Interview de Igor  de Maack : Gérant actions chez DNCA Finance

Igor de Maack

Gérant actions chez DNCA Finance

La France, au coeur du rebond des actions de la zone euro en 2014 avec Manutan, Exel, Jacquet Metal, Implanet, Eos, MGI, Darty, Casino, Fnac, Lagardère, Nextradio, TF1, Vivendi

Publié le 07 Février 2014

Que vous inspire le marché français en ce début d’année 2014 ?
Le marché français nous parait très intéressant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est très délaissé et peu détenu par les investisseurs, notamment les investisseurs domestiques essentiellement pour des considérations politiques. De nombreux épargnants français par sanction du gouvernement en place ou par scepticisme exacerbé sur des mesures qui pourraient être critiquables se détournent du marché hexagonal qui est pourtant un des ouverts, des plus profonds, des plus liquides et des plus diversifiés (en secteurs et en taille de sociétés) en Europe.
En tant qu’investisseur contrariant nous sommes attirés par ces classes d’actifs où il y a peu d'intérêt.

En toute objectivité, les mesures annoncées par le gouvernement-le CICE, le PEA PME, le Pacte de responsabilité-sont de nature, dans un cycle de reprise économique mondiale, à améliorer la compétitivité et la profitabilité opérationnelle des entreprises françaises qui est relativement basse par rapport à celle des entreprises américaines, britanniques et allemandes et à assouplir leurs conditions de refinancement.
L’effet ne sera pas forcément immédiat et n’égalera certainement pas l’ampleur escomptée par le gouvernement, cependant il permettra d’empêcher une dégradation de la situation.
Ces mesures montrent, en outre, qu’il y a une prise de conscience de tous les pouvoirs dans le pays d’un manque d’efficacité de l’économie nationale tant dans sa sphère publique que privée, fruit d’une politique très dirigiste, discontinue, très électoraliste sans vision de long terme.

Il est à croire que cet état d’esprit qui consiste à mettre l’économie à sa juste place à savoir dans le nerf de la guerre demeurera au cours des prochaines mandatures.

Qu’est ce qui vous conduit à affirmer cela ?

Le manque de compétitivité de la France ne se voyait pas autant par le passé qu’aujourd’hui. Ces dernières années, beaucoup de pays d’Europe, notamment dans le sud, étaient en crise. Des efforts considérables ayant été effectués, ces mêmes pays présentent désormais une balance courante si ce n’est excédentaire au moins stable et une compétitivité du coût du travail améliorée. La France affiche un sérieux retard malgré de nombreux atouts (qualité des infrastructures, grandes entreprises internationales, main d'oeuvre qualifiée).

D’après vous la France se situe au cœur du rebond des actions de la zone euro ?
Si l’on considère la France sur le plan de la valorisation de son marché actions, elle est considérée comme un pays d’Europe du sud par les investisseurs, alors qu’elle est classée du côté des pays d’Europe du nord sur le front de son marché obligataire. Il y a donc une anomalie, une divergence.
Avant 2007-2008, le marché des actions françaises était un très bon indicateur de la bonne santé de la zone euro. Celui-ci avait tendance à surperformer le marché des actions allemandes.
Nous vivons actuellement une période similaire à 1982-1983 même si le virage à l’époque était plus drastique et plus radicale. Or, entre 1983 et 1986, les actions françaises ont triplé de valeur.
Pour toutes ces raisons, la dynamique pourrait s’avérer robuste d’autant plus qu’il n’y a presque plus rien à récupérer du côté des taux d'intérêt.

Le consensus table sur une amélioration des bénéfices de 15% pour les larges capitalisations et de 36% pour les petites et moyennes valeurs. Qu’en pensez-vous ?
Ces prévisions sont à mon avis cohérentes. Sur les 15%, 3% à 4% devraient provenir du secteur bancaire qui a beaucoup provisionné et qui techniquement bénéficiera d'un effet de base favorable. La progression des profits de 10% à 12% pour les entreprises non financières me semble plausible. Le début des résultats de l’année 2013 est plutôt de bonne facture, avec Alcatel, Vinci, LVMH, ArcelorMittal, Aperam.
Les petites et moyennes entreprises sont plus exposées au cycle. Il est alors normal qu’elles fassent l’objet de projections de bénéfices plus significatives. Ceci étant, les 30% comprennent une composante « retournement » très importante. En d’autres termes des rebonds substantiels de profits devraient être observés dans des secteurs qui n’en dégageaient pratiquement pas comme l’intérim ou l'industrie. Il est à noter que l’exposition plus domestique de ces sociétés les protège contre les troubles venant de l’extérieur, notamment des pays émergents.

Qu’attendez-vous du coté des opérations capitalistiques ?
Nous escomptons un redémarrage des opérations d’introduction en bourse. En 2013, nous avons eu 1,1 milliards d’IPO sur le marché des small et mid caps, contre 260 millions d’euros en 2012.
De multiples opérations sont déjà dans les tuyaux : SFR, Elior, GTT, et certaines biotechs.
Le marché offre des niveaux de valorisations plus intéressants. L’optimisme s’accentue sur la trajectoire économique. La désintermédiation gagne plus de terrain. Les entreprises se sentent les reins suffisamment solides pour faire plus appel au marché qu’auparavant afin de financer leurs projets, l’épargne disponible française étant abondante (de plus de 15%).

Les opérations de fusion-acquisition pourraient s’intensifier en raison du faible niveau des taux. Les entreprises saines, bien gérées qui ont des idées de croissance, seront tentées de lever des capitaux à moindre frais sur le marché de la dette pour acquérir des sociétés ailleurs, notamment dans le monde émergent, là où les niveaux de valorisation souffrent.

Les rachats d’actions ne sont pas des opérations habituellement privilégiées par les entreprises françaises. L’appétit des investisseurs est surtout assouvi avec le versement des dividendes confortables.

D’aucuns estiment que la hausse de la volatilité pourrait remettre en cause l’entrain de ces opérations capitalistiques ?
Si l’on considère l'indice de volatilité Vix, la volatilité est passée de 12 à 20. On peut penser qu’elle se normalisera autour de 15-16. Cette volatilité n’empêchera pas les bonnes sociétés, qui proposent un bon prix, de procéder à leurs opérations. La liquidité disponible est considérable et l’appétit dans l’investissement pour les actifs risqués reste intact dans un contexte de croissance mondiale d'environ 3%.

Qu’en est-il de votre allocation d’actifs ?

Nous aimons bien les dossiers industriels en restructuration susceptibles de jouir notablement de la reprise comme Manutan (distributeur d’équipements et de fournitures pour les entreprises), Exel (pulvérisations agricoles et industrielles), Jacquet Metal (distributeurs d’aciers spéciaux).

Nous apprécions aussi les dossiers plus optionnels de capital risque avec des sociétés qui ont vraies technologies dans le biomédical, la chirurgie comme Implanet (nouvelles attaches pour redresser la colonne vertébrale), Eos (imagerie médicale), MGI, groupe Gorgé dans l'industrie 3D.

Nous misons également sur des dossiers de valeurs décotées dans des secteurs phares comme celui des télécoms qui devrait connaitre une nouvelle vague de consolidation, celui de la distribution spécialisée (avec Darty, Fnac où les management aux commandes luttent contre une concurrence qui est en train de s’atténuer) et celui de la distribution alimentaire (avec Casino qui est bien implanté au Brésil, en Colombie, au Vietnam). Ces trois secteurs devraient bénéficier du regain de la consommation en Europe.

Nous avons enfin un certain engouement pour les médias (Lagardère, Nextradio, TF1). Le paysage audiovisuel français est très éclaté et à la veille de changements réglementaires lourds de conséquences destinés à favoriser le financement artistique. Les valorisations sont basses par rapport à ce que l’on voit aux Etats-Unis comme le montre l’opération Discovery/Eurosport.

Quelles sociétés du secteur des télécoms affectionnez-vous ?
En premier lieu, Vivendi qui devrait être porté par les opérations de ses deux filiales SFR et GVT. Ensuite Bouygues et enfin Orange qui possède le plus grand réseau avec la meilleure qualité.
Nous pensons que la valorisation de ces sociétés se trouve dans le cœur du métier : la maitrise du réseau et celle de l’investissement en nouvelles technologies (fibre optique, 4G).

Quels risques vous semblent indispensables à appréhender cette année ?
Nous avons déjà eu deux bonnes années de performance peu discriminantes, donc attention à la sélection de valeurs.
Il ne faut pas perdre de vue qu’il y a moins de liquidité sur les petites et moyennes valeurs. Il sera judicieux de déterminer des points d’entrée et de se montrer patient. Ce d’autant plus que l’année sera plus compliquée, avec plus de rebondissements.

Etes-vous inquiets par les flux sortants que l’on voit au niveau des émergents ?
Les stocks de capitaux dans les pays émergents sont limités eu égard aux autres grands marchés occidentaux. Le seul risque systémique qui existe à mes yeux est lié à la Chine. Pour le moment la situation semble tenir dans ce pays. Le pouvoir coercitif en place parvient à piloter les éventuelles sources de dérapage (marché bancaire, immobilier...).

Quid du risque de déflation ?
Le président de la BCE a indiqué hier que l’inflation était à un niveau proche de celui qui prévalait après la crise de la fin des pays asiatiques dans les années 1990 et après la faillite de Lehman Brothers. Or. Il n’y a pas eu de déflation généralisée à ces deux moments. La BCE est la seule banque centrale à disposer encore d'outils pour stimuler l'économie de la zone.

Propos recueillis par Imen Hazgui