Interview de Philippe Geyres : Directeur général délégué d’Oberthur Card Systems

Philippe Geyres

Directeur général délégué d’Oberthur Card Systems

la croissance externe est quelque chose que nous regardons activement et systématiquement

Publié le 08 Janvier 2008

Oberthur Card Systems a réalisé au 1er semestre une croissance de son chiffre d’affaires de 9,8%, de 17,4% au second trimestre et de 19,2% au troisième. Au total sur 9 mois, cela représente une progression de 15,5% par rapport à 2006, à 426,3 millions d’euros. Quel commentaire vous inspirent ces résultats ?
Ces résultats reflètent d’une part, un marché de la carte qui a été plutôt bon en 2007, après une érosion très forte des prix en 2006 qui s’est un peu calmée en 2007, et ces résultats reflètent aussi un rebond attendu du bancaire -il y a des cycles dans le bancaire en Europe dans le renouvellement des cartes et nous savions que 2006 serait difficile, mais que 2007 serait meilleure-, et puis ça reflète aussi des gains de parts de marché : en 2007, nous avons acquis des parts de marché en particulier dans le mobile ; nous ne disposons pas encore de statistiques, ni des résultats de cette année, mais sur les neuf premiers mois, nous avons effectivement gagné des parts de marché.

Au total, nous avons annoncé que nous aurions toujours au second semestre de cette année une croissance à deux chiffres par rapport au deuxième semestre de l’an dernier.

A quoi attribuez-vous cette croissance ? Quels en ont été les moteurs ?
Au niveau des moteurs de croissance de l’industrie, pour ce qui concerne le segment bancaire, nous pouvons en identifier deux. D’une part, nous diffusons dans de nouveaux pays la carte à puce bancaire (carte EMV), que l’on connaît depuis longtemps déjà en Europe, et notamment en France et en Angleterre. Sa diffusion est encore loin d’être terminée en Europe : nous sommes en cours de conversion en Italie, en Espagne ça démarre à peine… Et puis, il y a encore le reste du monde.

Il y a, d’autre part, un second phénomène qui correspond à l’arrivée du «sans contact». Il s’agit de cartes qui peuvent fonctionner à distance d’un lecteur et qui devraient faire un bond de croissance en Amérique du Nord et en Asie, où beaucoup de pays déploient des cartes de ce type. En France, nous sommes habitués à la carte à puce bancaire, mais, si on regarde le reste du monde, cette situation demeure exceptionnelle.

Ceci étant, le mouvement est certes relativement lent, mais continu, ce qui en fait un levier de croissance pour plusieurs années encore.

Dans le segment téléphonie, la croissance est essentiellement due à l’augmentation du nombre d’abonnés au téléphone dans les pays émergents. Dans les pays développés, le marché est à peu près parvenu à saturation aujourd’hui, mais il reste encore les pays émergents.

Cela dit, dans les pays développés, la carte SIM du téléphone évolue et se modifie. Ainsi, l’arrivée de la télévision sur les mobiles exige des niveaux de sécurité plus importants pour l’accès conditionnel, puis nous aurons à terme des téléphones qui permettront aussi de payer sans contact, donc il y aura des fonctions de paiement dans ces téléphones qui vont demander de nouveaux niveaux de sécurité pour la carte SIM… Mais il s’agit là de leviers de croissance qui nécessiteront du temps pour se mettre en place et porter leurs fruits.

Enfin, la plus forte croissance en pourcentage se retrouve dans le secteur de l’identité (passeport électronique, carte d’identité à puce, permis de conduire, carte de santé…) C’est un marché qui représente peut-être une dizaine de pourcents du marché total, mais c’est aussi lui qui enregistre le plus fort taux de croissance en pourcentage. 

Oberthur Card Systems a annoncé récemment son intention de regrouper ses activités avec celles de François-Charles Oberthur Fiduciaire (FCOF). Pourquoi vouloir réaliser cette opération ? Quelles synergies en attendez-vous, en termes financiers et d’activité ?
Il y a deux grandes raisons à ce regroupement. La première est industrielle : il s’agit de rapprocher des métiers qui étaient avant dans Oberthur Card Systems ou FCOF, mais ayant des synergies entre eux.

D’abord dans le segment de l’identité. FCOF y est un fournisseur de documents d’identité (passeport, carte d’identité, etc.) d’impression sécurisée, pas forcément électronique d’ailleurs et Oberthur Card Systems est un fournisseur de passeports électroniques et de cartes d’identité à puce. 

Nous avons donc réuni ces activités, en mettant ensemble les réseaux commerciaux -nous pouvons ainsi employer les positions d’une ligne de produits pour en vendre d’autres…-, ce qui est d’autant plus intéressant que FCOF, dans les passeports et autres documents d’identité traditionnels, est présent dans une quarantaine de pays qui vont passer aux passeports et aux cartes d’identité électroniques.

La seconde synergie industrielle, on la trouve dans le segment de la téléphonie. Oberthur Card Systems fournit en effet les cartes SIM, tandis que FCOF produit les cartes grattables de rechargement pour les téléphones prépayés. De fait, en réunissant ces produits, nous élargissons le catalogue qu’Oberthur Card Systems a à offrir aux opérateurs de téléphonie.

Et puis, il y a une troisième synergie industrielle qui concerne la protection des valeurs : il s’agit des activités de protection du cash pendant son transport ou dans les distributeurs automatiques, anciennement réalisées par Axytrans qui fut renommée, depuis, Oberthur Cash Protection. Ici, la synergie est essentiellement constituée par les 6 000 portes qu’Oberthur Card Systems peut ouvrir, puisque nous fournissons des cartes bancaires à 6 000 banques ou institutions financières dans le monde. Ce sont autant de clients potentiels pour ces solutions de transports de fonds.

La seconde raison à ce rapprochement est avant tout une raison financière : nous souhaitions avoir une société plus grosse, plus profitable et avec davantage de moyens pour financer sa croissance.

L’apport des activités de FCOF à Oberthur Card Systems se traduit par 25% d’augmentation du chiffre d’affaires, et 50% d’augmentation de l’excédent brut d’exploitation ce qui implique donc une capacité bien supérieure d’autofinancement et d’endettement.

Par ailleurs, l’actionnaire de référence, la famille Savare, qui possédait 60% environ d’Oberthur Cards Systems, se retrouve à la suite de cette opération, en possession de près de 70% du nouvel ensemble, ce qui offre de plus grandes possibilités de dilution s’il y a des acquisitions à faire en titres, tout en conservant le contrôle de la société par la famille Savare.  

En résumé, la raison de ce rapprochement, c’est la croissance de nos activités : industriellement, nous sommes mieux armés grâce à toutes les synergies que nous allons dégager, et financièrement, nous disposons des moyens de nos ambitions de croissance.

Le nouveau groupe sera-t-il mieux armé face à la concurrence d’un Gemalto ?
Dans le domaine des cartes, Gemalto est effectivement le numéro un, et nous sommes second ex aequo avec l’allemand Giesecke & Devrient. Or cette opération de regroupement devrait nous fournir les moyens pour éventuellement financer des acquisitions ou notre croissance interne.

Cette année, nous avons eu un taux de croissance à deux chiffres, ce qui n’est pas du tout le cas de Gemalto. Nous avons obtenu un différentiel de croissance important face à nos concurrents que nous comptons bien conserver.

Selon certains analystes, la fusion entre Oberthur Card Systems et Francois-Charles Oberthur Fiduciaire serait à la fois moins stratégique et plus chère que prévue. Partagez-vous ces conclusions ? Pourquoi ?
Je ne comprends pas ce que signifie «plus chère que prévu». Il y a eu une valorisation des activités apportées, avec des commissaires aux apports qui ont validé tout cela ; il y a eu un expert qui a attesté de l’équité de cette valorisation… Je pense donc que les activités apportées ont été valorisées à leur juste prix.

D’ailleurs, à titre de rappel, il faut souligner que ces activités apportent pour ¼ du chiffre d’affaires supplémentaire, 50% d’Ebitda, ce sont donc des activités profitables, certes, cycliques mais qui ont des cycles différents et moins marqués que ceux de la carte, et puis ce sont des activités sur un marché en croissance puisque le marché d’impression sécurisée (billets de banques, etc.) est un marché en progression, de 5 à 10% par an, et l’activité de protection des valeurs est encore une activité de start-up : nous faisons notre chiffre d’affaires en France et en Belgique, et nous sommes leader mondial, mais avec deux pays seulement, donc l’opportunité consiste à déployer ces solutions dans tous les pays du monde.

Cette fusion n’implique-t-elle pas un risque en termes de gouvernance d'entreprise et de gestion ?
Nous avons expliqué comment nous allions fonctionner, c’est-à-dire dans la continuité du fonctionnement passé : la société Oberthur Technologies va garder deux grandes activités opérationnellement distinctes avec d’une part, l’activité carte qui continue d’être managée par la même équipe, dont moi-même à la tête, et d’autre part, l’activité fiduciaire et protection des valeurs, qui, comme aujourd’hui, est dirigée opérationnellement par Thomas Savare.

Le management demeure donc dans la continuité du management actuel, avec bien entendu une direction à travers un secrétariat général commun pour l’ensemble des activités opérationnelles.

Quels sont vos objectifs en termes de marges et de résultats, pour l’exercice prochain ?
Nous ne donnons pas d’objectifs, ni de chiffre d’affaires ni de marges ni de résultats. Toutefois, pour cette année, nous avons déclaré, au moment de la présentation du chiffre d’affaires du troisième trimestre, que nous aurions une croissance à deux chiffres au second semestre par rapport à la même période un an avant, et que nous continuons d’accroitre notre marge brut et notre résultat, avec un deuxième semestre 2007 supérieur au premier semestre 2007 et meilleur que le second semestre 2006.

Nous poursuivons donc notre amélioration. Nous pensons, par ailleurs, que dans l’industrie de la carte -et c’est un objectif que l’on partage avec nos concurrents-, atteindre 10% d’Ebit par rapport aux ventes est un bon objectif. Nous continuons d’ailleurs à nous en rapprocher.

Pourriez-vous nous fournir quelques détails concernant les acquisitions potentielles qu’Oberthur vise ? Avez-vous des zones géographiques ou des activités privilégiées ?
Nous souhaitons croître et nous en avons besoin dans la mesure où l’écart de taille entre Gemalto et nous est encore grand, même s’il s’est bien resserré.

La complémentarité géographique est un critère, celle des portefeuilles produits peut en être un autre, selon les forces et faiblesses de nos lignes de produits. Ceci étant, toute opération d’acquisition doit être financièrement justifiée : elle doit apporter de la valeur aux actionnaires, donc être relutive quand est passée la phase d’acquisition.

Géographiquement, nous regardons en priorité les pays où nous ne sommes pas ou peu présents, et dotés d’un fort potentiel de croissance.

Pour résumer, la croissance externe est quelque chose que nous regardons activement et systématiquement.

Oberthur Card Systems a bien réussi en Europe, notamment en France et en Italie. Au Moyen-Orient, la société a confirmé sa progression particulièrement en Afrique du Nord et dans les pays du Golfe. Pourriez-vous nous en dire plus sur l’activité de votre groupe à l’international ?
C’est une de nos grandes stratégies de croissance. Nous avons eu la chance d’être assis sur un marché français puis européen qui nous a permis de développer la carte à puce. Maintenant, il y a une forte croissance à l’international, en particulier hors d’Europe, or nous avons démarré un déploiement à l’international de nos forces marketing il y a plusieurs années, et nous continuons.

Nous avons une couverture marketing mondiale. Nous continuons de développer notre présence, en particulier pour le bancaire avec des bureaux de personnalisation bancaire partout dans le monde : nous en avons ouvert cinq cette année, essentiellement dans la moitié sud du globe, parce que nous nous positionnons dans les pays émergents et à forte croissance. Nous avons d’ailleurs ouvert des bureaux de personnalisation bancaire en Indonésie, au Brésil, en Australie…

Le déploiement à l’international reste donc une priorité et une grande stratégie pour notre croissance. Nous avons évoqué plus tôt la croissance externe, les acquisitions possibles, mais dans notre plan à moyen terme, l’essentiel de la croissance est une croissance interne, avec des programmes de R&D pour enrichir le catalogue produits, des programmes de marketing pour être présents dans tous les pays du monde, et une infrastructure industrielle pour suivre cette croissance.

On ne s’interdit pas de regarder des acquisitions pour accélérer cette croissance, mais l’essentiel de cette croissance, telle qu’elle se trouve qualifiée, est une croissance interne. 

Un commentaire sur l’évolution de votre titre ?
Je m’en garderai bien, l’évolution du cours de bourse suit parfois des logiques impénétrables… Plus sérieusement, si on regarde l’activité carte, vous observerez que nous en avons fortement redressé les résultats cette année comme nous l’avons montré au premier semestre, nous avons également renoué avec une forte croissance, si bien que les fondamentaux de cette activité se sont nettement améliorés.

Par ailleurs, à cette activité carte, nous amenons les activités d’impression fiduciaire et de protection des valeurs qui sont d’une part, très profitables, et d’autre part, positionnées sur des marchés en croissance eux aussi. Je suis donc confiant dans la poursuite de l’amélioration des fondamentaux économiques de l’entreprise, mais ensuite, savoir quand et comment cela se traduira sur le cours de bourse, je ne peux le dire.
  
Le mot de la fin pour vos actionnaires…
Oberthur Technologies est une société qui a retrouvé une meilleure rentabilité, et qui est désormais mieux armée avec un portefeuille d’activités plus large et des moyens financiers plus conséquents.

Nous avions une ambition, dans le périmètre uniquement carte avant que l’on fasse le rapprochement donnant naissance à Oberthur Technologies, qui était d’atteindre un milliard d’euros en 2009-2010. Nous avons toujours cet objectif, et nous confirmons qu’il s’agit d’un objectif interne sur lequel toutes nos équipes sont galvanisées.

Propos recueillis par Nicolas Sandanassamy