Interview de Aiman Ezzat : Directeur adjoint de la stratégie chez Capgemini

Aiman Ezzat

Directeur adjoint de la stratégie chez Capgemini

Le taux de facturation sur l’offshore a augmenté de l'ordre de 7 à 10 % l’an dernier et cela a vocation à perdurer

Publié le 11 Juin 2007

Vous avez récemment acquis la société Kanbay. Cette acquisition s'inscrit dans un plan dénommé i3. En quoi consiste-t-il exactement ? Où en est son déploiement ?
Ce plan a été annoncé en septembre 2006 et est déployé depuis le début de l'année.
Il vise à améliorer nos performances en termes de compétitivité dans le but de mieux répondre aux besoins de nos clients et de faire face à l'environnement concurrentiel. Pour cela notre stratégie est axée sur trois points en priorité : l'industrialisation, l'innovation et l'intimacy.

L'industrialisation passe notamment par une augmentation de l'utilisation de l'offshore mais aussi par l'amélioration de la productivité et de la qualité à travers l'harmonisation de nos méthodes de travail, de nos processus et de nos outils.
L'innovation suppose l'accélération du déploiement des nouvelles technologies telles que  SOA ou Open Source... Elle a aussi vocation à nous aider à renforcer notre spécialisation sectorielle a travers le développement de domaines d'expertise répondant aux besoins des clients.
Enfin, le troisième axe de notre stratégie est l'intimacy. Cela sous-entend le renforcement de la gestion de la relation avec nos clients pour parvenir à des partenariats à long terme.

Quel est plus précisément l'objectif de l'acquisition de Kanbay ?
L'acquisition de Kanbay s'inscrit dans le cadre de la stratégie du groupe. L'Inde constitue un des principaux piliers de notre stratégie d'industrialisation. Cette opération répond concrètement à trois besoins capitaux. Tout d'abord, renforcer notre présence en Inde. Kanbay nous a permis pratiquement de doubler nos effectifs. Aujourd'hui nous avons près de 14 000 employés en Inde.
Par ailleurs cela nous a permis de renforcer notre présence dans le secteur des services financiers. Enfin, l'acquisition de Kanbay a pour vocation de renforcer nos activités aux États-Unis. Apres les pertes les restructurations dans ce pays, nous sommes prêts aujourd'hui à poursuivre notre développement sur le marché Américain.

Avez-vous rencontré des obstacles spécifiques dans le cadre de cette acquisition ?
L'acquisition de sociétés indiennes ou de sociétés basées en Inde sont, en règle générale, des opérations compliquées.
Il y a une différence à faire entre l'aspect réglementaire de l'acquisition et l'environnement culturel du business indien dans lequel s'est inscrite l'opération. Kanbay est une société américaine, nous n'avons pas rencontré de difficultés réglementaires spécifiques.  
En revanche, les négociations en vue de trouver un terrain d'entente stratégique et managérial ont nécessité beaucoup de temps.

Quel est selon vous le talon d'Achille des SSII indiennes ?
Ces sociétés ont un gros avantage concurrentiel en termes de modèle économique. 
Leur point faible réside dans  leur succès. Leur valorisation est très élevée du fait de leur taux de croissance et de leur profitabilité. De ce fait, ces sociétés ne peuvent pas faire de grosses acquisitions, sinon cela porterait préjudice à leur profitabilité, à leur taux de croissance et donc à leur valorisation.

Par ailleurs, elles font très attention à ne pas augmenter leur structure de coûts, ce qui les oblige à ne pas acquérir d'autres sociétés de taille importante et qui auraient des modèles économiques différents. Cela risquerait de saturer leur valorisation.

Ensuite,  la plupart des employés de ces sociétés sont soit indiens soient d'origine indienne. Une de leur force réside donc dans l'homogénéité culturelle. A contrario, ces sociétés, qui ont 45 000 à 50 000 salariés auraient du mal à intégrer ne serait-ce qu'une société de 5000 employés américains ou européens.

Enfin, ces sociétés doivent faire face à la forte demande qui existe sur le marché indien, et sont dès lors confrontée à des risques d'augmentation de salaires et d'insuffisance du personnel expérimenté.

Quels sont les risques sous-jacents à  la valorisation de ces sociétés indiennes ?
Je laisse les analystes apprécier le niveau de valorisation de ces sociétés. Néanmoins, il n'est pas envisageable que celles-ci maintiennent encore longtemps les taux de croissance et de profitabilité qu'elles ont aujourd'hui. À un moment donné, elles devront faire face à un certain ralentissement. Leurs propres problèmes de croissance finiront par les rattraper

Peut-on parler de bulle spéculative s'agissant de l'industrie informatique indienne ?
Nous ne pouvons pas parler de spéculation. L'attractivité de l'Inde aujourd'hui n'est pas seulement liée à une question de coûts. Certaines études réalisées sur le marché américain pour de grandes entreprises de plus d'un milliard de dollars démontrent que la première raison invoquée réside dans l'expertise. En effet, les grandes sociétés américaines ont du mal à trouver des gens compétents en nombre suffisant sur le marché domestique. Et c'est en Inde que le potentiel humain existe de ce point de vue. Cela est également vrai dans certains pays d'Europe.

Comment le groupe gère-t-il les problèmes de turnover et de hausse de salaires qui existent dans le pays?
Les écarts entre l'Inde et les pays occidentaux sont tellement importants que nous pouvons avoir des années de hausse de salaires avant que cet écart se réduise réellement.
Par ailleurs, raisonner uniquement en termes de salaires n'a pas de sens. D'une part, une structure de coût ne peut se résumer à des salaires. Il faut également prendre en compte les coûts d'infrastructure, d'informatique, de télécoms… Ces derniers sont en baisse et permettent ainsi de compenser en partie les hausses de salaires.
De plus, les économies d'échelle possibles au fur et à mesure du renforcement de la présence en Inde tendent également à amoindrir les inconvénients liés à la hausse des salaires.
Enfin, l'élargissement de la pyramide permet d'équilibrer la balance.

Ces hausses de salaires ont-elles des conséquences sur le taux de facturation de l'offshore ? 
Les coûts engendrés d'une part par la hausse des salaires, mais également par l'appréciation de la roupie sont clairement répercutés sur le taux de facturation aux clients. L'an dernier, l'augmentation de ce taux était de l'ordre de 7 à 10 %  et cela à vocation à perdurer.

Mais cette augmentation est à relativiser. En effet, actuellement le taux de facturation sur l'offshore est en moyenne de l'ordre de 25 $. Cela varie en fonction du type d'activité et des sociétés. Mais même si vous doublez ce taux, celui-ci atteindrait alors les 50 $, ce qui reste bon marché par rapport aux pays occidentaux.

De ce fait, pour que les coûts de facturation en Inde soient les mêmes que ceux des pays occidentaux, il faudra attendre plusieurs années. Certaines analystes parlent de 2020-2025.

Vous envisagez la construction d'une nouvelle université. Quel est l'objectif de ce projet ?
Nous avons déjà des parcs technologiques dans le pays, entre autre une capacité universitaire à Pune qui accueille environ 1000 personnes. Nous envisageons la construction d'un autre parc mais n'avons pas encore déterminé l'endroit. Un certain nombre de sites sont envisagés.
La problématique est simple : quand vous avez des taux de croissance de 30 à 40 % par an sur une base de 14 000 personnes, vous êtes obligé d'embaucher beaucoup de gens. Nous prévoyons d'atteindre  40 000 personnes en Inde à horizon 2010, nous envisageons donc des embauches de plus de 10000 personnes par an. Il faut alors avoir une capacité de formation correspondante.
Sans oublier la formation de ceux qui sont déjà en poste à l'heure actuelle.

Où en sont vos plans d'acquisition ?
Nous ne faisons pas de commentaire sur le sujet pour différentes raisons. Mais ce que nous pouvons dire c'est que nous continuons à étudier des cibles potentielles en Inde, de petites sociétés pour compléter nos domaines d'expertises. Des discussions sont en cours mais dans ce domaine les transactions peuvent prendre plusieurs mois, voire des années.

Privilégiez-vous certaines zones géographiques ?
Nous préférerions nous développer dans les zones où nous sommes déjà présents. Mais à l'heure actuelle ce n'est pas le critère dominant. Nous nous concentrons davantage sur nos besoins et nos compléments stratégiques.

Sur quels domaines d'activité envisagez-vous de mettre l'accent ?
Nous continuons à nous renforcer dans l'ensemble des domaines mais nous concentrons notre attention plus particulièrement sur le BPO. Ce dernier segment fait partie de la stratégie du groupe. Nous nous sommes fixés des objectifs en termes de croissance organique et d'acquisitions potentielles pour renforcer nos activités dans ce domaine.

Propos recueillis par I.H.