productivité ou le salaire horaire. L’élément majeur manquant dans l’Hexagone est la confiance. Il peut prendre plus de temps pour restaurer la confiance en France qu’en Italie.

Quels commentaires vous inspire la valorisation du marché des actions françaises ?

Le marché des actions françaises est en ligne avec le marché des actions de la zone euro. Les valorisations ne sont pas exubérantes. Cependant il est nécessaire que la reprise se confirme et se traduise dans les résultats des sociétés.
Entre 2011 et 2013, les deux marchés actions se sont caractérisés par un mouvement haussier alors que les estimations de bénéfices étaient révisées négativement. Pour la première fois en 2014, la croissance des marchés actions a été plus en ligne avec les prévisions des bénéfices.
Début 2015, une hausse plus notable des bénéfices a été anticipée, de 5% pour 2015 et de 13% pour 2016. Depuis, une révision haussière des bénéfices a été opérée notamment pour les entreprises fortement exposées au taux de change et abondamment consommatrices de matières premières. Nous n’avons pas encore vu de révision liée à la croissance économique et à une amplification du volume d’activité.

Pourrait-on avoir une expansion additionnelle des multiples ?
Envisager ce qui pourrait se passer du coté de l’expansion des multiples est compliqué.
Nous sommes entrés dans une zone inexplorée jusque là. La France n’a jamais eu un taux nominal de financement négatif jusqu’à une maturité de 5 ans.
Avec un cout de financement négatif, les valorisations pourraient s’avérer bien plus agressives. Le taux à dix ans de la France correspond à un PE de 200.
Nous pouvons légitimement penser qu’à un certain moment la mécanique de fléchissement des taux s’arrêtera.

Au-delà des taux bas, cette expansion des multiples ne pourrait-elle être nourrie par la multiplication des opérations capitalistiques ?

En effet. Ces opérations entrent dans une logique de bonne gestion financière. Conserver une liquidité abondante aujourd’hui coute beaucoup aux entreprises. A l’inverse, s’endetter coute peu. La croissance organique étant limitée, il y a une recherche de croissance externe. Les synergies peuvent s’avérer importantes.

Sur quelles thématiques d’investissement êtes vous positionnés ?
Nous plébiscitons les sociétés en mesure de tirer un plein avantage de la reprise de la croissance domestique. L’une d’entre elles est TF1. La société présente une belle élasticité entre la croissance du PIB et celle de ses revenus publicitaires. Un effet de levier significatif peut en découler. Les analystes attendent 1% de croissance des revenus publicitaires en 2015 et 2016, ce qui semble très peu.
Par ailleurs, TF1 a sur faire preuve d’une bonne gestion financière pendant les années de crise en coupant sa base de couts, en s’efforçant de passer dans les meilleures conditions possibles la période de fragmentation de son audience. La valorisation de l’action apparait, de plus, basse par rapport aux comparables boursiers européens.
Il existe une option gratuite sur la réglementation. Un décret a récemment été adopté sur les droits de production. TF1 finance 75 % de sa production de manière outsourcée. La compagnie ne bénéficie ainsi que de droits de diffusion pour la première et la deuxième diffusion. En outre, elle n’a pas de valeur d’actif sur la production. Le décret devrait lui permettre de bénéficier davantage des droits de production.

Au-delà de cette première thématique, nous continuons à miser sur une consolidation du secteur des télécoms en France. Nous détenons en portefeuille Iliad, Orange, et Bouygues.

Dans le compartiment des valeurs industrielles, nous aimons les sociétés de services comme Alten ou Capgemini qui peuvent aider à gagner en productivité.
Nous avons aussi un positionnement sur les valeurs qui ont su conserver leurs parts de marché malgré la crise, et qui ont été aptes à maitriser leurs couts en ligne avec la baisse du volume, et à garder une capacité de levier opérationnel en cas de reprise de l’activité, telles que Legrand, Mersen et Imerys.
Du fait d'un faible taux de capacité d’utilisation, ces sociétés sont en mesure d'accroitre rapidement leur marge à partir d'une hausse de leur volume d'activité grâce à une absorption immédiate de leurs couts fixes.

Propos recueillis par Imen Hazgui